Il faut éprouver une réelle passion pour un objet si l’on veut pouvoir en révéler l’âme. Il en faut tout autant pour aborder sous les angles les plus divers un objet auquel Francis Ponge consacra un poème définitif. Et, de cette passion, Françoise Cloarec ne manque pas. Son dernier essai, L’Ame du savon d’Alep (Les Editions Noir sur Blanc, 204 pages, 21 €) pourrait, à première vue, se présenter comme un « beau livre », avec sa couverture en couleur et sa riche iconographie due au photographe Marc Lavaud. Mais il suffit de se plonger dans le texte pour comprendre qu’il s’agit de bien autre chose. Cet ouvrage raconte une histoire d’amour entre l’auteure et un pays, une ville, un produit et, surtout, les hommes et les femmes qui participent à l’élaborer.
Sans doute trouvera-t-on, au fil des chapitres, toujours bien documentés, une histoire d’Alep, cité née du fond des âges ; puis une histoire du savon qui représente, à elle seule, un panorama géopolitique de la Méditerranée depuis l’Antiquité ; puis une présentation des éléments naturels qui le composent, une explication détaillée (et passionnante) de son procédé ancestral de fabrication. Sans doute connaîtra-t-on, une fois le livre refermé, le nombre de savonneries en activité à Alep, le tonnage produit chaque année et saura-t-on distinguer un savon de qualité d’un ersatz – les meilleurs viennent de Syrie, bien sûr, mais aussi du Liban et de Naplouse. Le principal ne réside pourtant pas dans ces informations. Ce que nous dévoile Françoise Cloarec, c’est l’aventure du savon d’Alep qui est d’abord une aventure humaine.
Les photographies de Marc Lavaud sont bien en adéquation avec cette démarche. Elles auraient pu se limiter à mettre en valeur l’esthétique des savons, des paysages, des rues, des souks ou de l’intérieur d’un hammam. Or, elles fixent aussi dans leurs mouvements des femmes cueillant les olives dont l’huile servira de base au savon, des Bédouins récoltant la salicorne qui fournira l’agent de saponification. Enfin des savonniers au travail, c’est-à-dire des hommes (artisans, ouvriers) dont le savoir-faire se transmet de générations en générations, capables d’estimer la qualité de la pâte en cours de cuisson en la goûtant comme un maître de chai vérifie les divers stades d’une vinification, ou d’empiler patiemment, selon une géométrie bien précise, les cubes fraîchement découpés pour en assurer le séchage optimum, lequel durera plusieurs mois. Ces artisans n’ont rien d’anonyme, car ce ne sont pas de simples figurants, concession à la couleur locale ; l’auteure les connaît et les nomme : Kafr Djenne, Fateh, Ahmad, Abou Karmo, Fouad… Sans eux, point de cet exceptionnel savon dont Françoise Cloarec nous dit : « davantage qu’un objet, davantage qu’un élément de propreté, il est le vecteur de toute une civilisation. »
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