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Akira Kurosawa ou un art pictural extrême

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Découvert en Occident grâce à  Rashomon ( 1950 ), Lion d’or au Festival de Venise et Oscar du meilleur film étranger en 1951, Akira Kurosawa est l’homme de tous les cinémas, s’inspirant aussi bien du théâtre japonais classique que des grands écrivains occidentaux comme Shakespeare, Gorki, Dostoïevski, et passant avec aisance du drame contemporain à la fresque féodale, d’un cinéma de genre à une fable intimiste. Doté d’un regard de peintre, il fera de chacune de ses oeuvres une suite de tableaux d’un esthétisme coloré.

Le suicide de son frère en 1934 le frappe de stupeur, aussi décide-t-il d’abandonner ses études de peinture aux Beaux-Arts de Tokyo, pour se consacrer au cinéma, afin de prolonger le travail de son frère disparu.  » Je préfère penser que celui-ci fut le négatif original du film dont je suis le développement comme image positive » – écrira-t-il. Il passe d’ailleurs à la réalisation avec un coup d’éclat  La légende du grand judo ( 1943 ) dont le combat final est devenu une scène d’anthologie.

Après la guerre, il se consacre à une série de films sur le drame qui est celui d’un Japon défait et humilié. Autant  par nécessité – car les Etats-Unis, qui contrôlent le pays, interdisent les films avec samouraïs, jugés porteurs d’une idéologie guerrière – que par goût de décrire les périodes troublées de son pays, les guerres civiles entre clans qui seront le cadre de ses grandes fresques féodales.

Dans La légende du grand judo, la relation entre le disciple fougueux et son maître qui le dompte en l’initiant à son art tout en lui enseignant la voie de la sagesse, caractérise son univers. Si le sujet de la transmission lui vient des arts martiaux et du confucianisme ( la piété filiale ), le goût de l’affrontement lui est inspiré par la tradition japonaise ( le duel au sabre ) et le film noir du cinéma américain. Le réalisateur a su laisser courir en lui des influences multiples et les allier dans une perspective très personnelle qui assure son originalité.

Kurosawa aime faire de l’exercice d’un métier ( médecin, samouraï ) le sujet et le ressort moral de ses films, à l’image du policier du  Chien enragé ( 1949 ), inquiet à l’idée que le voleur de son arme en fasse un mauvais usage ou, comme dans  L’ange ivre (1948 ), entre un médecin alcoolique et un gangster tuberculeux. Les extrêmes me plaisent – disait-il – car ils sont source de vie « .

Cela va donc des corps fougueux, débordant d’énergie, aux corps de grabataires en sursis. Cette dimension fantomatique du corps est liée à la conscience de la mort : ainsi le personnage de  L’idiot ( 1951 ), pour avoir été témoin du pire ( un soldat fusillé ), demeure hébété, comme halluciné, à la façon d’une personne revenue de l’au-delà pour hanter le monde des vivants.

En passant des héros des Sept Samouraïs,  rémunérés pour leur travail, à celui opportuniste et manipulateur de Yojimbo ( 1961 ), le film préféré de Clint Eastwood, qui inspirera Sergio Leone, et donnera naissance au western spaghetti, Kurosawa fait-il basculer le héros moderne dans un cynisme désabusé et le genre dans la parodie grotesque, transformant le samouraï sans maître en un être mélancolique, perdu dans un monde où il n’a plus sa place. C’est la raison pour laquelle il deviendra pour la jeune génération du cinéma américain – les Scorsese, Coppola, Spielberg – une référence incontournable.

D’autre part, le cinéaste se donne pour mission de peindre l’apocalypse, centrée sur l’ivresse et la folie destructrice du pouvoir des hommes, se nourrissant de la dramaturgie japonaise consécutive à la guerre de 39/45 et au tremblement de terre de 1923, visions traumatisantes s’il en est…Cette peinture est inséparable de l’épreuve du regard, à l’image de la vieille femme de  Rhapsodie en août ( 1991 ) qui voit de ses propres yeux la bombe d’Hiroshima. L’art de Kurosawa, maître incontesté du 7e Art japonais, est avant tout guidé par une morale du regard.

Armelle Barguillet Hauteloire

2 commentaires sur “Akira Kurosawa ou un art pictural extrême”

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