L’art du monde raffole de l’art du SDF roumain. C’est le titre d’un récent article publié par le journal britannique The Guardian consacré à un homme dont la vie semble tirée d’un conte de fée: l’artiste Ion Bârlădeanu. Nea Ion (soit Tonton Jean), comme tout le monde l’appelle, a choisi la liberté, à 20 ans, lorsqu’il a quitté son village natal, Zãpodeni, dans le département de Vaslui, pour échapper à l’éducation communiste que lui imposait son père.
Durant les années du communisme, il a essayé de nombreux métiers. Il a été, entre autres, docker dans le port de Constanta et gardien à la Maison du Peuple (aujourd’hui, le Palais du Parlement).
Après 1989, il a choisi comme demeure la décharge d’un immeuble de logements collectifs Avenue Mosilor, à Bucarest, devenant l’homme à tout faire de ceux qui y habitaient.
Durant toutes ces années de liberté assumée, Toton Ion a collectionné des découpages de différentes revues, créant des dizaines de collages qu’il traînait partout, dans de grosses valises usées. En 2007, l’artiste Ovidiu Fenech découvre Ion Bârlàdeanu dans sa décharge et le patron de la Gallerie H’art de Bucarest, Dan Popescu, le prend sous son aile protectrice.
C’est ainsi qu’à 61 ans, le mendiant se transforme en prince -un prince qui peut redevenir mendiant- précise philosophiquement Tonton Ion. Pour sa part, dan Popescu précisait dans une interview que:
“Ces collages n’auraient pas pu être réalisés par quelqu’un qui a mené une vie de château. Ces collages sont issus de sa vie ; ils sont directement liés à son existence, avec toutes ses frustrations, ses satisfactions, bref avec tous ses vécus. C’est ce qui explique la sincérité que dégagent ces créations. Les gens ont tendance à le plaindre. Moi, je doute que tout cela eût été possible si les choses se seraient passées autrement”
A présent, les ouvrages de Ion Barladeanu sont estimés à plus d’un millier d’euros. C’est du moins ce que notait “The Guardian” lors de l’exposition la plus récente signée par Ion Bârlàdeanu, et accueillie par la Galerie « Anne de Villepoix » de Paris. Intitulée « Les Parias », l’exposition réunit en fait les ouvrages de deux artistes underground, aux histoires de vie similaires; il s’agit du Roumain, Ion Bârlădeanu et du célèbre artiste tchèque, Miroslav Tichy. Les 88 collages de Tonton Ion présentées lors de l’exposition suivent en quelque sorte la chronologie de sa vie. Le vernissage a eu lieu le 27 février alors que l’exposition restera ouverte jusqu’au 3 avril.
L’histoire de Ion Bârlădeanu a attiré l’attention et l’admiration de la célèbre actrice américaine Angelina Jolie, qui a voulu le rencontrer avant le vernissage de Paris. La vedette américaine a même souhaité acheter quelques uns de ses collages.
« La vie vue par Ion B. » c’est le titre d’un documentaire qu’Alexandru Nanau réalisait à la mi-2009, pour la chaîne américaine HBO.
Le tournage de ce film, qui plonge le spectateur dans l’intimité de cet artiste atypique, s’est étalé sur plus d’une année. Le documentaire d’une soixantaine de minutes retrace l’aventure exceptionnelle d’Ion: depuis la décharge d’un immeuble, l’appart plus décent et le retour aux contrées natales, jusqu’à la première exposition internationale, tenue à Bâle, en Suisse et les entretiens avec les critiques et les passionnés d’art du monde entier. Comment Ion B. voit-il le monde ? C’est à Alexandru Nanau de nous le dire :
«Le monde vu par Ion B. ressemble à celui de Charlie Chaplin. C’est un monde aux allures surréalistes, ironiques, où ce que l’on aime appeler destin est tout simplement un jeu du hasard. C’est ce que fut d’ailleurs toute sa vie. Il lui est arrivé de naître intelligent dans une famille d’analphabètes. Il lui est arrivé d’avoir du talent et des objectifs ambitieux. Il a eu la chance ou l’inertie de se retirer de la société et de créer ce qu’il gardait à l’esprit. »
Cette chance a été plutôt un choix qui le porta, à 60 ans passés, aux grandes expositions et foires internationales. Outre l’exposition de Bâle, Ion Bârlădeanu présenta aussi ses collages à Fred Gallery de Londres, aux côtés de Marcel Duchamp et d’Andy Warhol ainsi qu’à la Foire d’Art Contemporain de Paris.
« Ion Bârlădeanu est un personnage d’une intelligence très personnelle. Il s’exprime dans des termes autres que ceux que l’on emploie tous les jours. C’est un homme orgueilleux. Toutefois, je pense que c’est cet humour aigu qui le caractérise le mieux et qui définit en général les individus qui savent avec précision ce qu’ils veulent et qui ne reculent devant rien. »
C’est ainsi que le réalisateur Alexandru Nanau crayonne son personnage.
Comment l’avenir de Ion Bârlădeanu s’annonce-t-il ? Radieux, affirme le jeune compatriote galeriste Dan Popescu, auquel Ion doit sa mise en lumière :
«Ion Bârlădeanu avancera sans cesse vers le devant de la scène artistique internationale. C’est un artiste qui a déjà émis un commentaire, soit une sorte de mélange de surréalisme, de pop art et de dadaïsme, spécifique de la Roumanie. C’est une valeur à laquelle je crois beaucoup ».
A l’apercevoir dans la rue, les gens n’hésitent pas de s’exclamer : « Regarde ! C’est Ion B. ! »
aut. : Luana Plesea, trad. : Dominique, Alexandra Pop