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Dans la section Sortir à Munich, voici l’agenda 2014 des opéras à Munich (Muenchen). Comme chaque année, Munich propose une programmation variée et très attractive qui comblera les amateurs d’opéra.
L’Opéra d’Etat de Bavière a repris cette saison un des rares opéras baroques encore à son répertoire, La Calisto de Cavalli dans une mise en scène créée dans la maison en 2005 par David Alden , avec au pupitre Ivor Bolton qui dirige le continuo-ensemble et quelques solistes de l’Orchestre d’Etat de Bavière.
Le parti pris de David Alden consiste à privilégier le divertissement et à mettre l’accent sur les aspects comiques de l’oeuvre plutôt que sur le pathos ou sur une réflexion sur les destinées de l’humanité. Malgré cela, sa façon de mettre en avant la représentation de l’humaine, et dans le cas de la Calisto, de la divine comédie, participe cependant d’une vision philosophique pessimiste, celle qui considère la vie humaine comme un jeu dérisoire auquel on est bien obligé de participer. D’autres lectures de l’oeuvre sont bien sûr possibles, mais une fois l’option arrêtée, les choix d’Alden tiennent la route et procurent au public trois heures d’un enchantement scénique extrêmement coloré et animé.
Jupiter travesti en Diane surpris par une Junon furieuse
Life is a cabaret, old chum. L’Empyrée d’Alden tient davantage d’une grande boîte de nuit interlope, d’un grand bordel de luxe avec son spectacle d’artistes de qualité que du séjour mythique des dieux. Un décor des années 60 ou 70 conçu par Paul Steiberg, avec ses vagues psychédéliques à la vulgarité tapageuses et ses innombrables lampes de salle de bain au plafond. Les trois personnages du Prologue, la Nature, l’Eternité et la Destinée, avec leurs costumes fantastiques qui donnent le ton de l’ensemble, discutent de l’immortalité de Calisto dont ils souhaitent faire une nouvelle étoile. Mis en abyme, le spectacle est dans le spectacle, Calisto chante au micro sur une scène de cabaret, Jupiter descend le grand escalier en animateur de spectacle, Junon est habillée comme pour un défilé de mode tape-à-l’oeil, le travestissement semble de rigueur: la Nature est une drag queen grotesque avec sa longue barbe, Jupiter se métamorphose en Diane pour séduire Calisto, Linfea, chantée par un homme, est extraordinaire dans son travesti ridicule.
La Calisto devient une histoire d’amours lesbiennes, avec l’amour de la nymphe pour la fausse déesse ou de Linfea pour Diane et d’amours perverses, avec une déesse dont l’idéal de vertu se fissure avec son amour cachée pour Endymion , qu’elle endort avant de l’aimer car elle ne veut pas perdre sa réputation de vierge effarouchée. C’est un festival de toutes les sexualités, bestialité incluse, entre les dieux, les humains et les personnages mythologiques composites qui tiennent à la fois de l’humain et de l’animal. Les costumes participent largement du spectacle, Buki Shiff a produit des créations aussi fantastiques que remarquables, c’est un pur régal avec d’extraodinaires trouvailles, tels les deux paonnes qui accompagnent la déesse Junon dans tous ses déplacements, un magnifique centaure ailé, un Pan majestueux au masque de bélier, la cour des chasseresses qui entourent Diane, plus putes que vierges, le délicieux grimage de Satirino, il faudrait tous les citer. Un défilé incessant de costumes, une animation visuelle constante et toujours surprenante dans des décors volontairement criards.
Les sens sont constamment sollicités avec un crescendo qui s’accentue au fil des actes. L’exposition du premier acte semble parfois un peu longue, avec la présentation d’un grand nombre de protagonistes aux relations parfois compliquées et aux motivations souvent troubles, mais David Alden parvient à faire prendre cette sauce complexe et les deux actes suivants sont un enchantement scénique, avec à la fin du troisième acte un tableau de jeunes femmes habillées en de féeriques longues robes blanches, viennent figurer la disposition des étoiles de la Grande Ourse.
On peut imaginer qu’au temps de Cavalli, l’orchestre était limité à 6 musiciens, avec Ivor Bolton et son continuo-ensemble ce nombre est aujourd’hui triplé, ce qui permet de répondre aux nécessités acoustiques des salles d’opéra contemporaines.
Anna Bonitatibus et Tim Mead
Ivor Bolton rend admirablement la musique de Cavalli, en lui apportant toute la maîtrise de son expertise de la musique baroque, il lui donne du relief avec de délicates précisions. Avec ses musiciens, il en livre une interprétation remarquable portée aussi par de magnifiques chanteurs. Danielle de Niese semble être faite pour le rôle de la Calisto, à laquelle elle prête sa somptueuse beauté eurasienne et la souplesse et les brillances d’un soprano un peu maniéré plus habile dans le babillage amoureux de la nymphe que dans l’expression d’une véritable douleur. Mais ceci est peut-être dû aux choix de la mise en scène qui privilégie la comédie.
Luca Tittoto donne un Jupiter bien puissant, avec un jeu d’acteur amusant, accompagné du Mercurio de bel aloi de Nikolay Borchev. La Junon de Karina Gauvin manque de relief dans ses premières apparitions mais gagne en rage et en furie au cours de la soirée. Le Satirino de Dominique Visse est tout simplement délicieux, son jeu d’acteur extrêmement subtil. Anna Bonitatibus soutient le rôle de Diane avec beaucoup d’élégance stylistique dans l’interprétation. Enfin, last but not least, l’Endymion du contre-ténor Tim Mead est bouleversant de beauté vocale, qui lui vaut les acclamations d’un public séduit par ses accents justes et émouvants.
Le diable dans la bouteille/ Der Flaschengeist, un Singspiel océanien404
Au sommaire : Opéras à Munich en Février 2014
Le diable dans la bouteille/ Der Flaschengeist, un Singspiel océanien
L’enlèvement au sérail au Théâtre Cuvilliés par le Theater-am-Gärtnerplatz
Mozart, Clemenza di Tito, Petrenko/Bosse
Le diable dans la bouteille/ Der Flaschengeist, un Singspiel océanien
Un conte musical de Wilfried Hiller et Felix Mitterer mis en scène par le Theater-am-Gärtnerplatz
Roland Schneider/ Le diablotin, Paul Schweinester Keawe, Katharina Ruckgaber/Kokua
Le Theater-am-Gärtnerplatz a eu l’excellente idée de produire cette oeuvre musicale en première mondiale, une oeuvre qui convient aussi particulièrement bien à un public enfantin (à partir de 9 ans). La mise en scène en a été confiée à Nicole Claudia Weber. Le théâtre étant fermé pour restauration, c’est dans la salle Carl-Off du Gasteig que se dérouleront les représentations. Michael Brandstätter en assure la direction musicale.
Résumé de la nouvelle de Stevenson
Kéaoué, un habitant d’Hawaï, est en voyage à San Francisco. Alors qu’il s’émerveille devant la beauté des maisons, il rencontre un homme qui lui révèle que sa maison et sa bonne fortune proviennent d’une bouteille magique incassable qui contient un petit diable qui réalise tous les voeux de son possesseur. Son seul inconvénient : « Si un homme meurt avant de l’avoir vendue, il brûle en enfer à jamais. (…) mais il n’est possible de la vendre qu’à perte. »
Kéaoué se laisse tenter et achète la bouteille pour 50 dollars. De retour à Hawaï, la fortune vient à lui. Tout cela fait pourtant peur à Kéaoué qui s’empresse de revendre la bouteille. Les années passent, il rencontre la belle Kokona et Kéaoué est heureux jusqu’au jour où il apprend qu’il est atteint de la lèpre… Désormais Kéaoué cherche à tout prix à retrouver la bouteille lui permettant de le soigner. Hélas, la bouteille est passée dans bien des mains et sa valeur a considérablement chuté…Kéaoué, pour mieux profiter de sa nouvelle femme et de plaisirs éphémères, fait le choix de la damnation. Mais le héros se rend compte également que le bonheur des uns peut faire le malheur des autres. Le paradis des îles du sud est en fait aussi un enfer.
Ce conte musical pour petits et grands se jouera à partir du 23 janvier jusqu’au 28 février 2014 pour douze représentations au Gasteig de Munich.
Roland Schneider/ Le diablotin, Paul Schweinester Keawe, Katharina Ruckgaber/Kokua
Le diable dans la bouteille/ Der Flaschengeist ne convainc pas
Il est des occasions ratées. Le Theater-am-Gärtnerplatz avait pourtant offert au compositeur Wilfried Hiller le magnifique tremplin de sa réputation de grand théâtre munichois avec un orchestre de premier ordre, un ensemble de chanteurs passionnés et engagés, un chef d’orchestre spécialisé dans la musique contemporaine. Mais malgré son installation de quatre ensembles de percussions de part et d’autre d’une scène, malgré l’ajout de deux harpes et de deux pianos, malgré donc des moyens musicaux qui rappellent à échelle réduite le Saint François d’Assise d’Olivier Messiaen, malgré aussi un conte à la belle substance narrative, Wilfried Hiller nous a concocté avec Felix Mitterer un livret qui pèche par des défauts de construction dans l’exposé des motifs et par un manque de profondeur psychologique, et une partition qui, si elle offre quelques beaux moments musicaux, manque de vision d’ensemble et de respiration architecturée, au point que l’esprit musical semble resté dans la bouteille.
Le livret met en place l’action de manière schématique et rapide sans donner beaucoup de contours aux personnages: Keawe ne peut épouser Kokua, sa bien-aimée, parce qu’il se fait dérober la bourse qui contenait toutes ses économies/ il rencontre le possesseur de la bouteille magique et la lui achète/ il souhaite la richesse et devient très riche par la mort soudaine de son oncle/ la richesse ne lui apporte pas le bonheur espéré et il revend la bouteille/ il est alors atteint de la lèpre,… La succession des événements est énoncée de manière assez sèche et précipitée, et les personnages présentés tout en superficie. Ce n’est qu’après l’entracte que l’action s’anime un peu et que la sauce prend enfin. Le thème de l’amour rédempteur est bien mené: tant Kokua que Keawe veulent se sacrifier pour se sauver l’un l’autre de la damnation éternelle. Le quatuor final est assez réussi. Kokua et Keawe peuvent enfin déployer les ailes de leur amour, et le marin ivre qui a acheté la bouteille maudite refuse de s’en séparer et s’en va retrouver le génie androgyne pour peut-être filer avec lui un amour alcoolisé, infernal et éternel.
La mise en scène et les décors doivent faire avec les moyens du bord: la Carl-Off Saal du Gasteig ne dispose pas des possibilités techniques d’un grand théâtre. La mise en scène de Nicole Claudia Weber utilise intelligemment les projections vidéos qui tiendront lieu d’effets magiques. Comme il s’agit d’un conte, on se serait cependant attendu à une meilleure définition des costumes et des décors avec une plus grande différenciation des différentes cultures en présence. Là aussi, on ne sent pas de direction précise. Faire chanter le diable en lui demandant de simuler un accent parigot ne suffit pas à créer une atmosphère tahitienne, c’est incongru, cela nous rapproche plus de Paris que de Papeete.
