«Ma vie est un roman», voilà le motto de tous les livres que l’on a pu lire cinq jours durant au mois de mars à Târgu Mures, ville du centre de la Roumanie. Editions princeps ou rares, à l’intention des curieux d’apprendre davantage de choses sur des personnages marginalisés ou soumis à l’opprobre public.
Le côté le plus intéressant de cette bibliothèque temporaire de Targu Mures a sans doute été celui que les livres étaient en fait des gens prêts à raconter leurs vies. Voici une de ces histoires : « J’ai été édité en ’79 par Ion et Floarea, arrêté en 2005 pour trafic de drogues. J’ai plein de tatouages sur le corps. J’ai suivi des cours de métiers. J’ai été dealer aussi. Voilà mon histoire, que je suis venu vous raconter dans cette Bibliothèque vivante ».
Plusieurs organisations de Roumanie ont embrassé il y a six ans le modèle danois de la bibliothèque des livres vivants. Iulia Sara, coordinatrice de l’évenement organisé à Targu Mures, nous a parlé de la nécessité d’une telle manifestation culturelle :
«Nous, les gens, nous avons des idées reçues et des stéréotypes à l’égard de certaines catégories de personnes. Or, il nous faut, je pense, communiquer les uns avec les autres. Le concept n’est pas nouveau, il a été emprunté au Danemark par une ONG bucarestoise. Il s’agit de « Art Fusion », notre partenaire dans ce projet.
Nous avons entendu parler de la bibliothèque des livres vivants l’année dernière, lorsque moi-même j’ai joué le rôle d’un livre à la bibliothèque de Miercurea Ciuc. J’ai beaucoup aimé l’idée, la méthode proprement-dite, l’ouverture du public à ce genre d’événements relevant de l’éducation informelle, son impact. Parce que des ocacsions pareilles nous aident à mieux saisir les dissemblances, à comprendre que l’on peut interagir, pourvu que l’on prête attention aux petits détails et aux besoins de tout un chacun.
Dans cette bibliothèque, j’ai illustré des livres moins prétentieux. J’ai été végétarienne et conseillère en orientation et gestion de carrière de carrière, mais les expériences les plus intenses sont celles de jeunes infectés par le VIH, des personnes à dishabilités, des anciens accros à la drogue, des malvoyants et ainsi de suite ».
Quels livres a-t-on empruntés?
« Nous nous sommes proposé d’offrir au public autant de catégories possibles de personnes sur lesquelles on nourrit des préjugés. Du coup, on peut emprunter des Roms, des photographes spécialisés dans la réalisation des nus, d’anciens alcooliques ou toxico, des Palestiniens musulmans, des personnes avec déficiences, des non voyants, des sourd-muets, des végétariens, un séropositif, un Américain, un étudiant moldave ou encore un psychologue. Voici en bref nos livres les plus convoités. La première édition a présenté 17 livres qui se sont portés volontaires pour être consultés. Comme je l’ai déjà dit, les livres sont en fait des personnes en chair et os avec qui on peut échanger pour apprendre davantage sur elles. Le jeune séropositif est vraiment contaminé, le détenu est vraiment en prison et ainsi de suite. »
La bibliothèque vivante a rassemblé une centaine de lecteurs qui, 5 jours durant, ont essayé de mieux comprendre leurs proches. Pour mieux savoir quel livre choisir, les organisateurs ont mis à la disposition des lecteurs un catalogue de présentation. Une fois le choix fait, le lecteur était invité dans la salle de lecture pour dialoguer avec le livre vivant.
Iulia Sara nous parle des livres les plus demandés :
« Les détenus, les personnes aux déficiences, l’ex alcoolique et le jeune séropositif ont figuré parmi les livres les plus sollicités. Du point de vue des livres, notre initiative d’organiser une telle bibliothèque se veut très hardie, mais nécessaire. Une raison de plus d’essayer d’organiser au moins deux bibliothèques vivantes par an à Targu Mures. D’autre part, je voudrais signaler quelques questions intéressantes posées par nos lecteurs. Les jeunes ont voulu savoir, par exemple, la limite au delà de laquelle on risque de devenir alcoolique. C’est bizarre comme question si l’on pense que la limite est atteinte quand la dépendance s’est déjà installée. Notre ancien alcoolique s’est déclaré stupéfié par les questions posées. »
A part les bénéfices évidents d’une telle initiative, Iulia Sara insiste surtout sur l’importance de mieux comprendre l’autrui tout en luttant contre les préjugés.
« Nous sommes tous des gens capables de communiquer entre nous, que ce soit avec un aveugle, un sourd, ou encore un palestinien musulman. On doit faire attention au moment où l’on est tenté d’étiqueter les autres sans leur laisser la moindre chance de plaider leur cause. » Une nouvelle édition de la Bibliothèque vivante pourrait avoir lieu cet été, à l’occasion du festival « La Péninsule » de Targu Mures.
Auteur : Andreea Demirgian, trad. : Mariana Tudose ; Ioana Stancescu
Article original en roumain :
“Biblioteca Vie” de la Târgu Mureş