Pour tous les Roumains, le mois de décembre a une signification à part. Hormis Noël, la Saint Nicolas et la Saint Sylvestre, aux yeux des Roumains, la fin d’année sera toujours associée à 1989, celle qui a redonné la vie à un peuple opprimé par l’idéologie marxiste. Même si les gens ont le droit de vivre, de pardonner et de profiter de leur vie, ils ont aussi un devoir de mémoire et se doivent de défendre les grandes valeurs au nom desquelles leurs compatriotes ont perdu la vie cette année-là.
Le 15 décembre 1989, à Timişoara, une dizaine de personnes s’étaient rassemblées, inquiètes, à la porte de leur pasteur afin de protester contre la décision des autorités de l’évacuer. Ce fut l’étincelle qui allait allumer plus tard la flamme de la lutte anticommuniste d’un peuple trop indulgent et trop soumis pendant des dizaines d’années à une clique de criminels de l’histoire. C’était le début de la Révolution roumaine qui réclamait la liberté et la dignité et dont l’apogée aura lieu à Bucarest le 21 et 22 décembre 1989. C’étaient des journées de la colère, de l’espoir et de la redécouverte de l’autre. C’est le pasteur réformé Laszlo Tökes qui a eu le courage de combattre la dictature communiste avec l’arme de la parole.
On a souvent entendu dire que les révolutions de 1989 ont été des mouvements civiques qui exigeaient le respect des droits de l’homme. Mais les révolutions de 1989 ont été érigées sur de solides fondements religieux. 20 ans après, l’évêque d’aujourd’hui Laszlo Tökes pense que les origines de son combat résident dans sa foi.
« Je pensais obéir à l’injonction du Seigneur lorsque je parlais dans cette situation tellement déplorable. Il disait que, si vous ne parlez pas, même les pierres le feront. J’ai senti que c’était un devoir de conscience que celui de m’exprimer, de dire la vérité, de protester. Pas de manière romantique ni pathétique, mais dans le langage des faits et de l’état des choses. Je n’ai rien fait d’autre que d’informer les gens sur la situation qu’eux-mêmes connaissaient. Pourtant la peur qui pesait tellement dans leur vie les obligeait à se taire. Je devais faire quelque chose, je n’avais pas le choix. J’étais confronté à un conflit intérieur. Comment oser prêcher le sacrifice de Jésus Christ si nous, les prêtres et les disciples de Dieu, nous n’osons souffler mot, si nous n’assumons même pas le risque minimal face à la dictature de Ceauşescu».
Une lutte ne sert à rien si elle n’est pas partagée. Une lutte solitaire n’a aucune chance de succès surtout quand elle a des racines religieuses communautaires profondes, a encore souligné le héros de Timişoara:
“Ceux qui composaient cette communauté, les paroissiens donc, étaient des gens simples. C’était une communauté minoritaire qui ne comptait que les 8 milliers de réformés qui vivaient à l’époque à Timişoara, une ville de 400 mille habitants. Cette minorité morale s’est complètement ralliée à la cause dont j’étais le représentant aux côtés des dissidents du pays et du camp soviétique. Ces gens simples et la direction de l’Eglise, connue sous le nom de presbytère, soit une institution démocratique de l’Eglise réformée existant depuis plusieurs siècles, ont joué un rôle très important dans cette résistance. Grâce à leurs décisions, j’ai réussi à légitimer, à ma manière, mes positions, nos positions, les positions de la démocratie et nos protestations de toutes les semaines. Et ce en affrontant la Securitate, l’inspecteur territorial du Département des Cultes, les présidents du parti, les hauts prélats collaborateurs du régime, dont même mon archevêque, Laszlo Papp. Mais je savais tout le temps que je pouvais compter sur un nombre considérable d’adeptes. Ce serait donc une erreur de dire que je fus un combattant solitaire. Je ne l’ai jamais été. J’ai toujours commencé par créer une base de soutien à la résistance. C’est ainsi que j’ai commencé à Dej, qui était toutefois une ville assez petite, où on aurait eu du mal à mettre en place une situation révolutionnaire. J’ai partout réussi à obtenir l’appui des fidèles qui, en assumant le risque, se sont rangés du côté de la vérité et de la protestation”.
La parole du Seigneur et le sentiment religieux donnent aux gens le courage d’assumer leurs valeurs et opinions et à surmonter leurs angoisses. Ce qui plus est, cela redonne l’espoir à ceux qui l’ont perdu. C’est là le message que le pasteur Laszlo Tökes a intégré et a su mettre en œuvre.