Restent les interprètes: le contre-ténor Roland Schneider se démène comme un beau diable avec un excellent jeu de composition de son personnage, mais il lui est parfois demandé d’interpréter l’esprit du Mal par un fausset criard qui écorche les oreilles, il a l’art et le sens des planches, et anime une soirée qui sans lui semblerait s’étirer sans fin. On est sensible au joli soprano de Katharina Ruckgaber dans son interprétation de Kokua, et on admire le métier de Heinz Schmidtpeter qui incarne avec un égal talent Kiano, le père de Kokua, et un mendiant.
Le public accueille la production par des applaudissements polis, saluant surtout la performance de l’orchestre et des chanteurs.
L’enlèvement au sérail au Théâtre Cuvilliés par le Theater-am-Gärtnerplatz
Crédit photographique Thomas Dashuber
C’est à propos de l’Enlèvement au sérail que L’Empereur Joseph II lâcha le célèbre « C’est trop beau pour nos oreilles, mon cher Mozart, il y a là dedans trop de notes! » « Que Votre Majesté me pardonne, répondit le musicien, il n’y en a pas une de trop! ». Ce qu’il y eut surtout, c’est trop peu d’argent, car Joseph II tarda longtemps à dénouer les cordons de sa bourse pour octroyer une pension au génial musicien.
Pour ce beau Singspiel, le Théâtre de la Gärtnerplatz a sollicité le concours de la metteure en scène Stephanie Mohr: bien connue du public germanophone pour ses productions théâtrales, elle s’est récemment vu décerner le Prix autrichien Nestroy de la meilleure mise en scène (Pour Woyzeck & The Tiger Lillies en 2012). Avec L’enlèvement au sérail Stéphanie Mohr fait ses débuts dans la mise en scène d’opéra. C’est Mario Comin qui dirigera l’orchestre du Theater-am-Gärtnerplatz.
Bassa Selim Raphael von Bargen
Konstanze Jennifer O’Loughlin / Elena Gorshunova
Blonde Csilla Csövári / Jennifer Riedel
Belmonte Dean Power / Wesley Rogers
Pedrillo Daniel Prohaska / Juan Carlos Falcón
Osmin Patrick Simper / Stefan Cerny
Pour 13 représentations du 30 janvier au 5 mars 2014 au Théâtre Cuvilliés
Les mélomanes ont de nombreux motifs de se réjouir de la prochaine production du Bayerische Staatsoper dont la première aura lieu le 10 février prochain. D’abord parce que le nouveau Directeur général de la musique de l’Opéra d’Etat de Bavière dirigera son premier opéra de Mozart à Munich et qu’on attend beaucoup de celui qu’on appelle parfois le Mozart de la Sibérie occidentale, Kirill Petrenko étant originaire de Omsk. En peu de temps, Petrenko a conquis le public munichois dont il est devenu la coqueluche.
Ensuite pour le plateau où à côté de valeurs sûres de l’ensemble de l’opéra (le Sesto de Tara Erraught, la Servilia de Hanna-Elisabeth Müller, l’Annio d’Angela Brower et le Publio de Tareq Nazmi), on pourra entendre le Tito Vespasiano de Toby Spence, un ténor qui, au sommet de sa carrière, est passé par la terrible épreuve d’un cancer de la thyroïde, et qui a repris le chant il y a un peu plus d’un an, ainsi que la Vitellia de Kristine Opolais, qu’on vient d’entendre en Tatiana. On attend aussi avec curiosité la mise en scène de Jan Bosse, un metteur en scène allemand venu du théâtre. Le Stuttgartois, né en 1969, est bien connu des scènes théâtrales allemandes et suisses et s’est récemment mis à la mise en scène d’opéra. Après monté un Orfeo de Monteverdi et une Calisto (Bâle, 2008 et 2010), il a donné en avril dernier un Rigoletto au Deutsche Oper de Berlin qui a fait couler beaucoup d’encre et déchaîné les passions, et qu’on pourra revoir en avril à Berlin*.
La clemenza di Tito, les 10, 12, 15, 20, 23 et 26 février 2014 au Théâtre national de Munich, ainsi que pour deux représentations (16 et 19 juillet) pendant le Festival d’opéra de Munich. Pour plus d’informations, voir le site du Bayerische Staatsoper.
*Pour avoir un avant-goût des choix scéniques de Jan Bosse, on pourra lire avec profit l’interview qu’il a accordée à Berlin poche, mise en ligne en français: Rigoletto, un opéra soumis à la dissolution salle-scène.
Sommaire : Opéras à Munich en Mars 2014
La Salomé d’Antoine Mariotte au Prinzregententheater
Le sérail kitsch de Stéphanie Mohr
La reprise de Godounov au Bayerische Staatsoper
Opéra français: la Salomé d’Antoine Mariotte au Prinzregententheater
Les solistes Académie de Théâtre August Everding et l’Orchestre radiophonique de Munich (Münchner Rundfunk Orchester) interpréteront pour trois soirées un opéra peu connu du grand public, la Salomé du compositeur français Antoine Mariotte. Ulf Schirmer est au pupitre, la mise en scène a été confiée à Balàzs Kovalik. L’opéra sera chanté en français avec surtitrage allemand.
Antoine Mariotte (1875-1944) est originaire d’Avignon. Il se destine d’abord à la marine. Reçu à l’Ecole navale,il devient aspirant, amis regrette bien vite de ne pas avoir opté pour la carrière musicale et s’exerce à la composition au cours de croisières et de campagnes en Asie. C’est en Orient qu’il lit la pièce d’Oscar Wilde, Salomé, et qu’il envisage de la mettre en musique. Revenu en Europe, il embarque sur le Marceau puis sur le Magenta où il peut enfin jouer sur un petit piano grâce à l’amiral Gervais. Il obtient un congé de six mois et suit des cours au Conservatoire. Il démissionne de la Marine, continue de suivre des cours et entame une carrière musicale, notamment de pianiste. Nommé professeur de piano au conservatoire de Lyon, il achève la partition de Salomé, croyant être en règle avec les héritiers de Wilde et l’éditeur Methuen.
Malheureusement, après le décès d’Oscar Wilde, sa succession fera problème. Après avoir obtenu l’accord des ayants droit du dramaturge anglais, Richard Strauss découvre à son tour la pièce et demande à son éditeur Fürster d’en acquérir les droits. La succession de Wilde, particulièrement compliquée, donne lieu à un procès qui tourne à l’avantage des ayants droit contactés par Fürster. Mariotte apprend que Fürster s’oppose à la représentation de la « Salomé française » et à la suite d’un voyage à Berlin, il obtient la permission de faire jouer son ouvrage pendant une saison, à condition de verser 40 % de ses droits à Richard Strauss, 10 % à Fürster et de remettre à la clôture de cette saison toutes les partitions et le matériel d’orchestre à Fürster pour être anéanties. Romain Rolland, ayant lu un article de Mariotte dans la Revue internationale de musique, le conseille et obtient de Strauss un acte de générosité. Ainsi, le 30 octobre 1908, avec Mlle de Wailly dans le rôle de Salomé, l’œuvre de Mariotte est présentée au Grand-Théâtre de Lyon et a du succès. Elle est reprise à Paris en 1910 à la Gaîté-Lyrique, tandis que la Salomé de Strauss est à l’affiche de l’Opéra. Après avoir été jouée à Nancy, au Havre, à Marseille, à Genève, à Prague, la Salomé de Mariotte est représentée à l’Opéra de Paris le 1er juillet 1919 avec pour interprète la céllèbre Lucienne Bréval.
Une rareté à découvrir au Prinzregentheater les 28 février, 6 et 8 mars 2014.
Cerise sur le gâteau, le 6 mars à 19H30, BR-Klassik diffusera l’opéra en direct sur son site internet en video-live-stream! www.br-klassik.de
L’enlèvement au sérail (1782) fut créé à Vienne trente ans après la construction du Théâtre Cuvilliés (1753) dans la Résidence de Munich, un théâtre qui accueillit la création d’Idomeneo, re di Creta (1781). C’est dire que ce petit théâtre rococo constitue un lieu idéal pour représenter du Mozart. Mais on est en droit de se demander quelle mouche a piqué Stéphanie Mohr et sa décoratrice Miriam Busch en faisant le choix de la provocation du kitsch dans ce décor des plus charmants. L’idée de prolonger le délicieux décor rococo bavarois par l’installation sur scène d’un théâtre dans le théâtre avec ses loges de balcon festonnées n’est certes pas nouvelle, on vient de le voir au Théâtre national avec la nouvelle production de La Clemenza di Tito, mais de là à recréer des loges approximatives et colorées en les peuplant de dames portant de hautes perruques ornées vaisseaux aux mâtures filigranées telles que les représentent les caricatures de la fin du 18ème siècle, il y a un pas que la metteure en scène a allègrement franchi.
Entre les loges, un automate diseur de bonne aventure dans sa cage de verre, on y va de sa piécette et on reçoit une carte prédisant l’avenir. Belmont en justaucorps et gilet brodés interrogera l’automate d’entrée de jeu. Les costumes des protagonistes dus aux talents d’Alfred Mayerhofer sont plutôt réussis, à la fin du deuxième acte on assistera d’ailleurs à une séance d’habillage de Constance et de Blonde de belle venue. Le costume d’Osmin, avec son corset de cuir noir sur des vêtements sombres lui donne l’image d’un dompteur de fauves (-les femmes du harem sont sans doute autant de tigresses-), est particulièrement réussi. Mais à quoi bon peupler la scène d’un choeur porteur de vêtements et d’éventails japonisants, pourquoi donner cet éclairage aux lanternes de papier coloré? Bien sûr on est proches du carnaval et la turquerie de l’Enlèvement au sérail relève bien de la farce grotesque, mais la mise en scène et les décors se dispersent dans un orient de pacotille fait de brics et de brocs aux couleurs criardes , et cela n’apporte rien à l’opéra de Mozart. L’abondance de détails non signifiants transforme l’espace scénique en une bouillabaisse incertaine.
Sous les oripeaux du spectacle, Stéphanie Mohr paraît vouloir nous faire réfléchir sur les aléas et les vicissitudes de la condition amoureuse. Constance est-elle une femme fidèle qui joue de ses charmes pour tenir le pacha à distance ou est-elle tentée par une certaine infidélité? Stéphanie Mohr a retravaillé librement le livret de Johann Gottlieb Stephanie en y intégrant des poèmes de Michel Houellebecq. Et on retrouve le questionnement désabusé du Goncourt français: cela vaut-il la peine d’aimer, d’espérer, de vivre enfin? Le corps qui m’attire aujourd’hui vieillira bien trop vite. espérer, mais espérer quoi alors que l’impermanence, la vieillesse et la mort guettent. Sur scène un figurant incarne un vieillard décati aux mâchoires édentées qui semble considérer les jeux de l’amour d’un regard narquois. Ce fil conducteur sauve la mise en scène du kitsch omniprésent. Mais alors surgit la question suivante: faut-il dramatiser le divertissement mozartien et lui apporter le cynisme et l’ironie houellebecquiens?
