Cela fait déjà quelques mois que le maire de Salsomaggiore Terme, mon ami Massimo Tedeschi, a commencé à mettre en œuvre une stratégie relative aux villes thermales, en s’appuyant sur l’évolution de celle dont il préside aux destinées. Il faut dire que le sujet est d’actualité et que la fin d’un programme européen Culture 2007 entre une quarantaine de villes a créé un appel d’air qui pourrait entraîner une proposition d’itinéraire culturel européen.
Je suis donc venu à la fois pour dire quelques mots à ce sujet, puisque l’Institut que je dirige est « sponsor » de cette réunion au titre un peu ambitieux : “World Thermal Forum” et que je tenais à mieux comprendre quelles étaient en fait les questions qui se posaient et les solutions qui avaient étté suggérées pour qu’une analyse soit faite et qu’un tournant soit pris.
Je n’avais de fait reçu que l’information en provenance de la réunion de Karlovy Vary qui s’est tenue au début du mois de mai passé, pour coïncider avec l’ouverture de la session des eaux (la saison de Spa comme il est dit) et quelques unes des manifestations du 650e anniversaire de cette ville tchèque voisine de deux de ses consoeurs : Mariánské Lázné et Františkovy Lázně. En lisant je perçois la volonté de conclure une coopération dont je devine qu’elle a été un peu cahotique.
Et je dois bien avouer que le compte rendu de cette réunion sonne en effet d’un creux inquiétant, puisque visiblement, à l’issue d’un programme de plusieurs années, seul un livre énumératif des partenaires sera publié, à côté d’une liste d’actions qui ressemblent toutes à des évidences ou à des vœux pieux.
Par ailleurs, je sens bien que le message qui est transmis au travers de ces résolutions vaut pour toute ville thermale qui a connu une apogée au XVIIIe, au XIXe et dans la première moitié du XXe siècle : « Les célèbres bains de Karlovy Vary attirent une clientèle internationale. Ville thermale des plus agréables, on y soigne surtout les problèmes de métabolisme et de digestion et l’on peut reprendre des forces après des maladies oncologiques. Treize sources chaudes d’une température de 41°C à 73° C jaillissent d’une profondeur de 2 à 2,5 km, sous terre. La température des deux sources froides est autour de 15°C. Les sources se trouvent sous de ravissantes colonnades qui invitent le visiteur à de tranquilles ballades. L’animation thermale se ponctue d’événements culturels importants. Au début de l’été, en juillet, arrivent les stars de cinéma et les amateurs du septième art pour vivre l’ambiance unique du Festival International du Film de Karlovy Vary… » précise le site du tourisme tchèque.
J’imaginais aisément Woody Allen prendre dans son filet à papillons les écarts amoureux de quelques couples illégitimes et Marcello Mastroianni tournoyer autour de quelques comtesses russes, et pourquoi pas Delphine Seyrig allongée langoureusement dans les chaises longues de Marienbad : « Dans un grand hôtel fastueux, un homme tente de convaincre une femme qu’ils ont eu une liaison l’année dernière… ».
Le cinéma, il est vrai, peuple mon imaginaire thermal. Rien de grave, je ne dois pas être le seul à fantasmer de cette manière.
« Mariánské Lázné a ouvert sa première saison thermale en 1808 et s’est vite imposée comme le lieu de prédilection de tout le gotha européen. A l’époque s’y rendaient le roi d’Angleterre, Edward VII, le poète allemand J.W. Goethe, ou le compositeur et pianiste polonais, Frédéric Chopin. »
Tout cela est d’un romantisme décadent assez surprenant et le narratif, comme disent les anglais, sonne un peu comme les pages élogieuses – toujours élogieuses – des Guides Bleues des années cinquante. Et pourtant les images et le film qui ont été présentés sur la République Tchèque pendant la réunion ont tout pour laisser croire à ce prolongement d’une bulle un peu champagnisée qui aurait survécue intacte au régime communiste pour nous atteindre aujourd’hui dans l’aura de Johnny Depp.
Cinéma toujours, dans le cadre patrimonial de longs couloirs d’hôtels où les amants se mirent dans une enfilade de glaces sous des lustres vénitiens…
Du repli du gouvernement français à Vichy, jusqu’à mes plaisirs d’enfance dans les thermes d’Evian, ma vision est brouillée et je ne suis pas encore vraiment sorti d’affaire après avoir écouté les présentations culturelles, en négligeant un peu, je dois bien dire, celles qui concernaient les aspects médicaux.
Toute l’Italie attend une renaissance du thermalisme, de Milan jusqu’à la Toscane, en pensant qu’il faut se prendre en mains et que le style liberty des grands thermes de Salsomaggiore crée déjà un lien fort avec d’autres villes d’Europe.
Las, le thème mérite mieux qu’une exposition artistique et en tout cas nécessite une pensée plus stratégique. Et ce n’est pas vraiment l’hôtel dans lequel je réside ces quelques jours, l’Hôtel Valentini, relié au Grand Hôtel Porro où je me suis arrêté en mai, malgré les efforts du directeur et des personnels, qui me laissent augurer d’un vrai changement d’état d’esprit.
Il est vrai que je n’ai pas le temps – pas plus qu’en mai – de profiter de la piscine thermale voisine, mais je ressens à chaque minute une forte nostalgie qui continue d’empreindre ici toute chose.
Le monde du thermalisme évolue de telle manière et à telle vitesse que d’autres clientèles sont nées qui attendent d’autres contextes, des séjours plus courts, une remise en forme plus qu’un traitement, le sentiment de bien être et de bonne santé, plutôt que l’attente un peu vague d’un conflit mondial qui pourrait éclater, ou d’un séducteur qui prendra la forme d’un bel italien ou d’un prince russe un peu joueur, prêt à faire tourner la roulette du casino et celle du barillet de son pistolet lorsqu’il sera éconduit.
Nous sommes peut-être sur le chemin d’une solution, mais encore faudrait-il regarder dans la direction d’un monde plus jeune, plus détendu et concevoir une offre culturelle et patrimoniale qui prenne appui sur un passé teinté de sépia, pour l’expliquer et l’interpréter, plutôt que de tenter de le faire revivre.
Le tourisme de patrimoine devrait être aujourd’hui certainement remplacé par une forme nouvelle d’offre qu’est la visite du patrimoine touristique : celle des stations balnéaires de l’époque du Second Empire, des grands hôtels de la Côte d’Azur ou même des stations alpines des années cinquante, qui sont déjà devenues une mémoire de notre enfance avide de sports d’hiver populaires.
Il me semble évident que nous voulons participer à ce monde pour qui la cure était un passage obligé, comme l’étaient la visite du Parthénon ou du Colisée, mais dans la distance de l’histoire et de la mémoire.
Il s’agit en effet, pour la plupart des visiteurs, d’une curiosité comparable à celle qui vise le patrimoine industriel vidé de son travail épuisant, le patrimoine rural contextualisé dans un monde urbanisé, le patrimoine maritime dans un horizon de cabotage…une participation sans doute active, mais qui vise plus à goûter, à comprendre, qu’à reproduire.
Là aussi j’attends qu’une sollicitation plus grande nous amène à travailler sur ce chantier là.
Mais les articles de presse parus ces jours ci vont dans le sens de la recherche d’un réseau.
Peut-être alors vais-je revenir avec un regard neuf sur Evian ?
Photographies : Thermes d’Evian au début du XXe siècle, Festival du cinéma de Karlovy Vary, affiche du film d’Alain Resnais et colonnades des Thermes de Karlovy Vary au début du XXe siècle.