La prison de Râmnicu Sarat est un site extrêmement intéressant et instructif à découvrir. Il s’agit d’un exemple de goulag à la roumaine situé près de Buzau dans la région de Muntenie. Plongée dans un monde absurde ressemblant à la colonie pénitentiaire de Kafka…
La vie nous amène parfois dans des endroits inattendus. La prison, une des institutions totales inventées par l’homme, où la plupart des gens ne souhaiteraient jamais mettre les pieds, devrait être le lieu d’expiation d’une erreur volontaire ou involontaire. Mais il arrive que d’aucuns y échouent en victimes des erreurs ou des obsessions de leurs semblables. A l’époque communiste, la prison devait sanctionner la culpabilité d’être ce que l’on est. Absurde, cet espace l’était encore plus que celui dépeint par Kafka. Les témoignages incroyables des survivants des prisons communistes dépassent de loin l’étendue de l’imaginaire.
La prison de Ramnicu Sarat, du département de Buzau, dans l’est du pays, était un véritable Goulag à la roumaine. Avant de devenir un lieu d’extermination, elle servait, au sens classique du terme, à corriger des erreurs. Erigée vers la fin du XIXe siècle, elle était donc, à l’origine, un pénitencier de droit commun. En novembre 1938, elle allait sortir de l’anonymat. Corneliu Zelea Codreanu, le chef de la Garde de Fer et d’autres membres de l’élite du mouvement nationaliste, xénophobe et antisémite connu sous le nom de “Légion de l’Archange Michel”, avaient compté parmi les détenus de cet établissement, avant d’être assassinés. Un an plus tard, en septembre 1939, la prison de Ramnicu Sarat marquait son deuxième moment de triste célébrité, 13 autres chefs du même mouvement étant exécutés entre ses murs.
C’est sous le régime communiste que cette prison atteint l’apogée de sa renommée terrifiante. Dans un premier temps, on y amena les paysans qui s’étaient opposés à la collectivisation forcée. Ensuite, après la révolution anticommuniste de Hongrie, de 1956 et la fermeture du pénitencier des dignitaires de Sighet, dans le nord-ouest de la Roumanie, on y transféra les survivants. Parmi ceux qui rendirent l’âme dans la prison de Ramnicu Sarat il convient de mentionner des chefs de file du Parti National Paysan, tels Ion Mihalache, Ilie Lazar, Victor Radulescu Pogoneanu. Même des figures de proue de la démocratie roumaine renaissante de l’après 1989, comme Corneliu Coposu et Ion Diaconescu, étaient passées par là. Cosmin Budeanca, spécialiste de l’Institut d’Investigation des Crimes du Communisme en Roumanie et coordinateur du musée aménagé dans l’ancienne prison de Ramnicu Sarat, nous fournit des détails supplémentaires.
«Le pénitencier de Râmnicu Sarat n’est pas trop grand par rapport à ceux de Gherla, Aiud ou Jilava. Il est plus petit, pouvant accueillir un maximum de 300 détenus. Et cela, dans les conditions où il y aurait 4 personnes dans une cellule. Mais à l’époque communiste, à quelques exceptions près, dans les cellules de Râmnicu Sarat il n’y avait qu’un seul détenu. Une autre caractéristique de cette prison était le silence. Il n’était pas question de communiquer – tous ceux qui ont survécu le confirment. Après des années passées dans l’isolement total, les détenus oubliaient de parler. Par exemple, Corneliu Coposu (le fondateur du Parti National Paysan Chrétien Démocrate), a recommencé à parler avec beaucoup de difficulté. Les détenus se promenaient un par un, la nourriture était exécrable, le froid était perçant, alors que les médicaments manquaient presque totalement. On pourrait parler d’un régime d’extermination, un régime qui n’a pas été appliqué par hasard mais programmé».
Une autre caractéristique de la prison de Ramnicu Sarat était d’assurer le contact direct avec l’Union Soviétique. Ce fut la priorité de ses responsables à l’époque stalinienne et au début des années ’60, en raison de la chute du Rideau de Fer et du début de la Guerre Froide entre l’URSS et l’Occident. Cosmin Budeanca explique :
«C’était une prison pour les élites. Tout comme à Sighet (dans le nord), une voie ferrée à écartement compatible avec celui de l’Union Soviétique menait à Râmnicu Sàrat. Dans l’éventualité d’un conflit entre l’URSS et l’Occident, il aurait été très facile de transporter les détenus chez les Soviétiques. En plus la gare était à 200 m du pénitentier. En une heure et demi, le train aurait été en URSS. Même chose pour la prison de Sighet qui était tout près de la frontière avec l’Ukraine. Une bonne solution au cas où un conflit similaire à celui de Hongrie aurait eu lieu en Roumanie. C’était donc une petite prison, facile à contrôler, avec un nombre réduit de détenus, par conséquent les informations n’allaient jamais au-delà de ses murs».
Dans les années ’60, la prison de Râmnicu Sàrat change de destination. Ion Mihalache (un des deux leaders du Parti Paysan) meurt en 1963. Le second, Iuliu Maniu, était déjà mort à Sighet, une dizaine d’années plus tôt. Les quelques détenus qui se trouvaient encore à Râmnicu Sàrat ont été transférés dans d’autres prisons avant l’amnistie générale de 1964. Celle – ci a été transformée en dépôt jusqu’à 1989. De nos jours la prison de Râmnicu Sàrat est conservée in situ en attendant de devenir un mémorial de la répression par le silence.
Auteur : Steliu Lambru ; trad.: Mariana Tudose, Ligia Mihaiescu, Valentina Beleavski
Crédit photo chapeau : euranet.eu