Mozart justement! La distribution d’hier soir était aussi composite que le décor. Wesley Rogers apporte un curieux accent anglais à l’espagnol Belmonte. Coutumier du rôle (il l’a chanté e.a. à Dresde, Liège ou Paris), avec un ténor puissant, un chant extrêmement travaillé qui donne davantage dans l’effet que dans l’expression de l’émotion. La Constance d’Elena Gorshunova ajoute une touche russe. Elle déçoit tant dans le grave que dans l’aigu, mais séduit davantage dans le registre moyen, avec des modulations sensibles spécialement dans le deuxième grand air. Juan Carlos Falcón colle au personnage de Pedrillo en accentuant l’accent espagnol, à bon escient quant à lui et avec un joli sens de la drôlerie. Raphael von Bargen manque d’élocution dans ses monologues sur la condition amoureuse, dommage, on aurait aimé comprendre davantage. Jennifer Riedel est charmante en Blonde. Mais ce sont surtout les interprétations des deux serviteurs qui sauvent la soirée: Juan Carlos Falcón donne un Pedrillo vif, drôle et pétillant, avec un beau ténor que l’on sent rôdé aux cascades du bel canto, et puis l’ Osmin de Stefan Cerny, avec sa basse puissante et très sonore, magnifique jusque dans les registres les plus graves, avec un jeu d’acteur très énergique, une grande prestance et une présence scénique intense.
L’enlèvement au sérail se joue encore les 2, 3 et 5 mars au Théâtre Cuvilliés de Munich.
Reprise de Boris Godounov à l’Opéra de Munich sous les feux de l’actualité
Hasard du calendrier, la reprise par le Bayerische Staatsoper de Boris Godounov dans la mise en scène de Calixto Bieito a pris d’inquiétantes couleurs à la lumière des événements récents de Kiev et de la captation de l’Ukraine par la Russie de Poutine.
La programmation de l’Opéra de Munich voulait faire coïncider la reprise de Godounov avec la parution du DVD* de la première saison avec Kent Nagano au pupitre et l’extraordinaire Boris d’Alexander Tsymbalyuk. Quelle belle occasion en effet de pouvoir comparer le live du nouveau directeur musical Kirill Petrenko et la performance d’Anatoli Kotscherga qui a repris le rôle-titre en 2014 avec celle de Nagano et de Tsymbalyuk, de se donner le plaisir musical d’estimer si les choeurs magistralement entraînés par Sören Eckhoff se sont encore bonifiés, s’il est possible, tant ils étaient superlativement exceptionnels lors de la première et le sont restés.
On se souvient que Bieito avait donné une extraordinaire lecture contemporaine de la première scène des choeurs où le peuple de Russie réclame la montée sur le trône du nouveau tsar. Le peuple russe de Bieito était encadré et malmené par des forces de police intimidantes et brutales, Bieito stigmatisait la bêtise des masses populaires, qui se soumettent à des hommes forts qu’elles admirent et auxquels elles concèdent un pouvoir absolu, en faisant porter aux manifestants des pancartes qui affichaient des portraits surdimensionnés des hommes politiques du présent: de Poutine à Georges Bush jr ou de Berlusconi à Sarkozy. Le portrait de Poutine en entrée de rideau suscite bien sûr cette année d’autres réactions que les réactions amusées d’il y a un an. En voyant la foule encadrée du peuple arborant de tels calicots, on ne peut s’empêcher de faire l’association avec les foules du Maidan à Kiev et avec la brutalité des forces anti-émeute des berkouts. Et d’entendre sur scène évoquer le sort réservé aux Tatares ne manque pas d’entraîner de mêmes associations.
L’histoire récente est venue à la rencontre de la mise en scène de Calixto Bieito qui avait voulu stigmatiser la brutalité du pouvoir et la manipulation abêtissante des masses populaires. Cette dimension ajoutée par les événements ukrainiens est aussi le signe des belles qualités et de l’efficacité d’une mise en scène dont la lecture a des valeurs d’universalité.
Sur le plan musical, on ne peut bien sûr s’empêcher de comparer les interprétations. Peut-être pourrait-on avoir l’élégance de le faire sans rentrer dans une hiérarchie de valeurs. Avec Nagano hier et Petrenko aujourd’hui, on se trouve avec les saveurs différentes de deux grandes personnalités de la direction d’orchestre. Chacun pourra étudier les qualités de Kent Nagano en écoutant et réécoutant le DVD*. Kirill Petrenko apporte bien sûr dans ses riches bagages beaucoup de l’âme russe. Depuis son arrivée à Munich, il déchaîne l’enthousiasme du public par son travail extrêmement précis qui sait faire s’élever et se détacher les sons de chaque instrument, tout en leur donnant un juste volume sonore. Petrenko a l’art de l’individualisation et de la précision exquise. Il dirige l’orchestre avec douceur et fermeté, sans jamais surcharger le ton. Cela donne un résultat à la fois velouté et puissant qui permet aux chants de s’élever avec nuance et éclat comme autant de perles au creux d’un écrin orchestral. Un grand bonheur pour Munich et pour la musique. Dans ces soirées du printemps 2014, c’est particulièrement remarquable dans la rencontre du travail de l’orchestre et de celui des choeurs, rien que du bonheur.
Dmytro Popov (Grigorij Otrepjew), Ain Anger (Pimène)
Anatoli Kotscherga, qui a étudié à Kiev, livre un travail très différent de la grandiose interprétation d’Alexander Tsymbalyuk, qu’il est difficile de ne pas évoquer en regrettant qu’il n’ait pas repris le rôle. Tsymbalyuk en avait donné une interprétation intériorisée d’une concentration extraordinaire. Kotscherga, qui avait chanté Pimène la saison dernière, donne un Goudounov plus traditionnel, extrêmement théâtralisé. Il donne le meilleur de lui-même dans la dernière scène, où il développe un brillant jeu d’acteur, sa mort de Boris est un modèle d’anthologie scénique qui lui vaut un tonnerre d’applaudissements. La plupart des rôles ont été repris d’une saison à l’autre par les mêmes chanteurs, et on retrouve avec émotion l’excellence de Markus Eiche en Schtschelkalow ou de Gerhard Siegel en Chouïski. Vladimir Matorin est particulièrement en verve et donne un magnifique Warlaam. Parmi les nouveaux venus, on remarque le bel Otrepiev de Dmytro Popov. Et surtout le Pimène d’Ain Anger est confondant de beauté et de présence, sa basse noueuse a des puissances telluriques, une voix somptueuse et profonde, qu’on aimerait un jour entendre dans Boris.
Prochaine représentation: le 31 Mars au Théâtre National de Munich.
Songe d’une nuit d’été de Neumeier au Bayerisches Staatsballett
Opéra Don Pasquale au Théâtre Cuvilliés
nja Nina Bahrmann (Norina)
Le Theater-am-Gärtnerplatz reprend son excellente production de 2012 du Don Pasquale de Donizetti dans le somptueux cadre rococo du Théâtre Cuvilliés. On pourra entendre, ou, pour les aficionados, on retrouvera avec grand plaisir la séduisante Norina d’Anja-Nina Bahrmann avec son beau soprano lyrique, une belle souplesse de timbre, des coloratures brillantes et son jeu scénique vif et primesautier.
Les huit angelots de stuc laiteux aux ailes dorées qui volettent dans les stucs et les ors du théâtre pour soutenir les couronnes princières électorales de Maximilien III Joseph de Bavière et entourer l’allégorie de sa renommée ont un nouveau petit compagnon de jeu. Du cintre de son décor bleu nuit percé d’un grand oculus, la metteure en scène Brigitte Fassbaender fait descendre un angelot tout semblable à ses frères, dont on sait bien qu’il symbolise l’amour. Pendant que se joue l’ouverture, quelques patients à la tête entourée d’un ruban bleu qui soutient une mâchoire endolorie entrent dans le cabinet dentaire du Docteur Malatesta et sont plus ou moins touchés par la présence de l’angelot de l’amour. Si tous sont en principe conviés aux jeux de l’amour, chacun y répond à sa façon, de l’indifférence à la passion en passant par l’intérêt amusé. Don Pasquale en costume à carreaux vient consulter son ami Malatesta, et c’est dans le fauteuil du dentiste qu’il s’installera pour le premier duet. Pour la scène suivante, un caisson latéral s’avance, un lit escamotable s’abaisse dans lequel Norina, encore endormie, tient un petit amour dans ses bras.
A son réveil, elle chante sa première aria en faisant en pyjama des exercices de gymnastique matinale teintés de yoga. De l’autre côté de la scène s’avancera un autre caisson avec une fenêtre décorée de langues de belle-mère. Au sommet du caisson se trouve le lit du pauvre Ernesto lui aussi en pyjama qui voit d’avancer sous ses fenêtres un cortège funèbre portant un énorme coeur rouge sur un catafalque. Tous sont constamment préoccupés par l’amour, y compris Malatesta qui vient annoncer à Norina le stratagème qu’il a imaginé pour sauver l’amour d’Ernesto: le docteur n’est pas du tout insensible aux charmes de la jeune femme et flirte outrageusement avec elle, et la coquine ne le repousse pas vraiment. Rien n’est tout à fait pris au sérieux dans ce monde de légèreté amoureuse. Arrive la scène du mariage, où Norina apparaît dans un superbe costume d’oie blanche sortie du couvent. Le vieux barbon, Don Pasquale, ne se tient plus de joie à la vue d’une si jolie proie, et un faux notaire à dents de lapin proéminentes aura vite rédigé un contrat marqué au sceau de la déraison amoureuse du brave vieillard.
Brigitte Fassbaender a opté pour une mise en scène simple et extrêmement efficace, avec une sobriété de moyens visuels (décors de Bettina Munzer) qui servent et mettent en valeur l’action: un oculus avec un angelot de stuc, quelques chaises pour la salle d’attente du Dr Malatesta, un fauteuil de dentiste, des caissons mobiles, une table pour le notaire. La metteure en scène a fort travaillé le jeu des acteurs et a empreint leurs rapports d’humanité, de gentillesse et de bonhomie. On le voit bien dans la deuxième partie: bien sûr, le barbon est tourné en bourrique, mais sans méchanceté, la leçon ne dépassera pas le but de l’affaire qui est de réunir les deux amoureux.
Un grand fauteuil au tissu scintillant symbolise à lui seul les dépenses somptuaires de la nouvelle maîtresse de maison. Le choeur des serviteurs récemment engagés est revêtu de vêtements de fonction à rayures bleues et blanches, Bavière oblige. Don Pasquale porte un tablier sous son veston, et c’est Norina, en costume sombre à rayures et chapeau feutre, qui porte le pantalon et la cravate. Les symboles sont ici aussi évidents. Pour le final, le choeur en arrière plan figure des anges habillés de blanc et porteurs de couronnes de lierre, devant un énorme soleil en forme d’orange, feuillage compris. C’est le triomphe de l’amour. Tout est bien qui finit bien dans le monde de l’opera buffa. On passe une soirée tout en légèreté et en gaieté, et c’est très bien ainsi. On appréciera cette belle mise en scène qui ne vole pas la vedette à la musique et au livret, mais s’est mise à son service.
