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Hadewijch de Bruno Dumont ou le 7ème art en quête de sacré (Cinéma belge)

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Hadewijch de Bruno Dumont est un appel à la grâce issu du cinéma belge. Telle est la définition de l’auteur lui-même. Poursuivant :  » C’est une expérience mystique. Mais pas un acte de foi. C’est un film sur l’amour. Je pense que le véritable amour est totalement mystique parce que dans la mystique, vous arrivez à une véritable union. Il faut être capable d’aimer de façon absolue à l’intérieur d’un corps ordinaire et dans le monde. C’est ce que je filme à la fin : la limite des superstitions et des idéaux. Hadewijch meurt à Dieu et renaît dans les bras d’un homme où elle retrouvera la plénitude de l’amour « .

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Mais qui est Hadewijch ? Une mystique flamande du XIIIe siècle qui nous a laissé des poèmes brûlant de désir et de douleur. Hadewijch est également le nom que choisit l’héroïne du film, Céline, pour entrer en religion, nom qu’elle perdra lorsque les soeurs, qui l’ont accueillie, épouvantées par la force destructrice de son attente insatisfaite de Dieu, l’inviteront à retourner dans le monde. Alors, Céline livrée à elle-même, poursuivra sa quête par des chemins de traverse qui la conduiront jusqu’en Palestine, où elle embrassera la cause, sinon la foi, des islamistes les plus radicaux. Et c’est paradoxalement avec une innocence intacte qu’il lui faudra aller jusqu’au bout de sa dérive spirituelle, à savoir un attentat terroriste en plein Paris, pour apercevoir un commencement de lumière sous les espèces simples – un ouvrier charpentier à figure de bon larron qui la délivrera du mal en lui rappelant que le Verbe s’est fait chair, à elle qui aspirait et redoutait les contacts physiques, et que toute ressemblance passe prioritairement par l’amour.

Telle est la trame de Hadewijch, le dernier film de Bruno Dumont, qui nous démontre après ses opus précédents  La vie de Jésus ( 1997 ) et  Flandres ( 2006 ), comment on peut rebondir du péché au rachat. Le talent de Bruno Dumont consiste à refuser les facilités et les pièges de la rhétorique, et à écarter l’allégorie en faveur de l’incarnation à l’écran,  son film participant d’autant mieux à l’essence de l’art cinématographique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le cinéaste répugne à employer des comédiens professionnels, lesquels, aussi talentueux fussent-ils, ne pourraient lui fournir que des avatars ou, pis, des simulacres.

Comme Robert Bresson, il recherche moins la représentation que la présence, et il se pourrait même qu’il aille plus loin que l’auteur de Au hasard Balthasar. Il est vrai aussi que, contrairement au janséniste Bresson, Dumont n’affecte aucune posture théologique : ses films sont des contes de chair et de sang et une quête d’absolu d’une beauté fulgurante, servis, en ce qui concerne ce dernier opus, par une mise en scène calme, équilibrée et comme rassérénée, où la jeune interprète Julie Sokolowski prête sa sensibilité frémissante et sa grâce inquiète et interrogative au complexe personnage de Céline.

Cet itinéraire de Céline peut se rapporter, en effet, aux cinq grands thèmes initiatiques de la tradition occidentale, ce que le théoricien du 7e Art, Henri Agel, récapitule avec précision dans son ouvrage : Métaphysique du cinéma :

 » La nécessité pour le héros de dépasser le combat et d’aller jusqu’au sacrifice et à la mort ; le combat du protagoniste avec les dragons et tous les monstres qui représentent soit un obstacle extérieur à l’aboutissement de la Quête, soit un obstacle tapi dans les profondeurs de son être ; la Quête elle-même ; la bipolarité, c’est-à-dire le contraire de l’entropie ; le rapport tantôt antagoniste tantôt complémentaire entre le Jour et la Nuit « .

