En Thaïlande, notamment à Pataya, rencontre avec des fillettes, des jeunes filles, faisant « un métier comme un autre », parfois envoyées par leur mère, elle-même ayant exercé cette « profession » trente ans plus tôt. Ou comment l’industrie du sexe devient une attraction touristique…
Prostituée dès l’enfance à Pataya : un métier comme un autre
De grandes affiches racoleuses sont placardées un peu partout dans Paris en ce moment, annonçant la sortie prochaine d’une série sur Canal Plus, intitulée « Maisons closes », avec les accroches suivantes : « Ils rêvent d’y rentrer, elles rêvent d’en sortir », ou « Mon sourire est faux, ma gentillesse est fausse, seul votre argent est vrai ». Cette dernière remarque éveille quelques souvenirs, étayés par un article paraissant aujourd’hui dans le « International Herald Tribune ».
Je suis souvent allée à Pattaya, non pas par fascination pour cette ville que je trouve laide mais pour différentes raisons. La première fois c’était en toute innocence il y a très longtemps. Les autres fois, j’y suis retournée pour effectuer plusieurs reportages dont un qui a bien failli voir le jour à la télévision. En dépit de l’avancée du travail, des heures de tournage, des heures de montage, de l’engagement financier d’un producteur et de celui de ma propre société de production « etc », le responsable des programmes d’une chaîne que je ne nommerai pas a décrété : « Bah on sait déjà tout de la Thaïlande. On a tout dit sur ce pays » ! Je suis donc restée avec mes heures de tournage, et le producteur avec ses heures de montage !
Le sujet de ce documentaire, intitulé « Recherche Sawng See* désespérément » (pastiche du film américain « Recherche Suzanne désespérément ») était le suivant : Ayant adopté ma fille Amnouay Chantarapithak, abandonnée à trois mois par des parents pauvres, j’avais, au cours de mes recherches 20 ans plus tard, retrouvé et son père et sa mère, et j’apprenais du même coup que ma fille avait une sœur aînée, Ladda, et une petite sœur, Phay. A partir de là, j’avais imaginé le scenario « quel métier aurait pu exercer ma fille si elle était restée dans ce pauvre village isan entre Udon et Nongkhai ». Suivait une série d’interviews sur les occupations exercées, par choix ou par obligation, par ces jeunes-femmes sans éducation pour la plupart. Vendeuse de khuay thiaw sur les trottoirs de Bangkok, paysanne travaillant dans la rizière, prostituée à Pattaya etc… ou, au mieux du mieux, institutrice dans un village de province.
D’où mes séjours à Pattaya pour de longs entretiens avec des filles faisant « un métier comme un autre », parfois envoyées par leur mère, elle-même ayant exercé cette « profession » trente ans plus tôt. Presque toutes m’ont répété ce que celle-ci leur recommandait : « ramène un farang » … ou plus exactement : « tok farang ». Littéralement cela veut dire « attraper un farang » comme on dit, en langage courant isan « tok plaa » : attraper un poisson, pêcher à la ligne. En français, c’est plutôt « trouver un pigeon ». Bref, elles partent joyeusement avec cet espoir de « tok farang », pour le meilleur, pour le pire parfois.
Aujourd’hui, le gouvernement thaïlandais a décidé de « redorer » le blason de Pattaya et encourage le développement de projets touristiques familiaux » (Thomas Fuller pour le International Herald Tribune). C’est vrai que beaucoup de Bangkokiens passent leur week-end sur cette plage et se promènent généralement en famille dans les rues piétonnes jalonnées de salons de massages, de « gogo bars » et de filles hélant les passants. (La dernière mode serait la tenue d’hôtesse de l’air lit-on dans ce journal).