Le Cheti cheti
Distribution
Norina Anja-Nina Bahrmann
Ernesto Jesus Alvarez
Don Pasquale Marco Filippo Romano
Dr Malatesta Vittorio Prato
Un notaire Ute Walther
Songe d’une nuit d’été de Neumeier au Festival du Ballet du Bayerisches Staatsballett
Le monde des elfes
Durant la dernière décennie, le célèbre chorégraphe américain John Neumeier qui préside aux destinées du ballet de Hambourg a profondément retravaillé sa chorégraphie de son Songe d’une nuit d’été. A Munich, il en avait présenté en octobre dernier la dernière version. C’est cette version que le Ballet d’Etat bavarois, dont le thème de l’année est « Dance in Germany », présente actuellement pour deux soirées dans le cadre de la semaine du ballet.
Neumeier a créé ce ballet au thème shakespearien en 1977, c’est un chef-d’œuvre du ballet narratif classique, typique des chorégraphies allemandes des années 70. Pour ce ballet Neumeier a opté pour trois registres musicaux différents qui correspondent chacun à l’un des trois mondes auxquels appartiennent les personnages représentés: les milieux de l’aristocratie grecque antique évoluent dans le majestueux cadre sonore de la musique du Songe d’une nuit d’été de Felix Mendelssohn, pour le monde féérique du Roi des Elfes et de son épouse Titiana il fait appel aux sons d’orgues surnaturels et aux harmonies de György Ligeti, et pour les scènes populaires et burlesques des braves artisans qui décident de monter un spectacle pour célébrer le mariage du couple royal il opte pour de désopilantes paraphrases d’airs d’opéra, extraits notamment de la Traviata, produits par un orgue de Barbarie . Ces trois mondes avec leurs trois registres musicaux sont encore différenciés par les décors et les costumes du grand artiste qu’est Jürgen Rose. Rose a utilisé des moyens simples et efficaces pour différencier les trois mondes: des costumes et un décor Empire pour les aristocrates, avec un grand rideau de fond d’un bleu et or, et un récamier pour le rêve d’Hippolyte, la reine des Amazones qui va bientôt épouser Thésée; des collants aux brillances scintillantes pour les elfes avec un jeu de bosquets d’oliviers mobiles aux reflets surnaturels encore accentués par des productions de nappes de fumées; des costumes grotesques de contes de fées pour les acteurs-artisans.
Si Neumeier a quelque peu réécrit la comédie de Shakespeare en rendant l’action plus lisible, le nombre de protagonistes reste impressionnant. Pendant la semaine du ballet on pourra admirer dans les rôles principaux Ivy Amista (Titania) et Tigran Mikayelyan (Oberon) ce vendredi 11 avril, et Polina Semionova (Titania) et Matej Urban (Oberon) le samedi 12 avril.
Michael Schmidtsdorff, dont on avait déjà pu apprécier le travail en octobre dirige l’Orchestre d’Etat de Bavière.
Crédit photographique: Wilfried Hösl
Au sommaire : Opéras à Munich en Juillet 2014
La Clemenza di Tito de Munich fait la part belle à la musique
La délicieuse Cenerentola de Tara Erraught
La Clemenza di Tito de Munich fait la part belle à la musique
Servilia, Titus et Annio
Les décors du premier acte de la Clemenza di Tito de Munich reproduisent à l’identique des éléments architecturaux de la grande salle du Théâtre national: les mêmes colonnes corinthiennes, les mêmes frises avec leurs motifs de couronnes royales bavaroises forment sur scène un hémicycle qui épouse les courbes de la salle, entourant les gradins d’un théâtre à l’antique, rappel obligé des jeux du cirque et du Colisée. La continuité architecturale des décors rabote la convention de la distance scénique et rapproche les spectateurs de l’action. C’est qu’au-delà de l’histoire, nous sommes concernés par les enjeux du drame et sommes aujourd’hui les spectateurs sans doute involontaires de drames similaires: les jeux du pouvoir et de la volonté de puissance, l’utilisation des appâts du sexe pour assouvir la soif de domination et les sombres intrigues de palais, les complots et les pratiques incendiaires et terroristes sont restés d’actualité de Titus à Mozart et de Mozart à nos jours. Il est rare qu’un grand de ce monde échappe aux jeux de corruption, Titus fait là figure d’exception emblématique.
Le blanc domine dans un monde qui reflète la pureté et la droiture d’un empereur idéaliste: blancheur de l’hémicycle, des costumes des choristes, et même des musiciens de l’orchestre, blancheur encore tant de la toge que de la cape de l’empereur, des vêtements simples comme une robe sans couture qui donnent un air christique à l’empereur. Tout au long de l’opéra les codes employés par Jan Bosse resteront simples et lisibles sans tomber pour autant dans le simplisme. Tout au contraire. Pour explorer le personnage de l’empereur, Jan Bosse joue sur deux grands tableaux du livret pour les mettre en dialogue: le personnage public de l’empereur qui doit prendre la raison d’Etat et le verdict populaire en compte, et la personne privée avec ses doutes, ses intérêts et ses conflits intérieurs. Le coeur à ses raisons que la raison d’état ne connaît point.
Tara Erraught (Sesto)
La mise en scène de l’orchestre assouplit elle aussi la convention de la distance scénique: l’orchestre habillé de blanc qui accède à la fosse en entrant dans la salle par les portes réservées au public, son changement de costume au deuxième acte après l’attentat et l’incendie. Jan Bosse fait en sorte que l’orchestre participe de l’action. Ainsi pour l’air de Sextus « Parto, parto », il fait s’asseoir le clarinettiste (excellent Andreas Schablas) aux côtés de Sextus pour accentuer le dialogue. Il en va de même pour le rondo de Vitellia au deuxième acte, « Non più di fiori », où il fait monter le cor de basse sur scène avec le même effet. En début du deuxième acte, l’orchestre ne rentrera en fosse qu’après le récitatif d’Annio, la chanteuse qui l’incarne s’accompagnant elle-même de quelques notes au clavecin, la fosse devenant un des lieux de l’action pour l’aparté pendant lequel Sesto avoue son crime à son ami Annio.
Tout ceci ne constitue pas une rupture des conventions scéniques, mais simplement un assouplissement bienvenu qui étonne sans choquer pour ajouter une dimension intemporelle au propos. La sobriété de la mise en scène, des décors et de la plupart des costumes, la beauté des lignes simples contribuent à la lisibilité de l’action et à la pleine jouissance musicale.
Les personnages féminins portent des costumes plus travaillés: Victoria Behr s’inspire de la mode de la fin du 18ème siècle, robes à paniers plus ou moins amples aux couleurs vives et hautes perruques. Vitellia est affublée des parures les plus encombrantes, avec des robes à paniers extrêmement larges et un échafaudage capillaire à la mesure de sa soif de pouvoir et de ses ambitions. Cet accoutrement orgueilleux rend ses déambulations difficiles, spécialement lorsque l’action se passe sur des gradins qu’il faut constamment monter ou descendre. Vitellia la calculatrice, cette femme avide qui manipule les êtres et les sentiments sans vergogne ni pitié aucunes, est ainsi l’antithèse de Titus, qui à la parure préfère le dépouillement, et place la magnanimité et le pardon au-dessus même des lois et des institutions.
Changement de décor au deuxième acte. Le Capitole a brûlé, tout n’est plus que cendre, l’empereur serait mort, l’univers entier est endeuillé. Les colonnades et les frises ont disparu pour faire place à la nudité des murs du cintre, seuls subsistent les gradins de l’hémicycle, couverts de cendres. Les perruques et les beaux vêtements de cour ont disparu, tous les choristes portent le deuil, les cheveux en désordre et salis et les visages noircis, les musiciens de l’orchestre, toujours en dialogue scénique, portent le noir eux aussi. Sesto est aux aveux. L’empereur a été retrouvé vivant et hésite à suivre l’avis du Sénat qui condamne Sesto. Dans cet univers de désolation, Vitellia s’est elle aussi mise en deuil, sans rien changer à l’extravagance de ses paniers, même si le remords n’est pas loin. Pour les décors les deux actes fonctionnent en opposition. Seule Servilia reste vêtue du début à la fin d’une belle robe de taffetas rose, comme pour souligner l’honnêteté ingénue et la constance de cette jeune femme qui a su défendre son amour et refuser le mariage que lui proposait rien moins que l’empereur, comme si l’amour qui se clame ne pouvait être corrompu.
Malgré les lignes assez pures et dépouillées de la mise en scène, on relève l’ambiguïté assez charmante des costumes des chanteuses interprétant des rôles d’homme: Sesto en costume fin de siècle, portant moustache, redevient une femme éperdue et échevelée au deuxième acte, Annio porte de longs cheveux roux sur un ensemble tunique pantalon turquoise indianisant. ce qu’il y a de plus décalé, de quasi incongru, ce sont le costume noir et la coiffure à fortes coques de Publio qui campe une sorte de grand prêtre assyrien. Les émotions des protagonistes sont relayées par des vidéos géantes qui se projettent en fond de décor entre les colonnes monumentales de l’hémicycle, des vidéos qui privilégient le gros plan rapproché sur les visages, avec des effets d’amplification saisissants, qui montrent le travail expressif des chanteurs.
Si la mise en scène a intégré les musiciens et donne un éclairage intéressant au livret, c’est la musique qui captive tout au long de la soirée. Le chef Petrenko a fait depuis son arrivée à la direction musicale de l’opéra de Munich un parcours sans faute: on le savait wagnérien depuis Bayreuth, il a fait ses preuves avec sa magnifique interprétation de la Frau ohne Schatten de Strauss, on le retrouve avec enchantement dans Mozart. Voici un chef qui varie les tempi, sait ménager de la respiration dans les récitatifs et donner de la vigueur ailleurs, avec un travail de direction alerte, tout en précision, avec le souci extrême du détail et un respect absolu du chant qu’il laisse pleinement s’épanouir en modérant la puissance de l’orchestre quand il convient.
Le Maestro séduit par une coordination intelligente et attentive du chant, des choeurs et de l’orchestre. La belle distribution met à l’honneur des chanteurs de l’ensemble de l’Opéra d’Etat bavarois, qui brillent davantage que les chanteurs invités. Un public soulevé d’enthousiasme a salué la performance du Sesto de Tara Erraught, avec des applaudissements nourris dès le premier acte après un magnifique ‘Parto, parto’. Le dialogue de son riche mezzo avec la clarinette est de toute beauté. Coup de coeur pour cette chanteuse qui n’en finit pas d’étonner depuis son remplacement au pied levé de Vasselina Kasarova en 2011 pour le rôle de Romeo dans Capuleti. On la retrouvera avec plaisir dès la semaine prochaine en Angelina dans Cenerentola. Pendant le premier acte, Kristine Opolais peine à trouver ses marques dans le rôle de Vitellia, malgré un engagement scénique considérable, mais donne au deuxième acte un aria final, “Non più di fiori” qui fait oublier les inégalités de la première partie.
