L’exposition Newspeak (en Français, Novlangue) de jeunes artistes britanniques sélectionnés par Saatchi (jusqu’au 17 octobre) est une déception. Trop de pièces convenues, sans originalité, sans profondeur.
Ni rage, ni humour; on sourit devant l’enfant aux ballons légèrement menaçant (Sentient Orbs) de littlewhitehead à l’entrée de la somptueuse galerie, on s’ennuie consciencieusement et uniformément devant tableaux et sculptures, errant de salle en salle à la recherche d’un peu de qualité. Pink Cher en Che Guevara, de Scott King attire le regard un instant, mais on a tant vu de ces pastiches, de ces jeux sur la révolution et la consommation…
Chez Orwell, la novlangue voit de jour en jour son vocabulaire se rétrécir : ça semble bien être le cas ici, et ce titre serait alors révélateur, anarchiste et auto-destructeur. Saatchi aurait-il osé un tel pied de nez à l’art contemporain ? On est en tout cas bien loin de Sensation et des YBAs. L’oracle Saatchi fait du business et tente un coup avec ce que son filet a ramassé (y compris une ‘trouvaille‘, Française de 21 ans), mais ce n’est pas un succès.
Le niveau se relève heureusement avec les installations, en particulier Goshka Macuga (déjà remarquée à Venise et à Whitechapel) dont la table de bibliothèque est un faux panthéon, et surtout dont la théosophique Madame Blavatsky repose, in rigor mortis, entre deux chaises, lévitant dans sa robe noire : oeuvre historique et mystique, ou anti-mystique, c’est selon..
Mais la seule pièce qui ait vraiment retenu mon attention au milieu de tous ces petits maîtres est l’énorme installation de John Wynne, Installation pour 300 hauts-parleurs, un pianola et un aspirateur. Le son du piano mécanique, dissimulé derrière le mur d’enceintes (et jouant Gypsy Love, opérette de Franz Lehár de 1909, mais seulement les notes dont les fréquences entrent en résonance avec la salle) se mêle à celui généré par un ordinateur, les sons s’entrechoquent, rebondissent dans la pièce et sculptent l’espace; le spectateur est saisi, happé, enveloppé de sons face à cet autel majestueux. Première pièce sonore de Saatchi, paraît-il, c’est de loin la meilleure de toute l’exposition.
Heureusement, la superbe pièce de Richard Wilson, miroir d’huile immaculée, 20:50 a été réinstallée ici de manière permanente et, même si la passerelle était interdite d’accès, on pouvait s’y mirer, y perdre tout repère et tout sens de la perspective.
Je me suis aussi consolé de la médiocrité de l’exposition britannique car deux salles en haut accueillaient des artistes coréens (mais cette exposition finissait deux jours plus tard, vous ne la verrez pas). Et tout à coup, la vie faisait irruption dans les salles de la Saatchi Gallery. Les peintures lenticulaires de Bae Joon Sung transformaient la réalité muséale, les Dryades de Kim Hyun Soo naviguaient entre fantastique et pitoyable et, chez Kim Dong Yoo, Lady Di se fondait dans Elizabeth II. C’était éclatant, direct, violent et on respirait enfin.
Petite revue de presse, certes un peu biaisée : “a lot of blandy derivative art” (Telegraph), “Among young painters, he goes at best for the derivative and often for the duds” (FT), “a hotchpotch of styles, approaches and strategies” (Guardian), “the show is inchoate and inconsistent and a mess, but then it is, in effect, the contents of someone’s attic” (Independent) et enfin “The rest of Newspeak is at best cliché, kitsch and the ironic subversion that is the joke so often played by the post-postmodernist. It demonstrates how swiftly the energy of the YBAs evaporated, leaving no useful legacy for their successors, nothing on which they could build. One might reasonably conclude that British art is dead.” (Brian Sewell, Evening Standard).
Photos King, Macuga & Wynne courtoisie de la Saatchi Gallery, Londres. Photo Kim Hyun Soo de l’auteur.
Goshka Macuga Madame Blavatsky, 2007; Carved wood, fibreglass, clothes, chairs. 114.3 x 190.5 x 73.6 cm © Goshka Macuga, 2010
John Wynne Installation for 300 speakers, Pianola and vacuum cleaner, 2009; Pianola, speakers, vacuum cleaner, audio amplifiers, hard disc recorder, speaker wire, suction hose, piano roll. Dimensions variable. © John Wynne, 2010 (photo: Steve Ibb, Beaconsfield London)
Scott King Pink Cher, 2008; Screenprint and paint on canvas. 300 x 200 cm. © Scott King, 2010