Après un demi siècle de dictature communiste, la démocratie roumaine allait renaître en décembre 1989. Les Roumains reprenaient l’apprentissage de la liberté, guidés par une poignée de gens qui avaient eu la chance de vivre dans la normalité. Le roi Michel Ier, Corneliu Coposu, Ion Diaconescu, Radu Câmpeanu, Constantin Ticu Dumitrescu, autant de repères pour la conscience publique dans cette nouvelle démocratie
Ion Ratiu est l’un des Roumains qui choisirent de rentrer de l’exil pour participer au processus de refonte de la démocratie roumaine. Au bout de 50 années passées au Royaume-Uni (de 1940 à 1990), patrie de la démocratie moderne, Ion Ratiu a jugé que sa place était à la maison. Il a souhaité tout simplement partager avec les Roumains les bénéfices de la démocratie. Il est devenu une personnalité à part sur la scène politique roumaine d’après 1990, identifié dans l’imaginaire politique post-communiste par un élément vestimentaire : le nœud papillon. Ion Ratiu s’est porté candidat pour le Parti National Paysan Chrétien – Démocrate au premier scrutin présidentiel libre, celui de mai 1990, où il a obtenu 5% des voix. Parmi les nombreux projets qu’il a créés figure aussi le journal “Cotidianul”, qui allait devenir un des plus prestigieux quotidiens roumains des années ’90.
Ion Ratiu est né d’une famille uniate le 6 juin 1917, à Turda, en Transylvanie, un an avant la création de la Grande Roumanie. Il a obtenu sa licence en droit à l’Université de Cluj en 1938. Ion Ratiu adhère au Parti National Paysan et en 1940 il est embauché par le Ministère des Affaires Etrangères. En avril de la même année il est envoyé en Grande Bretagne où son oncle, Virgil Viorel Tilea, était ambassadeur. Suite à l’instauration du régime autoritaire de droite du Maréchal Ion Antonescu et de la Garde de Fer, en septembre 1940, Ion Ratiu démissionne du poste qu’il occupait à la délégation roumaine à Londres et demande l’asile politique. Pendant la guerre, il a milité pour un rapprochement avec le Royaume-Uni et s’est opposé à l’alliance que la Roumanie avait conclue avec l’Allemagne nazie. Dans une interview accordée en 1999 au Centre d’Histoire Orale de la Radiodiffusion Roumaine, Ion Ratiu a évoqué, notamment, sa période de collaborateur à la BBC :
“Je me souviens que ma première correspondance, je l’ai faite juste après le dictât de Vienne, en août 1940. J’ai pris la parole, vu que j’étais en quelque sorte lié, de par la tradition et l’histoire, aux événements de Transylvanie, dont j’étais issu. Je me rappelle l’émotion qui s’est alors emparée de moi. Ensuite, je n’envoyais des correspondances que sporadiquement. J’avais reçu une bourse de Cambridge et j’envoyais en même temps des textes directement à la BBC. J’envoyais la correspondance et je rentrais le même jour à Cambridge. Et j’étais toujours très bien rémunéré. On payait une guinée par minute et moi, j’avais une limite de 9 minutes. J’avais 6 émissions par jour dont la plus importante dans la soirée, où je passais un commentaire sur des questions qui nous concernaient. Je faisais tout ça en tant que collaborateur de la BBC. De retour à Londres, après avoir achevé mes études, je suis entré dans la presse écrite.”
En tant que journaliste, Ratiu a pris son rôle au sérieux. En tant que militant pour la démocratie, Ratiu n’a pas ménagé ses efforts dans la lutte contre le nouveau régime communiste qui s’est installé au pouvoir après la guerre. Il a également été le premier à avoir parlé au monde de la construction du canal Danube-Mer Noire, l’un des projets insensés du communisme, qui a détruit l’élite démocratique roumaine de l’entre-deux-guerres. En exil, Ratiu a créé et dirigé l’Union Mondiale des Roumains libres et édité le journal “Le Roumain libre”.
Dans les années 1980, Ratiu évoquait les actions démarrées par cette organisation. C’est le Centre d’Histoire Orale de la Radiodiffusion Roumaine qui a récupéré cet enregistrement à Radio Free Europe.
“Juste après l’organisation de l’Union des Roumains Libres, nous avons eu l’occasion de passer à l’acte. Ce fut au moment où le vice premier ministre roumain, Gheorghe Oprea s’est rendu en Allemagne pour conclure un traité commercial. Nous sommes intervenus auprès du président de l’Allemagne fédérale, du chancelier et du ministre du Commerce pour leur expliquer que c’était un crime d’accepter des vivres et des biens de consommation provenant d’un pays frappé par le rationnement alimentaire. Notre démarche fut couronnée de succès. Nous avons également organisé un meeting à l’occasion de la visite de Ceausescu à Bonn. Lors de l’inauguration du canal reliant le Danube à la Mer Noire, nous avons divulgué le véritable but de ce gigantesque travail. Par ailleurs, au moment où nos sportifs ont participé aux JO de Los Angeles, on n’est pas resté bras croisés: on a insisté sur leurs magnifiques performances, malgré la situation difficile à laquelle notre pays se heurtait.”
Ion Ratiu est mort le 18 janvier 2000, à l’âge de 83 ans. Il fut un véritable gentleman de la politique roumaine d’après 1989, une source d’inspiration pour les jeunes générations roumaines. (
Aut. : Steliu Lambru ; trad.: Ioana Stancescu, Alexandra Pop, Alex Diaconescu