Angela Bower donne avec une force poignante les deux arias d’Annio dan la première partie du deuxième acte, et Hanna-Elisabeth Müller, elle aussi de l’ensemble munichois, fait une excellente Servilia. Toby Spence n’est pas exactement au rendez-vous de Titus: si son phrasé et sa voix claire sont extrêmement élégants, il rencontre quelques difficultés dans l’aigu, et son Titus ne parvient pas à convaincre. Toby Spence semble parfois incarner un adolescent fier de sa bonne action qui veut surprendre en jouant un bon tour (sa clémence) là où on ne l’attendait pas. La dignité impériale est par trop absente de son jeu et on peine à le croire lorsqu’il hésite à condamner son ami Sesto. Il ne nous permet que rarement de rencontrer le Sauveur souverain que la blanche simplicité de sa robe et de son manteau impérial laissait espérer. Enfin Tareq Nazmi, lui aussi de la troupe, fait oublier par sa puissante interprétation de Publio l’incongruité de son costume qui ne manque pas d’étonner.
Pour la Cenerentola, l’Opéra de Munich continue de parier sur la mise en scène que Jean-Pierre Ponnelle (1932-1988) avait conçue en 1968 pour l’Opéra de Florence, présentée à Munich pour la première fois en 1980 et dont le public munichois ne semble pas se lasser depuis 34 ans. On se souviendra que la même mise en scène, les mêmes décors et les mêmes costumes de Ponnelle avaient séduit les Parisiens à Garnier en 2011. Les décors en carton pâte et les costumes ont fait le tour du monde entier, la mise en scène use habilement des ficelles de la commedia dell’arte auxquelles appelle l’opéra de Rossini. Le fait de présenter la section d’un palais baroque délabré pour en faire découvrir l’intérieur permet de placer les chanteurs de front, ce qui est particulièrement recommandé et utile pour enfiler les performances artistiques exigeantes du bel canto. Pour le palais de Don Ramiro, Ponnelle avait imaginé un décor baroque dont la toile frontale se relève pour dévoiler l’intérieur planté de différents plans (châssis de coulisses et frises décorés) dont les motifs se répètent en dégradé jusqu’au lointain. La mise en scène est connue et efficace, on peut cependant souhaiter que pour le bicentenaire de la création de la Cenerentola (créé à Rome en 1817), l’Opéra de Munich offre à son fidèle public une nouvelle production de cet opéra-bouffe , l’un des plus enchanteurs qu’ait écrit Rossini.
Tara Erraught
Après l’incomparable mezzo-soprano américaine Joyce DiDonato il y a deux ans, c’est à Tara Erraught, une des plus brillantes chanteuses de la Maison, que le Bayerische Staaatsoper a confié le rôle d’Angelina. Un telle succession était redoutable, mais Tara Erraught a su brillamment relever le défi. Entourée de merveilleux chanteurs, elle a donné hier soir une délicieuse Angelina en emportant une touche personnelle toute en douceur, avec une interprétation nuancée du personnage dont elle a par son chant su souligner l’humilité, la pudeur et l’exquise générosité. Tara Erraught, qui fait partie de l’ensemble du Bayerische Staatsoper depuis 2010, avait remporté un immense succès par sa prise de rôle de Roméo au pied levé dans Capuletti en 2011.
Le même mois, elle triomphait dans le rôle-titre de l’Enfant et les sortilèges. Elle vient de donner un superbe Sesto, unanimement acclamé, dans la nouvelle production de la Clemenza di Tito à l’Opéra de Munich. La mezzo-soprano est dotée d’une belle longueur de voix, avec de jolies profondeurs dans les graves, son travail sur l’expression, sur l’interprétation, la capacité de véhiculer des émotions et des sentiments, de susciter l’émotion chez les spectateurs est devenu au fil des années de plus en plus affiné et a conduit aux belles interprétations qu’elle nous a offertes dans ses dernières prises de rôle. Un beau phrasé, une prononciation remarquable de l’italien avec des R bien roulés, une belle projection vocale, mais surtout un chant sans artifices et sans ajout d’ornementations, ce qu’on a particulièrement pu relever dans son exquise interprétation du rondo final Nacqui all’affanno.
Lawrence Brownlee, que l’on avait déjà apprécié il y a deux ans, incarne à nouveau Don Ramiro avec l’agilité de sa belle voix de ténor rompue aux exercices du bel canto, un art dont il maîtrise parfaitement les techniques et dont il semble surmonter les difficultés sans effort. L’Alidoro d’Alex Esposito est à nouveau particulièrement apprécié et applaudi, il est familier du rôle qu’il avait chanté à Garnier en 2011 et dans lequel il avait déjà remporté un retentissant succès. Eri Nakamura donne à nouveau une très belle Clorinda et amuse par sa caricature d’une jeune femme qui s’exerce à la gymnastique dans l’espoir de séduire. Paola Gardina reprend le rôle de Tisbé. Son jeu de scène a gagné en précision. Paolo Bordogna remporte un grand succès dans son interprétation hilarante de Don Magnifico qui souligne bien la grossièreté et la fatuité du personnage. Tous ces excellents chanteurs brillent également dans les feux ensembles vocaux, notamment dans le sextuor Parlar pensar vorrei de la fin de l’acte I. Riccardo Novaro enfin donne un remarquable Dandini, très à l’aise dans la maîtrise de la vocalise rossinienne, il cultive parfaitement l’art du trémolo chevroté et saccadé cher au Maître de Pesaro.
Les choeurs d’homme du Bayerische Staatsoper sont splendides, à la hauteur de leur réputation. L’orchestre est placé sous la direction de Riccardo Frizza, un chef rompu au dynamisme de la ligne mélodique rossinienne. Rien que du bonheur!
Agenda
Les 7, 9 et 12 mars 2014. Quelques places restantes.
Photo d’en-tête: Lawrence Brownlee (Don Ramiro), Nikolay Borchev (Dandini), Eri Nakamura (Clorinda), Alessandro Corbelli (Don Magnifico), Paola Gardina (Tisbe), choeurs de l’opéra.
Crédit photographique:Wilfried Hösl
Orphée et Euridyce de Glück dans le monde souterrain de Munich
C’est devenu une tradition à la fin du mois d’août: l’excellente compagnie Opera incognitad’Andreas Wiedermann et Ernst Bartmann revient étonner Munich avec une nouvelle production. Après les énormes succès d’Idomeneo en 2010 puis du Turn of the screw l’an dernier aux Bains Mueller (Müller’sche Volksbad) ou de la Clemenza di Tito dans l’arène du Cirque Krone en 2012, Opera incognita, toujours à la recherche de lieux indédits, nous emmène dans le monde souterrain de Munich pour nous y faire découvrir son Orphée et Euridyce de Christoph Willibald Gluck dans la version parisienne de 1774. Une manière originale de célébrer le tricentenaire de la naissance du compositeur allemand. L’opéra de Gluck sera monté en français avec sous-titres allemands.
Le MaximiliansForum qui accueille la production d’Opera incognita était à l’origine (1968) conçu comme un passage souterrain sous l’Altstatdtring au départ de la Maximilianstrasse. Le public ayant boudé le passage, les urbanistes munichois le transformèrent en espace culturel. A la fin du mois d’août, il deviendra la porte des Enfers.
Où et quand?
Les 29 et 30 août, les 2, 3, 4 et 6 septembre à 20 heures au MaximiliansForum, Passage Maximilianstrasse / Altstadtring, Maximilianstrasse, 38 à Munich.
Distribution
Avec Vanessa Fasoli, Danae Kontora, Derek Rue.
Chorégraphie: Ceren Oran
Danse: Renan Oliveira, Manuela Fiori Schneider.
Orchestre Opera Incognita.
Direction musicale: Ernst Bartmann
Mise en scène: Andreas Wiedermann
Tomáš Hanus et Nadja Michael, le duo gagnant de l’Affaire Makropoulos de Leoš Janáček à l’Opéra de Bavière
Nadja Michael et Pavel Černoch
Emilia Marty, née Makropoulos, a disposé de plus de 300 années pour se former au métier de chanteuse. On peut imaginer qu’avec une telle expérience combinée à une éternelle jeunesse (on lui a fait boire toute petite un elixir de jouvence) elle ait eu le temps d’accéder aux cimes himalayennes de son art et qu’elle dispose d’un organe à déplacer les menhirs.
Pour aborder ce rôle d’exception, il faut une chanteuse exceptionnelle dont la voix et la présence tiennent la scène et le public en haleine pendant toute la durée de ce spectacle d’une heure quarante-cinq minutes, une chanteuse assez puissante pour rendre le conte de l’immortalité crédible, pour exprimer les tourments psychiques que cette survie génère, jusqu’à l’aboutissement du choix délibéré de la mort.
Cet opéra en trois actes est présenté sans entracte au Bayerisches Staatsoper, et c’est là la meilleure option, tant il est important de ne pas interrompre la progression de la tension dramatique et de son expression musicale. C’est Nadja Michael qui a été retenue pour incarner la présence impériale et froide de l’ immortelle cantatrice, une femme puissante et sarcastique qui dévore les hommes qu’elle fascine tous sans exceptions, parce qu’elle ne peut ni les aimer ni recevoir l’amour qu’ils sont toujours prêts à lui offrir. La belle Saxonne remplit toutes les conditions du rôle: une beauté énergique et rayonnante, la résistance et l’endurance d’une athlète, une voix puissante qui passe l’orchestre du début à la fin du spectacle, et un jeu théâtral capable d’exprimer l’évolution tragique d’un personnage qui passe de la domination cynique à l’acceptation de la mortalité. Nadja Michael a tenu le public captif pendant toute la durée de l’opéra, sa performance a été saluée de salves d’applaudissements, de bravi et de trépignements. Une grande actrice au soprano vibrant et chaleureux, qui s’investit totalement dans le rôle qu’elle incarne avec une force de pénétration psychologique qui laisse pantois. L’interprétation de l’oeuvre de Leoš Janáček implique la capacité à traduire vocalement l’état psychologique du personnage représenté, ce en quoi Nadja Michael excelle.
Nadja Michael est adamantine, et ses brillances se marient à la musique d’un orchestre et de choeurs qui semblent rendus extatiques de pouvoir exprimer l’alchimie de la rencontre d’une telle cantatrice et d’un tel chef d’orchestre. Tomáš Hanus est devenu le maître incontesté de la direction des opéras de Leoš Janáček, et plus spécialement de l’Affaire Makropoulos dont il vient de publier une nouvelle édition critique. Il en a la connaissance intime, et en rend compte avec une congénialité passionnée, avec précision et délicatesse, sans jamais jouer l’orchestre contre les chanteurs, mais en en soutenant attentivement les voix. On est bouleversés d’avoir le privilège d’être là en train d’écouter ce qui pourrait bien être la résurrection de l’oeuvre telle que Leoš Janáček l’avait conçue et lui-même dirigée. Tomáš Hanus et l’orchestre recevront une immense ovation.
