Un film implacable, désespérant, dans le dépouillement de l’horreur la plus glacée.
Parmi les films disponibles, j’ai choisi un peu au hasard de commencer Godless de Ralitza Petrova (1).
Robert Bresson au pays du communisme déglingué
Je ne saurais dire mieux que le commentaire d’Olivier Père, sans doute même en raison de sa référence finale à Robert Bresson. Ce patronyme iconique inscrit en effet le film dans les domaines d’une grande maîtrise du non-dit, tandis que le presque rien de la mise en scène, la proximité quasi constante des visages et la pression des sons habituellement inaperçus ou même inemployés par les metteurs en scène : souffle du vent, égouttement de la glace qui fond, passage lointain de véhicules anonymes, claquements de portes…créent un sentiment de menace permanente. Un huis-clos infernal qui fait inévitablement penser aux « Séquestrés d’Altona ».
« Au fin fond de la Bulgarie, une infirmière qui s’occupe de vieillards séniles revend leurs identités au marché noir. Tiraillée par un sentiment de culpabilité de moins en moins supportable, elle va se retrouver prise dans un engrenage fatal. La réalisatrice Ralitza Petrova, dont c’est le premier long métrage, dresse un constat éprouvant de l’état de corruption généralisée et de déliquescence morale qui gangrènent cette région de l’Europe. Une mise en scène implacable et un cheminement sacrificiel qui ne sont pas sans rappeler les grands maîtres du cinéma spiritualiste, notamment Robert Bresson. »
Ces immeubles gris, ces escaliers anonymes où la modernité semble être rentrée à regrets, ces routes encombrées de neige sale où les véhicules circulent dans la boue glacée de l’indifférence, ces bars où on devine l’odeur du choux rance, ces tribunaux sans lois et ces policiers sans honneur, ces visages souffrant d’un ennui que la drogue réveille à peine, ces sensualités vendues pour presque rien, je crois les avoir connus lorsque j’ai ouvert les portes de certains des pays sortis du communisme corrompu et agonisant, il y a plus de trente ans.
Je sais pourtant que les témoignages de ce passé subsistent et même survivent dans les impasses des banlieues déchues, là-bas bien sûr, mais là-bas comme à l’Ouest, comme dans la proximité de nos abandons, de nos lâchetés.
Et c’est par la proximité de ce cancer, proximité imposée avec opiniâtreté par la cinéaste dans le champ qu’elle occupe – une pandémie qui gagne les terrains de l’urbain dans le monde entier – que ce film, qui semble au premier abord très bulgare, acquiert sa valeur universelle.
Une valeur inestimable qu’a déjà atteint, au plus profond de nos mémoires, le visage inoubliable de Jeanne d’Arc, celui de Mouchette ou de la « Femme douce » de Robert Bresson, ou encore celui de la Rosetta des Frères Dardenne.
Ralitza Petrova y ajoute un chapitre marquant que nous ne risquons pas d’oublier.
(1) Née en Bulgarie, Ralitza Petrova est diplômée de la NFTS. Elle vit et travaille entre l’Angleterre, la Bulgarie et la France. Ses films ont été récompensés dans différents festivals, notamment à Cannes, Berlin et Locarno. En 2007 à la Berlinale, la réalisatrice obtient le prix UIP du meilleur court métrage européen pour ROTTEN APPLE. Un de ses autres courts, BY THE GRACE OF GOD , est présenté à Cannes en 2009 et actuellement distribué par le British Film Institute et la Tate Modern. Projeté en première à Locarno en 2016, son premier long métrage GODLESS y reçoit le Léopard d’or.