« On dit que Pattaya est le paradis des criminels » confie le colonel Altivit Kamolrat, chef de la police de l’immigration, mais aujourd’hui on retrouve facilement ceux qui se cachent dans cette ville, Douze criminels étrangers ont été arrêtés récemment, (et les criminels locaux alors ? S’ils sont de la police, est-ce qu’on les arrête aussi ? Essayez d’ouvrir un bar à Pattaya sans passer par eux !). Bref, le « développement durable » a fait son apparition au pays du sourire. « Un lifting d’un milliard de dollars est prévu » dit Somchet Thinaphong, chargé du développement de la ville pour une agence gouvernementale. Enfin, faire la ville plus « amicalement écologique ». La nouvelle tarte à la crème ! Mais à Pattaya on se marre : « Se débarrasser de l’industrie du sexe relève de la pure fantaisie » dit Niki Kongrut, directeur de l’office du tourisme. On ne peut pas fermer les bars. C’est un pays libre ici. De plus, ça fait de l’argent. Pendant des décennies on s’est demandé ce qu’on allait bien pouvoir faire de ce problème, aujourd’hui, on se contente de l’ignorer tout simplement ». Ça s’appelle la philosophie ou la culture du « mai pen rai » « On se contentera d’ajouter d’autres « activités » à celles existant déjà. Et l’industrie du sexe, pour ceux qui n’ont pas l’intention d’en user, est une sorte de spectacle, un « red light district qui fait paraître d’autres villes du pays comme des cités de l’ère victorienne ! »
Alors beaucoup de filles pauvres, des ethnies montagnardes du nord ou de la région du nord-est continueront d’aller « attraper du poisson » :ตกปลา ou plutôt « tok farang »
*sawng see : littéralement « deux couleurs
Quand les jeunes thaïlandaises « go wild » se déchaînent: les coyote girls
« To go wild » : se déchaîner ou « avoir le feu aux fesses » ? Il y a un truc en train de faire le buzz depuis quelques temps en Thaïlande, mais pas seulement. En France, dans Lepost, le journal en ligne du Monde (ou paraissent également mes notes), et aussi sur Europe 1 que je captais hier depuis mon ordinateur… des journalistes se sont jetés et ont commenté la vidéo de Nongpanee Mahadthai, dite Ja (prononcer Dja) – qui se « gratte le zizi » dirait ma petite fille – en se trémoussant avec force gloussements et soupirs non équivoques sur une chanson « khan hou », dont le seul intérêt est qu’elle raconte que c’est l’oreille qui la démange alors que visiblement, à moins que la fille n’en ait trois, ce n’est pas du tout son oreille qu’elle titille en gémissant. Du pipi de chat, musique et paroles stupides comparées à « 666 » des Aphrodite Child et Vangelis Papathanassiou sur la voix sublime d’Irène Papas dans les annees 70… A écouter si vous n’étiez pas né à cette époque.
J’en rajoute une couche ? Le problème ce n’est pas de savoir si c’est « correct », ou « amoral » ou si la censure doit intervenir ou pas, le problème, selon moi, c’est qu’on regarde cette vidéo (voir le site voyageurasie-soleillevant.blogspot.com) avec nos yeux d’occidentaux et de déclarer : « Ben quoi ! On est libres, non ! Et la liberté d’expression alors ! » En Thaïlande il y a des codes. Ce genre d’exhibition existe déjà dans des milliers d’établissements à Bangkok, Pattaya etc… Difficile de l’ignorer. Qui n’est pas allé faire un tour du côté de Patpong Road et rentré dans une de ces boites ou des filles – des coyotes girls – se tortillent autour d’un pôle ? Ces exhibitions tarifées se passent dans le privé.. Tout le monde sait qu’il n’y a pas – officiellement – de prostitution en Thaïlande. Tout se passe donc en privé, derrière les portes closes… « Commerces équitables » comme je titrais il y a quelques jours.
Alors où est le « mais » ? Les occidentaux qui regarderont cette vidéo seront plus tentés de poser leur regard entre le nombril et le haut des « gambettes » de Ja que sur sa bouche et son sourire. Allez, revisionnez. Oui, elle porte un appareil dentaire. Pourquoi ? Ses dents ont besoin d’être redressées ? Que nenni ! Elles sont parfaitement alignées et seraient sûrement plus jolies sans cet appareil métallique, « mais », c’est la mode en Thaïlande de porter des fils dentaires. C’était un repoussoir définitif dans ma jeunesse et peut-être même encore aujourd’hui, je ne sais pas, en tout cas je n’aurais jamais embrassé un garçon avec ce truc sur les dents dans lequel s’incruste parfois des restes de nourritures.. Mais, c’est la mode. Et les dentistes thais s’enrichissent honteusement. Il doit bien y en avoir 12 dans mon quartier. Bien sûr, ils font quelques implants aux retraités, mais leur source de revenus… ce sont les jeunes obsédés par les appareils dentaires.
Où je voulais en venir en commençant ce billet ? Tout simplement au danger du mimétisme en Thaïlande. J’ai enseigné ici, et dans les écoles, le « copiage » est un véritable fléau. On risque fort donc de voir des centaines de petites « gigoteuses’ sur toutes les scènes thaïlandaises se « massant leur troisième oreille », pardon se grattant « l’oreille qui démange » – titre exact de la chanson – et non « sifflement d’oreille » comme l’ont traduit les journalistes français. Alors « inappropriée » ou pas, la chanson de Ja, qu’importe, ce n’est pas la question. Pensez aux clones de Ja qui vont la copier dans les cours d’écoles et sur toutes les scènes de villages où l’on fait souvent la fête (fêtes de temple en général) pour un oui ou un non.
Et comme je suis généralement sérieuse, en dépit de cette note, un peu exceptionnelle, voici pour terminer quelques chiffres glanés dans le magazine « Guru » : en 1957 on estimait à 20 000 le nombre de prostituées en Thaïlande. En 1984, elles étaient 700 000. En 1988 : 1 million et en 2001 : 2 millions… Evidemment la pauvreté a augmenté et le tourisme aussi. Est-ce que j’ai dit qu’il y avait un rapport ? Il faut apprendre à penser par soi-même.
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