Face à une telle force , la distribution est heureusement excellente, avec le beau Pavel Černoch, un ténor tchèque natif lui aussi de Brno, comme Leoš Janáček et le Maestro Tomáš Hanus. Il interprète le rôle d’Albert Gregor avec la force passionnelle du désespoir. Tara Erraught rend bien compte de la folie inconsciente et juvénile de Krista qui rêve de gloire et est prête à se damner pour y accéder: elle revêt les somptueuses fourrures d’Emilia Marty avant de connaître une apothéose.
La mise en scène d’Árpád Schilling travaille une approche métaphorique de l’oeuvre dont il respecte l’esprit, tout en laissant l’interprétation de sa vision ouverte, car les métaphores de Schilling ne sont pas toujours accompagnées de leurs clés de lecture, si ce n’est au moment du tableau final. Schilling et son décorateur Márton Ágh utilisent le grand plateau tournant, qui rend aisés et rapides les changements de lieux entre les actes. Sur le plateau ils érigent une structure conique tronquée, noire et marmoréenne au premier acte, avec en son centre un entassement de sièges et de chaises imbriqués les uns dans les autres, où est ménagée ici et là une ouverture insoupçnnable qui livre passage à un chanteur.
Les sièges symbolisent peut-être le pouvoir de tous ces hommes assis et installés qui malgré leur puissance n’ont pu résister aux charmes d’Emilia, comme pourrait le faire penser une scène postérieure où un fauteuil de bureau s’effondre entraînant la chute de celui qui y est assis. Kafka et le Château ne sont peut-être pas loins. Les murs de marbre noir céderont la place à des murs élevés décorés de grands carrelages à l’uniformité froide et ennuyeuse, au centre desquels s’élèvent un moment une série d’escaliers de secours comme ceux qu’on voit sur les brownstones new-yorkais. Les carrelages ont le côté glacé d’Emilia Marty qui a perdu son coeur au cours de siècles emplis de sexe et de séductions stériles. La bonne balaye des monceaux de roses blanches, cadeaux rejetés de ses adorateurs. Marty promène son charme indifférent dans de voluptueuses fourrures. Des floconnements blancs entourent le plateau, ouates neigeuses blanches comme les fleurs dédaignées ou comme la robe de soirée de la cantatrice, qu’elle arbore avec une sensualité aguichante lorsqu’elle ne revêt pas des tenues noires plus dominatrices. Les costumes sont eux aussi signés Márton Ágh. Les décors ont la force du symbole, et si tout n’est pas toujours lisible au premier degré, la mise en scène est sobre, cohérente, et place avec une insistance heureuse le personnage de la cantatrice au centre de l’action, et généralement de la scène.
La mise au tombeau, Les cimes descendent vers Krista (Tara Erraught)
Le jeu des métaphores connaît une solution de continuité au moment des scènes finales où l’on se voit balancer une série d’évidences qui jusque là avaient été plus finement suggérées. La mise en scène sombre dans un kitsch hallucinant: après une scène de flagellation SM, une tombe héllénistique aux colonnes corinthiennes surgit de terre (bon sang mais c’est bien sûr, Emilia Marty, EM, n’est autre que Elina Makropoulos, et elle accepte de mourir, il lui faut donc un mausolée), Krista en fourrures accepte le cadeau empoisonné de la potion magique, et parade en fourrures sur la tombe tandis que du cintre descend un plateau des montagnes enneigées, percé d’un grand trou qui viendra s’enfiler sur l’infortunée avide de gloire, mais désormais seule, et pour l’éternité, dans les solitudes glacées des cimes.
Comme c’était la fin de l’opéra, le public subjugué par la magie musicale de l’interprétation de l’oeuvre, et par la performance de Nadja Michael, s’est contenté d’applaudir moins intensément le metteur en scène et son équipe, et a consacré un grand moment musical.
Distribution
Emilia Marty Nadja Michael
Albert Gregor Pavel Černoch
Vítek Kevin Conners
Krista Tara Erraught
Jaroslav Prus John Lundgren
Janek Dean Power
Dr Kolenatý Gustav Beláček
Machiniste de théâtre Peter Lobert
Femme de ménage Heike Grötzinger
Hauk-Schendorf Reiner Goldberg
Femme de chambre Rachael Wilson
Prochaines représentations
Les 22, 26, 29 octobre et le 1er novembre 2014
Le 2 juillet 2015 (pendant le festival d’été)
Peter Grimes de Benjamin Britten au Prinzregententheater
Belle entrée de saison pour le Theater-am-Gärtnerplatz avec la brillante mise en scène de Peter Grimes de Benjamin Britten par Balázs Kovalik, qui rend compte de la complexité de l’oeuvre sans jamais nous cloisonner dans une lecture unique et réductrice. Kovalik ne tombe pas dans le piège de réduire l’oeuvre à un miroir de la personnalité de Britten, dont il énonce cependant certains éléments. Sa mise en scène approche les tours et les détours du personnage gravement perturbé de Peter Grimes, les déchirements qui l’agitent, et son incapacité à communiquer. L’ostracisme que subit le pêcheur est aussi en partie l’émanation de son être propre, comme l’évoque la belle scène de flash back où Grimes voit apparaître son père en train de le corriger et de la battre. Ellen vient de découvrir les marques de maltraitance sur le corps du deuxième mousse et Grimes se rend compte que son apprenti a parlé. Kovalik évoque par touches suggestives la psyché de Peter Grimes et de son rapport à l’enfant: l’enfant battu qu’il a été, les enfants que peut-être il désire avoir avec Ellen, qui est prête à l’épouser alors même qu’il accumule les prétextes pour retarder le mariage, les enfants mousses dont il abuse en les abrutissant de travail et peut-être aussi en les utilisant sexuellement, ces enfants qu’il maltraite comme il fut maltraité mais dont il voudrait paradoxalement être aimé.
Dans sa mise en scène, Kovalik étudie minutieusement le phénomène de la constitution d’un bouc émissaire, la manière dont la rumeur s’installe et enfle, la manière dont certaines personnes s’en emparent, et leur excitation à la transmettre. C’est extrêment bien réalisé et extrêmement dérangeant car on ne peut s’empêcher de se reconnaître au moins en partie dans la foule haineuse, qui ne se résout pas à accepter le verdict de la justice (-Grimes a été innocenté des soupçons qui pesaient sur lui suite à la mort de son premier apprenti-), qui insulte, tabasse et isole celui qu’elle a condamné. A diverses reprises, Kovalik fait exécuter à la foule des mouvements mécaniques qui la dépersonnalisent, et lui fait revêtir des costumes uniformes, conçus par Mari Benedek: ainsi des femmes qui ont toutes un gros chignon-boule placé au-dessus de la tête, des hommes qui revêtent un moment des uniformes cagoulés de type milice, ou des villageois endimanchés tout de noir vêtus qui se rendent en masse à l’office du dimanche, ou encanaillés tout de rouge vêtus pour les orgies du samedi soir. La foule des villageois n’est pas moins complexe que celui qu’elle rejette et persécute. Tout cela donne l’image d’un monde hideux. Dans le dépotoir des âmes, la fraîcheur de l’amour d’Ellen pour Grimes ou l’humanité de Balstrode ne font pas le poids face à la vindicte populaire et n’ont pas non plus de pouvoir de transformation suffisant pour exorciser les démons qui hantent Grimes.
La mise en scène utilise des éléments de décors, dus à Casaba Antal, aussi sobres qu’efficaces et qui évoquent la vie d’un petit port de pêche: deux passerelles mobiles, un container qui remplira plusieurs fonctions (- cela va de l’église à la boîte de nuit-), un grand cercle métallique suspendu auquel est accroché un immense rideau de plastique transparent qui suggérera tantôt la mer et les vagues, tantôt les voiles des bâteaux et le vent, tantôt la falaise dont le mousse tombera en hurlant, un rideau qui miroite au soleil dont il accueille la lumière, un petit bateau de plexiglas transparent, le bateau de Peter Grimes, qui disparaîtra sous la scène pour suggérer le suicide de Grimes à la fin du troisième acte.
Le plastique et la transparence sont partout: du grand rideau au petit bateau, des imperméables en plastique transparent que revêtent les villageois aux mètres de cellophane qu’on utilise pour se protéger comme pour contraindre, pour baîllonner à la limite de l’étouffement, pour emballer les corps lors de jeux sexuels. Mais la transparence du plastique, de la cellophane ou du plexigas n’est qu’un leurre: Peter Grimes, le propriétaire du bateau transparent, est opaque, et les villageois, malgré leurs imperméables, sont contamment mouillés, ne fût-ce que parce que sous le plastique s’accumule la sueur des corps. Balázs Kovalik réalise ici avec succès un travail de réflexion et de modulation de deux élements, le plastique et l’eau, qu’il combine tout au long de sa mise en scène. C’est théâtralement interpellant et très réussi. Un voile de plastique peut aussi signifier la barrière entre la mort et la vie. Ainsi voit-on l’apprenti-mousse, après sa chute fatale, venir se coller contre le rideau de plastique sans plus pouvoir le traverser. Il se couche ensuite au travers des corps alllongés côte à côte d’une série d’hommes qui, en roulant sur eux-mêmes, feront progresser le coprs de l’enfant-mort, comme s’il était emporté par les flots, un tableau très bien mené.
Le rôle de Peter Grimes demandait un ténor d’exception que le Theater-am-Gärtnerplatz a trouvé en la personne de Gerhard Siegel, qui a accepté de relever le défi du rôle. Gerhard Siegel est un Heldentenor, qui a au cours de sa carrière abordé la plupart des rôles pour ténor wagnériens. Il fait ici ses débuts dans le rôle de Grimes, qu’il rêvait de pouvoir aborder. Edith Haller dispose d’une voix claire avec une émission très pure. Le rôle d’Ellen, la maîtresse d’école au grand coeur amoureuse de Peter Grimes, lui va comme un gant. Ashley Holland remporte lui aussi un beau succès pour son interprétation du capitaine Balstrode. Marco Comin et l’orchestre du Theater-am_Gärtnerplatz rendent bien la progression et la tension dramatique de l’oeuvre, avec un beau travail des choeurs, démultipliés pour cet opéra au plateau imposant. A signaler encore, la qualité du travail d’acteur de Rafael Schütz, qui joue le rôle du ‘boy’, le mousse de Peter Grimes.
Prochaines représentations
Les 23, 27, 29 et 31 octobre 2014,
Le 2 novembre 2014
Crédit photographique: Thomas Dashuber
L’époustouflante Dame aux camélias de Lucia Lacarra
Pour la première de la reprise de La Dame aux camélias de John Neumeier, Lucia Lacarra et son partenaire Marlon Dino, deux danseurs étoiles du Bayerisches Staatsballett, nous ont à nouveau donné une démonstration éblouissante de leur maîtrise de l’art du ballet (Voir le post de présentation).
Lucia Lacarra, émouvante en Madeleine Gautier
La Dame aux camélias, sur des œuvres de Chopin, est un ballet aux exigences extrêmes pour les protagonistes, d »abord par l’endurance physique qu’il exige, le spectacle dure trois heures et demande la présence en scène quasi permanente de la Dame, Marguerite Gautier, et de son amant, Armand Duval. Comme il s’agit d’un ballet narratif, il faut que les danseurs déploient des talents d’acteurs égaux à leurs talents de danseurs: la gestuelle, l’expression corporelle, l’art du regard sont essentiels à la compréhension de l’oeuvre.