“J’ai souhaité esquisser l’atmosphère qui, avec l’aide de la Providence, est devenue, sans même une telle volonté de notre part et sans que cela puisse être planifié, le point de départ de la chute du régime de Ceauşescu. C’est le sort qui en a décidé ainsi et je suis très reconnaissant à ces gens simples qui ont assumé ce rôle, à moitié inconsciemment, en faisant preuve d’honneur et de courage civique. Ces gens là ont suivi la parole du Seigneur; ils ont obéi à St Paul qui disait qu’il faut avant tout écouter Dieu et non pas les hommes. En croyant dans le sens de ces paroles, ils ont osé entrer en conflit avec le pouvoir. La parole du Seigneur a joué un rôle décisif, tout comme la messe, les sermons et les annonces faites depuis la chaire. Moi, je les ai transformées en un véritable forum d’information. Cette information était légale, j’ai usé de tous les moyens légaux dont je disposais afin d’informer les croyants”.
La révolution roumaine fête son 20e anniversaire, mais nombre de mystères et d’inconnues restent à éclaircir. Mais comme la liberté est belle! Seuls ceux qui en ont été privés peuvent l’apprécier à sa juste valeur.
Réalisé par Steliu Lambru ; Alexandra Pop, Alex Diaconescu
Un point de vue de Michel Thomas-Penette
« Auditons for a Revolution » et « Before a National Anthem » : un instant de citoyenneté
J’avais déjà aperçu quelques images à Madrid il y a un an en été. Mais au Musée du Jeu de Paume à Paris le travail de Irina Botea fait l’objet de deux présentations complètes jusqu’au 27 septembre prochain.
Non seulement le titre me plait, mais il me retient.
Deux films se succèdent ; le plus ancien intitulé « Auditons for a Revolution » date de 2006 et met en contre point ou plutôt en contre plongée des images des « événements » de 1989 et le jeu incertain, malhabile et même « étranger » de jeunes gens à qui l’on donne à lire – à Chicago – le texte des images télévisées de l’époque : des soldats dans les rues, des manifestants qui défilent avec un drapeau nouveau-né, la prise de la télévision d’Etat où l’on retrouve Ion Caramitru face à la caméra, pas celle d’un film de fiction, mais celle du direct, des ouvriers émus dont le leader sort de sa poche un cœur rouge, des portes qui s’ouvrent et un quasi « jeune premier », Ion Iliescu qui entre en scène.
Faut-il seulement regarder, ou bien relire, revivre ? Faut-il mettre à distance et soupoudrer d’humour ? Y a t il un déni de mémoire à faire en sorte de replacer les symboles là où ils se sont évanouis, dans la confiscation du pouvoir ? Est-ce que, au fond, toute cette agitation ne devient pas une sorte de roman pour les jeunes de vingt ans qui se demandent en prononçant les mots s’ils peuvent croire à ce qu’ils voient et ce qu’ils perpétuent dans une atmosphère un peu délirante ?
La force d’Irina Botea est bien entendu de ne pas se prononcer ; de ne pas marquer son opinion. Elle ne déclare ni ne déclame ; elle délimite simplement un terrain ; au moment où la terre a tremblé, là où elle a tremblé. Quelles sont donc les traces vivantes ?
Le second film est tout récent, « Before a National Anthem » date de ce début d’année. Un groupe de poètes et de compositeurs ont réécrit les paroles et la musique de l’hymne national roumain. Les variations sur thème donnent à lire des mots, les extraient, les hachent menu, puis les remplacent progressivement par des noms de lieux, de villages, des trous perdus dont personne n’a jamais entendu parler… ”si, je me souviens, ma grand-mère habitait là”, dit un jeune chanteur de vint ans. Alors, où se trouve situé le réel ?
A quoi s’accroche en effet l’idée de nation ? Comment les symboles les plus frustres deviennent-ils des chants de victoire, des chants identitaires ? Et pourquoi ne pas chanter l’annuaire des postes pour revendiquer le droit du sol, le droit du sang ?
Beaucoup de questions, on le voit. Irina Botea n’a pas quarante ans. Ce qui veut dire qu’elle connaît mieux que ses acteurs ou ses chanteurs, le moment de bascule où la farce est devenue tragédie. Et elle le dit sans ostentation, mais de manière têtue.
Deşteaptă-te, române !