Cinq thèmes indissociables que l’on retrouvera nécessairement dans chaque oeuvre relatant une quête mystique, consciente ou inconsciente. Bruno Dumont se garde bien, au demeurant, de prendre clairement position et laisse ouverte toutes les interprétations. Le seul cinéaste contemporain dont les préoccupations peuvent être légitimement comparées aux siennes est Jean-Claude Brisseau.  Plus explicite que Dumont, car plus direct, plus rugueux et plus moral, Brisseau exprime de toute évidence l’objet de sa recherche lorsqu’il fait dire à l’héroïne de  Céline ( 1992 ) :  » Je me suis trouvée unie … » – aspirant à l’avènement d’un monde ré-enchanté avec lequel une union mystique serait possible. Le propos sera repris, amplifié et magnifié encore par Brisseau dans  A l’aventure , sorti cette année, sans grand écho médiatique.

Carole Brana et Lise Bellynk dans A l’aventure de Jean-Claude Brisseau

L’attente de Dieu, la recherche de l’harmonie, la renaissance à soi, autant de modalités d’un cheminement initiatique authentique qui nourrit quelques-unes des oeuvres les plus symptomatiques du désastre spirituel du monde moderne :  » Et ce cheminement – précise Henri Agel – peut être – oserons-nous dire doit être ? –  aussi moderne, aussi quotidien, aussi fortement enraciné que possible dans la réalité vivante d’un pays pour que, précisément, se dégage plus fortement de cet enracinement la part d’éternité, ou en tout cas de pérennité, qu’il contient « .

La liste de ces quêteurs serait longue à énumérer depuis les Frères Dardenne de Rosetta ou de L’enfant, du Nazarin et du Los Olvidados de Luis Bunuel, du Mamma Roma de Pier Paolo Pasolini ou du Taxi Driver de Martin Scorsese. On voit alors comment ces films dépourvus de référence à la religion, et peut-être réalisés par des agnostiques, sont infiniment plus fidèles aux Ecritures que certaines bondieuseries patentées dont Hollywood a été, pendant des lustres, si friand !

La critique de Benoît Thevenin sur Lanterna Magica

Hadewijch ;un film spirituel

hadewijchHadewijch de Bruno Dumont est un drame français de grande qualité. La mystique religieuse faisait déjà partie intégrante de la lecture des précédents films de Bruno Dumont. Pour son cinquième long-métrage , elle constitue le point central. L’héroïne est une jeune fanatique du Christ, chassée de son couvent car sa foi extatique inquiète la Mère Supérieure. Céline est renvoyée à la vie civile, ou on espère pour elle qu’elle trouvera d’autres voies à son épanouissement spirituel.

C’est cette notion spirituelle qui est essentielle chez Dumont, puisque c’est ce champs là que le cinéaste interroge constamment. Son cinéma a toujours bousculé les mœurs, Dumont s’attachant à décrire quelque chose de l’ordre de l’horreur social, en s’y confrontant sans détour et sans imposer de jugement.

Via le parcours de Céline, Dumont explore cette fois une thématique particulièrement sensible de ce début de siècle : le fanatisme et l’extrémisme religieux. Le regard de Dumont sur cette question est particulièrement subtile. Le cinéaste impose d’abord un personnage en contradiction avec les schémas de représentation habituels. Céline est une jeune fille passionnément amoureuse du Christ, qui se consume littéralement de son désir pour lui. Sa passion n’empiète cependant jamais sur l’espace de liberté des autres. Céline est une jeune personne qui reste quand même ouverte d’esprit. Le personnage est dès plus difficile à déchiffrer. Est-elle une fille fragile en quête de repères ou une personne à la force morale (et spirituelle) inébranlable et qui a pleinement conscience de ce qu’elle fait et de la voie qu’elle emprunte ? Céline navigue en fait entre toutes ces eaux et c’est ce qui la rend si mystérieuse et fascinante. Céline hypnotise le spectateur de la même manière qu’elle séduit un jeune homme, sans doute pressé de la mettre dans son lit, mais qui sous son emprise se révèle d’une patience étonnante.

Quand elle est renvoyée de son couvent , Céline revient à Paris, à sa vie de fille de diplomate. Elle erre seule dans la ville. Dan un bar, elle est accostée par un trio de garçons, tous maghrébins, et qui par leur seule élocution démontrent qu’ils n’appartiennent pas au même monde que la jeune nantie.