La danseuse-étoile doit se faire tragédienne. Hier soir, Lucia Lacarra semblait possédée par le génie des trois Muses: Terpsichore, Polymnie et Melpomène s’êtaient donné rendez-vous pour habiter son corps de leur présence inspirée. On a rarement pu voir sur scène un tel art de la transformation, l’expression de la progression de la maladie et de la dégradation des fonctions vitales par la danse, la pantomime et le théâtre confinaient au sublime. Et l’exploit est d’autant plus notable que le chorégraphe a poussé le personnage aux extrêmes possibles de la danse et de l’expressivité. Et il ne s’agit là encore que du travail sur scène, en coulisse la danseuse doit encore se soumettre aux soins diligents des habilleuses et des maquilleuses, elle change treize fois de costume au cours de la soirée, et les retouches du maquillage doivent souligner la progression inéluctable des maux physiques et moraux qui rongent l’infortunée héroïne. En outre, il faut encore que pendant les nombreux portés acrobatiques elle songe à ramener avec élégance ses jupons parfois encombrants qui ont une fâcheuse tendance à recouvrir la tête de son partenaire, au risque de l’aveugler un moment. S’il ne s’agit là que d’un détail qui ne manque pas de faire sourire le public, c’est une tâche supplémentaire pour l’artiste, qui l’exécute avec une grâce toute aristocratique. Lucia Lacarra et Marlon Dino, partenaires à la scène comme dans la vie, ont atteint le sommet de leur art avec une maîtrise technique, une fiabilité et une assurance rares dans la coordination gestuelle. Un régal!
Trente-six ans après sa création à Stuttgart, le ballet de John Neumeier n’a pas pris une ride. Les musiques de Chopin sont combinées à la chorégraphie dont elles soulignent le romantisme de la progression dramatique, et parfaitement jouées par un orchestre dirigé avec compétence par Michael Schmidtsdorff, un chef d’orchestre spécialisé dans la direction de la musique de ballet, et qui a souvent travaillé en collaboration avec John Neumeier. Deux pianistes, Wolfgang Manz dans la fosse et Simon Murray sur scène, exécutent avec talent les parties si essentielles du piano
Si le premier acte relève davantage de la narration théâtrale pour exposer les données de l’action, le deuxième et le troisième actes recourent aux découpes classiques, avec un langage chorégraphique qui, s’il exige de la virtuosité, sait introduire un tension et un approfondissement psychologique grandissants, qui prennent à chaque scène davantage aux tripes des spectateurs. On oublie vite ce qui pouvait paraître conventionnel dans l’installation de l’action durant le prologue et le premier acte, et on est bientôt emportés par l’intensité des sentiments exposés.
Lors de la première, on a pu apprécier plusieurs prises de rôle: le Monsieur Duval de Cyril Pierre, la Nanina d’Elaine Underwood et le Comte N. d’Ilia Sarkisov. Pour les représentations suivantes, Lucia Lacarra, Poliona Semionova et Daria Sukhorova interprétent en alternance le rôle de Marguerite Gautier, celui d’Armand Duval étant confié à Marlon Dino et Matej Urban. Pour Daria Sukhorova et Matej Urban, il s’agit d’une prise de rôle, à laquelle on pourra assister ce 24 octobre.
Agenda et réservations
Les 18, 24 et 25 octobre 2014
Les 22, 23 et 29 novembre 2014
Les 9, 13 et 15 février 2015
au Théâtre national de Munich.
L’affaire Makropoulos de Janáček en version originale au Bayerische Staatsoper
Première d’ouverture de saison à l’Opéra d’Etat de Bavière: le Hongrois Árpád Schilling, auquel on doit déjà un Rigoletto à Munich, met en scène L’affaire Makropoulos (Věc Makropulos) de Leoš Janáček. L’opéra sera chanté en tchèque au Théâtre national, avec Nadja Michael dans le rôle principal.
A la veille de cette nouvelle mise en scène, le chef d’orchestre tchèque Tomáš Hanus, publie aux Editions Bärenreiter une nouvelle édition critique de l’oeuvre, qui a pour objectif de renouer avec la partition originale de la création de l’oeuvre en décembre 1926 à Brno. Les premières éditions de l’oeuvre avaient proposé des aménagements et des améliorations présumées de l’oeuvre, une manière de contourner le problème des difficultés de lecture de l’écriture souvent illisible de Janáček et celui du manque de détails à de nombreux endroits de la partition. Hanus a ajouté à l’oeuvre les caractéristiques dynamiques nécessaires et aménagé de transitions de tempo claires sur la base des sources originales. Il veut «trouver un moyen d’ouvrir aux générations futures la langue complexe et idiomatique de Janáček, et, lorsque c’est nécessaire, de la traduire à leur usage ». Ce travail fut pour Hanus une entreprise majeure, il lui fallut près d’une année pour la mener à bien, un travail animé par la passion de Hanus pour l’oeuvre de Janáček. Hanus s’est donné pour objectif de rendre la partition aussi compréhensible que possible, tout en fournisssant suffisamment d’informations pour y maintenir une ouverture aux diverses possibilités d’interprétation.
Les compositions de Janáček ont accompagné Hanus tout au long de son parcours. Il est né à Brno, le lieu de la création de l’opéra, et y a fait ses études à l’Académie Janáček. Il a fait ses débuts à Bastille en 2007 en dirigeant L’affaire Makropoulos dans une mise en scène de Krzysztof Warlikowski.
Distribution
La femme de chambre d’Emilia Rachael Wilson
Emilia Marty Nadja Michael
Albert Gregor Pavel Cernoch
Vítek Kevin Conners
Christa Tara Erraught
Jaroslav Prus John Lundgren
Janek Dean Power
Dr. Kolenatý Gustav Belácek
Un machiniste de théâtre Peter Lobert
Femme de ménage Heike Grötzinger
Hauk-Schendorf Reiner Goldberg
Orchestre et choeurs d’Etat de Bavière
Agenda et retransmissions
Leoš Janáček
Die Sache Makropulos
Premiere le 19.10.2014
Puis les 22, 26 et 29 octobre et le 1er novembre 2014
au Théâtre national de Munich.
La première sera retransmise en direct radio à partir de 18H sur BR-Klassik (aussi via internet).
L’Aïda de Torsten Fischer, une mise en scène qui va au coeur du drame
Le Theater-am-Gärtnerplatz reprend pour trois représentations la mise en scène pénétrante de Torsten Fischer dont la première, qui avait eu lieu en juin dernier, avait déchaîné l’enthousiasme du public et de la critique. La direction d’opéra est un art complexe que Josef Köpplinger, le Superintendant du Gärtnerplatztheater, maîtrise avec brio et succès, ce dont il donne une nouvelle fois la preuve avec cette Aïda. Le choix des metteurs en scène invités en constitue un pari difficile, que Köpplinger a remporté haut la main avec Torsten Fischer.
Berlinois d’origine, Torsten Fischer a fait la plus grande partie de sa carrière dans le monde du théâtre à Brême et Cologne et également à Vienne, comme metteur en scène et directeur de théâtre. On lui doit également une vingtaine de mises en scène d’opéra, dont une Bohême à l’Opéra national du Rhin à Strasbourg. Sa mise en scène du Telemaco de Gluck au Theater-an-der-Wien en 2012 a été couronnée l’an dernier par l’attribution du Goldener Schikaneder de la meilleure mise en scène , un prix centré sur les productions de théâtre musical en Autriche.
A Munich, Fischer a monté une Aïda débarrassée de l’écueil du kitsch orientaliste des pyramides et autres chameaux, une Aïda qui va au coeur du drame des personnages et privilégie la dimension humaine en réduisant autant que faire se peut les références à l’histoire. Le cadre est contemporain, Aïda est présenté comme un drame de l’amour en butte aux intérêts de la politique et de la guerre.
Aïda (Sae Kyung Rim)
Pendant le prologue, une femme en burqa se tient devant un rideau d’avant-scène fait de papier blanc. Derrière elle des ombres chinoises essayent de l’agripper jusqu’au moment où un bras déchire le rideau. Aïda, éthiopienne voilée et pudique, convoitée pour sa beauté par des hommes lubriques, conquiert le coeur de Radamès qui la protège. Lors de la marche triomphale, le rideau de papier est déchiqueté par la projection du corps des vaincus que l’on humilie en les jetant à terre.
Le décor minimaliste et ingénieux, de froides parois aux reflets d’acier évoquent la réclusion et la perte de liberté. Parfois une toile de fond reçoit la projection d’une écriture peut-être démotique. Le décor sert surtout de faire valoir aux personnages constamment mis en lumière, souvent présents en scène comme témoins muets de l’action ou pour évoquer la place qu’ils tiennent dans les préoccupations des protagonistes. Le Grand Prêtre Ramphis concentre le pouvoir, Fischer lui donne des allures de parrain aux lunettes noires. Face à lui, la faiblesse de Pharaon est accentuée par sa couronne ubuesque, élément de ridicule dans un monde triste en noir et blanc, avec les costumes sombres des hommes et la robe de mariée dont s’affuble Amnéris qui parade dans la folie de ses espérances amoureuses. Seul le rouge du sang qui recouvre le visage et le torse nu de Radamès vient colorer la grisaille angoissée des jeux de pouvoir et des fureurs guerrières.
Fischer excelle dans l’art des tableaux et des mouvements de scène. L’évocation visuelle des sentiments qui animent les protagonistes ou qui mobilisent les foules fait de sa mise en scène une oeuvre chorégraphée qui sollicite constamment l’attention de spectateurs captivés, avec une très belle rythmique des mouvements de foule, et pour certaines scènes, avec un sens du rituel antique. Il donne à voir, il concrétise ce que l’on entend, ce qui a pour résultat que l’on est rendu plus accessible à la musique et au chant, dont on comprend mieux un contenu que la plupart connaissent pourtant déjà fort bien. Fischer est un révélateur, Sa mise en scène est au service de l’opéra qu’elle met en valeur en soulignant les déchirements internes des partenaires d’un couple impossible ou d’une amante infortunée. Le metteur en scène berlinois trouve de plus des solutions ingénieuses à des problèmes récurrents de la mise en scène d’Aïda. Ainsi, dès la condamnation de Radamès, deux rideaux des scène descendent du cintre pour le séparer du Grand Prêtre et du choeur qui viennent de la condamner. Pour la scène finale, un grand grillage sur lequel se tient Amnéris à présent en robe de deuil descend sur les amants qui se préparent à leur mort exaltée et les confine dans un espace de plus en plus réduit, comme s’ils allaient y être écrasés. La visulisation de l’enfermement puis la de l’agonie et de la mort d’Aïda et de Radamès est ainsi pleinement réussie.
Les décors et les costumes d’Herbert Schäfer et de Vassilis Triantafillopoulos rencontrent l’atemporalité de la mise en scène et la focalisation dramaturgique sur la psychologie des personnages. Le remarquable travail de mise en lumière de Wieland Muller-Haslinger y contribue par ses très beaux effets.
L’orchestre et les choeurs magnifiquement entraînés par Jörn Hinnerk Andresen sont à présent dirigés par Michael Brandstätter, qui a pris le relais de Mario Comin qui était au pupitre en juin dernier. Ils fournissent un travail de fort belle tenue qui leur vaut les acclamations nourries un public enthousiaste et reconnaissant. Sae Kyung Rim donne une Aïda émouvante, avec un soprano puissant qui parvient à bien passer l’orchestre et les choeurs dans les ensembles, elle excelle dans l’expression dramatique. Si les nuances émotionnelles ne sont pas toujours présentes, on en pressent le potentiel chez cette chanteuse que la Scala a déjà retenu à plusieurs reprises pour des rôles secondaires. Le Radamès de Gaston Rivero passe en force, à l’aune de sa présence scénique. Monika Bohinec, plus à l’aise dans le grave que dans l’aigu, séduit par la conviction de son jeu théâtral. La basse Sergii Magera donne une belle ampleur au personnage de Ramphis, avec un bémol cependant pour le nonuple appel à Radamès au moment du jugement, qu’on imaginerait volontiers plus différencié.
La palme de la soirée revient sans conteste à l’excellente mise en scène de Torsten Fischer, qu’on aimerait voir revenir pour d’autres productions sur les scènes munichoises.
Prochaines représentations au Prinzregententheater: les 10 et 12 novembre 2014, quelques places restantes.
Crédit photographique: Christian POGO Zach
Programmation 2014 au Bayerische Staatsoper
Année Strauss à l’Opéra de Munich
Programmation 2014 au Theater-am-Gärtnerplatz
Bayerische Staatsoper: la saison 2014/2015 à l’Opéra de Munich
Le Superintendant du Bayerische Staatsoper Nikolaus Bachler et le Directeur général de la Musique Kirill Petrenko ont présenté ce matin le programme de la prochaine saison à la presse. Le thème de la saison Blicke Küsse Bisse (Regards, baisers et morsures) s’inspire de l’oeuvre d’Heinrich von Kleist: ces trois mots cernent assez précisément le monde émotionnel de l’opéra. Le contraste entre l’amour et la haine comme moteur de l’action est au coeur des nouvelles productions de la saison à venir, précise Nikolaus Bachler.
Kirill Petrenko dirigera deux nouvelles productions: Lucia di Lammermoor de Donizetti dans une mise en scène de Barbara Wysocka (avec Diana Damrau et Pavol Breslik), et Lulu d’Alban Berg avec Marlis Petersen dans le rôle-titre, dans une mise en scène de Dmitri Tcherniakov. Avec la reprise du Ring, Kirill Petrenko dirigera pour la première fois des oeuvres de Wagner à l’Opéra de Munich.
Le Theater-am-Gärtnerplatz a présenté son programme 2014-2015
L’intendant Josef E. Köpplinger, le directeur musical Marco Comin, le directeur du ballet Karl Alfred Schreiner et le chef d’entreprise Max Wagner ont présenté ce matin le programme de la prochaine saison du Theater-am-Gärtnerplatz.
En début de saison, Marco Comin dirigera Peter Grimes de Benjamin Britten dans une mise en scène de Balàsz Kovalik. Vient ensuite l’opérette Wiener Blut (Sang viennois) de Johann Strauss. Le 150ème anniversaire de la naissance de Richard Strauss sera fêté par une présentation de son ballet Schlagobers (Crème fouettée, en autrichien) chorégraphié par Karl Alfred Schreiner , une oeuvre dont Strauss avait composé tant la musique que le livret.
Début 2015, une comédie musicale pour les enfants de 7 à 107 ans: Cinderella, une oeuvre de Thomas Pigor. Suivront les comédies musicales Gefährliche Liebschaften, une oeuvre de Marc Schubring inspirée du roman Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, et un grand classique, Singin in the Rain, dans la mise en scène de Josef E. Köpplinger. Une création originale: la chorégraphie de Hattrick, un ballet footballistque (un ‘foot-ball-et’) de Jo Strømgren, Marco Goecke et Jacopo Godani.
L’opérette Dr. FAUST junior (version en allemand du Petit Faust) de Louis-Auguste-Florimond Ronger (alias Hervé) sera montée en collaboration avec l’Académie de théâtre bavaroise August Everding. En juin, on pourra voir une nouvelle mise en scène de Così fan tutte par Olivier Tambosi au Théâtre Cuvilliés.
En fin de saison, la comédie musicale de Thomas Hermann BUSSI – Das Munical mettra en scène les plus grands hits de la nouvelle vague allemande.
Année Strauss à l’Opéra de Munich
Le Bayerische Staatsoper se doit de fêter dignement le 150ème anniversaire de Richard Strauss. Il le fait en proposant un important programme des oeuvres du compositeur bavarois. Kirill Petrenko vient de diriger au début du mois de mars une série de représentations du Rosenkavalier. Quatre autres opéras du compositeur munichois seront joués au cours de la saison. En outre, deux concerts et une matinée de Lieder lui seront consacrés.
Salomé
Reprise de Salomé fin mars dans la mise en scène de William Friedkin (French Connection, L’exorciste) et sous la baguette d’ Asher Fisch et avec Nadja Michael dans le rôle-titre. Alan Held chantera Jochanaan et Gabriele Schnaut sera Herodias (les 22, 26, 29 mars et le 2 avril).
Ariadne auf Naxos
Ariadne auf Naxos sera représenté en mai ainsi que pendant le Festival d’été munichois (Münchner Opernfestspiele) avec à nouveau Asher Fisch, très présent cette saison à l’opéra de Munich, où il dirige pas moins de six opéras. Ricarda Merbeth chantera Ariadne et Robert Dean Smith Bacchus. Angela Brower incarnera le Compositeur (les 16, 19 et 22 mai), un rôle que reprendra Daniela Sindram pendant le Festival d’été le 23 juillet.
Concert festif à l’occasion du 150ème anniversaire de la naissance du compositeur
Ce Festkonzert permettra d’entendre les Métamorphoses, le Poème symphonique Don Juan op. 20 ainsi que les Vier letzte Lieder interprétés par la soprano Soile Isosoki. Le trio final du Rosenkavalier sera interpété par Tara Erraught (Octavian), Golda Schultz (Sophie) et Soile Isosoki (La Maréchale) Kirill Petrenko sera au pupitre pour ce concert qui aura lieu le 9 juin.
Opéra pour tous (Oper für alle) pendant le Festival d’opéra munichois.
Un concert (Festspielkonzert) sera donné gratuitement le 12 juillet sur la Marstallplatz, avec entre autres des oeuvres de Strauss: Les Joyeuses Facéties de Till l’Espiègle op.28, des Lieder et Une vie de héros (Ein Heldenleben op.40). L’orchestre d’Etat de Bavière sera dirigé par Philippe Jordan, avec Diana Damrau en artiste vedette.
Année Strauss: reprise de Salomé à l’opéra de Munich
Le Bayerische Staatsoper a repris la Salomé de Richard Strauss dans la mise en scène de 2006 du cinéaste américain William Friedkin avec les décors aussi beaux qu’efficaces de Hans Schavernoch, qui utilisent au mieux les ressources du plateau mobile de l’opéra de Munich. Sans jamais se départir de l’unité de lieu, Friedkin et Schavernoch introduisent un mouvement subtil du décor, un péristyle de marbre blanc dont les lignes de fuite et la hauteur se modifient au fil de l’action. Dans le mur, une simple crevasse permet la communication avec la prison-citerne de Jochanaan.
Les piliers du péristyle sont nus, le décor sobre et dépouillé met en valeur les protagonistes de l’action : il s’agit de laisser les âmes se dévoiler, la mise en scène les met en pleine lumière, sans s’encombrer de bibelots qui évoqueraient le temps historique de l’action. Bien davantage qu’un récit biblique biblique, Salomé est un opéra qui nous entraîne dans les tréfonds les plus sordides de l’âme humaine. La tendance au dépouillement se retrouve aussi dans les costumes, plutôt traditionnels, n’était-ce la modernité de la petite robe noire de soirée, à la jupe doublement fendue, magnifiquement portée par l’athlétique Nadja Michael. L’évocation de la nuit lunaire se fait par une belle utilisation des lumières tout au long de l’opéra, le cours céleste de l’astre satellite est simplement suggéré par la modulation de reflets irisés sur les parois du péristyle. Une mise en scène qui rencontre la puissance cathartique de la musique de Strauss.
L’entrée en scène physique de Jochanaan est un moment clé de la mise ne scène. Du sol monte un énorme bloc de basalte au creux duquel est lové le prophète. C’est comme une montée de forces telluriques supranaturelles, la lave figée a la forme d’une aile peut-être angélique.
La danse des voiles reçoit avec Friedkin une dimension supplémentaire : Salomé ne réduit pas le seul Hérode à sa merci en lui concédant les charmes de son évolution lascive, chacun des voiles lui servira à soumettre aux pouvoirs de sa séduction tout ce qui vit dans le palais du tétrarque. Un danseur en collant noir porteur d’ailes noires aux plumes maléfiques et masqué d’une tête de mort double la danse de Salomé. Ce sont bien là les mondes qui s’affrontent dans une rencontre impossible : l’amour dément de Salomé qui s’est séparée de tout sens du réel au point de désirer supprimer une vie pour la folie d’un baiser nécrophile ne peut rejoindre l’amour divin d’un prophète qui s’est déjà détaché des illusions de la vie terrestre.
Le problème scénique de la mise à mort de Salomé est habilement résolu par l’arrivée d’une série de figurants entièrement vêtus de houppelandes noires qui viennent entourer Salomé qui se dissout dans leur encerclement funèbre.
Nadja Michael a le physique d’un rôle qu’elle incarne avec une puissance intériorisée, elle dispose de la maturité et de l’endurance si nécessaires pour développer toute l’ampleur et la progression tragiques du personnage de Salomé, avec un magnifique soprano dramatique qui peut atteindre les notes les plus basses du mezzo. Alan Held apporte toute son expertise du rôle de Jochanaan qu’il chante pour la troisième fois à Munich, avec une intelligence analytique de la musique de Strauss et une parfaite connivence avec l’excellent orchestre bavarois dirigé par Asher Fisch: ce chanteur a de rares qualités d’écoute, ce qui donne la si belle synchronicité de sa performance. L’Hérode d’Andreas Conrad reçoit des applaudissements très nourris. Gabriele Schnaut donne une Herodias convaincante, avec un beau jeu d’actrice, mettant sa maturité au service d’une Hérodiade fatiguée par les outrages subis et installée dans un rôle de matrone douairière. A signaler aussi l’excellent ténor lyrique de Joseph Kaiser dans le rôle de Narraboth, avec une voix limpide, une grande clarté de tons et une expressivité amoureuse poignante.
Prochaines représentations: les 29 mars et 2 avril. Quelques places restantes pour le 2 avril.
Luc Le Belge est expatrié à Munich, en Bavière et vous fait découvrir la belle ville de Munich aux multiples attraits et à l’actualité culturelle très dense, mais aussi la société bavaroise, qui est si particulière en Allemagne…