La situation est potentiellement dangereuse pour Céline, pas forcément rassurante en tout cas. Elle est seule livrée à elle-même face à trois garçons intéressés et relativement pressant. Le spectateur se demande alors si la révélation de sa chrétienté ne lui sera pas fatale face à des individus dont on devine qu’ils sont plutôt intéressés par l’Islam. Le rapport entre christianisme et islam étant si sensible, et parce que l’on a en tête aussi les crimes mis en scène brutalement par Dumont dans ses précédents film, la situation dans laquelle Céline se laisse conduire est sans doute inquiétante.

Dumont prend le contre-pied de ce sentiment là et c’est ce qui va faire le grand intérêt et la profondeur du film. Un dialogue presque inédit, respectueux et apaisé, s’installe entre la jolie chrétienne étudiante en théologie et un imam un peu ambigu. Personne n’est a priori dupe du glissement qui commence à s’opérer pour Céline. En tous les cas, la façon dont les deux personnages se lient sur la question commune de la foi est à la foi ambitieuse et évidente, quoique fragile.

Le basculement intervient lorsque l’Imam instruit un discours fort, intelligible, qui légitime par ricochet la violence politique et notamment le terrorisme fomenté par les religieux fondamentalistes. Il est évident que le processus d’embrigadement est enclenché, que Céline est manipulée, mais en même temps, Dumont pose un débat fort, philosophiquement puissant mais qui engage aussi morale, responsabilité et valeurs. Le questionnement heurte mais il est important de voire au-delà de la provocation éventuellement ressentie. Dumont, à chaque film, perturbe parce que certains le voient comme un dangereux extrémiste, alors que d’autres le considèrent comme un véritable humaniste, quelqu’un qui prend en compte les problèmes du monde et interroge le comportement des individus. La qualité de Dumont est de rester toujours suffisamment en retrait pour ne pas imposer son propre jugement. Le spectateur est en théorie assez grand pour construire une réflexion personnelle.

La mise en scène et le découpage de Dumont participe de la construction intellectuelle du film. Elle permet notamment de se rendre compte de la trajectoire suivie par Céline. Le rythme est d’abord relativement lent, plutôt linéaire et qui correspond à l’état psychologique d’une jeune fille apparemment en phase avec elle-même. Progressivement, Dumont impose une narration toujours plus elliptique qui participe autant de la perte des repères de Céline que de ceux des spectateurs. Lorsque la violence surgit en point d’aboutissement, elle remet en question pas mal d’idées préalables. Elle sidère parce que l’on ne s’y est pas tout à fait préparé, mais alimente une réflexion nécessaire et primordiale sur le monde, le désespoir, la violence, et notre aspiration dangereuse à l’éternité, entre autre.

Hadewijch est pour nous le plus grand film de cette année, une œuvre qui allie une véritable réflexion, passionnante et qui interroge subtilement et avec pertinence le monde dans lequel on vit, à un travail esthétique rigoureux et lui aussi fascinant (composition des plans, photo etc. ). Le film est par moment complètement envoûtant (le concert).

Bruno Dumont est aussi plus que jamais un formidable directeur d’acteur. Comme à son habitude, ses acteurs sont tous non-professionnels , et tous sont à l’écran d’une justesse exemplaire, Julie Sokolowski en tête, bien sûr, qui est en plus très jolie. On espère la revoir bientôt , comme on a plaisir à retrouver en ce moment Adélaïde Leroux (Home, Séraphine etc.), révélation de son précédent film (Flandres, 2006).

Benoît Thevenin

Filmographie de Bruno Dumont :

1997 : La vie de Jésus
1999 : L’Humanité
2003 : Twentynine Palms
2006 : Flandres
2009 : Hadewijch


Hadewijch – Note pour ce film :
Réalisé par Bruno Dumont
Avec Julie Sokolowski, Yassine Salihine, David Dewaele, Karl Sarafidis, …
Année de production : 2008
Sortie française le 25 novembre 2009

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