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Le Pape doit mourir – Jean-Paul Ier, une mort plus que suspecte (David Yallop)

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La mort de Jean Paul Ier subite après 33 jours à peine a suscité de nombreuses questions et généré bien des hypothèses démentant la version officielle d’une mort naturelle. Le journaliste d’investigation David Yallop ouvre l’enquête.

livre essai

Il y a exactement 33 ans, le 26 août 1978, au terme d’un conclave parmi les plus courts de l’Histoire, Albino Luciani était élu pape sous le nom de Jean-Paul Ier. Sa mort subite, 33 jours plus tard, reste l’une des grandes énigmes du XXe siècle. La thèse officielle de l’Eglise a toujours affirmé qu’il s’était agi d’une mort naturelle. Elle se fonde sur l’avis d’un médecin du Vatican qui, après une rapide observation du corps, conclut à un infarctus du myocarde. Or, pour n’importe quel légiste, parvenir à une telle conclusion sans examiner les organes du défunt ne relève pas de la science, mais de l’art divinatoire.

Voilà pourquoi bien des prélats, des proches de Luciani (dont son médecin personnel) et des spécialistes de l’Etat pontifical doutent fortement de cette version et pensent qu’il fut tout simplement assassiné. Ce sentiment est d’autant plus justifié que le Vatican refusa l’autopsie réclamée par plusieurs cardinaux (en arguant que celle-ci était interdite, ce qui était un mensonge) et fit embaumer le corps avec une célérité aussi suspecte qu’inhabituelle.

Pour le journaliste d’investigation David Yallop qui publia un essai au succès de librairie planétaire, Au Nom de Dieu, en 1984, la thèse de l’assassinat ne soulève aucune équivoque. Ce livre passionnant vient d’être réédité dans une version revue et augmentée sous le titre Le Pape doit mourir (Nouveau monde éditions, 479 pages, 24 €).

Cette contrenquête criminelle n’est pas la première à laquelle s’est livré David Yallop. Déjà, dans le passé, ses recherches avaient permis de mettre fin à plusieurs erreurs judiciaires. Mais celle dont il dévoile ici les résultats est sans doute la plus importante, si l’on tient compte de la personnalité de la victime présumée. Son ouvrage au style vif, haletant, mais rigoureux et très sérieusement documenté, se lit comme un roman policier. Cependant, les faits troublants qu’il relate, les preuves qu’il apporte, les nombreux mensonges de l’Eglise qu’il dévoile, le comportement plus qu’étrange de la Curie qu’il met en lumière et les pratiques financières mafieuses de l’IOR (banque du Vatican) qu’il expose font regretter, notamment aux croyants, qu’il ne s’agisse pas d’une fiction.

Certes, l’auteur n’identifie ni l’assassin possible, ni l’éventuel commanditaire, mais il dresse la liste des personnes qui avaient le plus grand intérêt à la disparition du nouveau pontife. Il est vrai que Jean-Paul Ier, derrière son sourire désarmant, cachait une grande fermeté de caractère et une indéniable probité. Fils d’une famille pauvre, prélat à la conscience sociale très développée, il voulut, dès les premiers jours de son pontificat, réformer en profondeur une Eglise dont il avait découvert les turpitudes. Tenu informé des malversations financières de l’IOR – notamment le blanchiment des fonds de la Mafia – qui duraient depuis près de dix ans, il était résolu à limoger son président, l’évêque Paul Marcinkus, et plusieurs autres dirigeants (dont Donato de Bonis qui sera la cheville ouvrière des scandales financiers des années 1990.

Cette mesure aurait ruiné les opérations de trois amis et complices de Marcinkus, Michele Sindona (le « banquier de la Mafia »), Roberto Calvi (président de la Banque Ambrosiano dont la faillite frauduleuse fut le grand scandale du début des années 1980) et Licio Gelli, « Grand Maître » de la loge P2, qui n’avait de maçonnique que le nom, lequel tirait si bien les ficelles d’un monde politico-financier occulte et puissant qu’il s’était vu attribuer le surnom de « grand marionnettiste ». Des milliards de dollars étaient en jeu.

livre essai Aux quatre hommes précités, Yallop en ajoute deux autres, pour lesquels la mort d’Albino Luciani aurait relevé de la « divine providence ». Le premier était le Secrétaire d’Etat Jean Villot, qui avait, certes, fait valoir ses droits à la retraite mais ne pensait pas être remplacé si vite. Ce cardinal voyait en outre d’un œil particulièrement hostile le net assouplissement que Jean-Paul Ier voulait apporter à la doctrine de l’Eglise en matière de contrôle des naissances, jusqu’à lors régi par la stricte encyclique Humanae vitae de Paul VI. Un véritable bouleversement qu’attendaient une foule de catholiques, mais que refusaient farouchement les conservateurs. Le second était le cardinal archevêque de Chicago, John Cody, autocrate impliqué dans plusieurs scandales et ami de Marcinkus, que Jean-Paul Ier souhaitait remplacer au plus vite et qui avait toujours refusé de céder son diocèse.

Tous possédaient donc un mobile solide pour commanditer l’assassinat de ce pape gênant qui, dès ses premières interventions, avait su soulever, par sa bonté, sa simplicité, l’enthousiasme des fidèles. Homme très populaire, ses projets d’assainissement de l’Eglise n’en étaient que plus dangereux. L’arme du crime, si crime il y eut, ce qui est fort probable, fut très certainement le poison, ce qu’a confirmé un mafioso repenti des années plus tard. Et le jour où le crime fut sans doute commis ne pouvait avoir été mieux choisi, puisque Jean-Paul Ier était à la veille de mettre à exécution toutes les mesures destinées à nettoyer les écuries d’Augias.

David Yallop, dans son essai, met en lumière plusieurs faits troublants qui ne militent guère en faveur d’une mort naturelle : outre le refus d’autopsie et l’embaumement immédiat qui rendait impossible tout examen postérieur en cas d’empoisonnement, on relève des mensonges (dont le plus mince était le communiqué officiel précisant que le pape était mort en lisant L’Imitation de Jésus-Christ, alors qu’il tenait en main les documents relatifs aux changements qu’il devait opérer – documents qui ont mystérieusement disparu, tout comme ses lunettes, ses mules, ses médicaments et tous ses effets personnels…). L’auteur pose en outre des questions fort embarrassantes : alors que le corps avait été découvert à 5 heures du matin, comment expliquer que les embaumeurs eussent été prévenus par Villot entre 4h45 et 5h00 ? Pourquoi Licio Gelli, lors de ses conversations téléphoniques avec Roberto Calvi, utilisait-il le pseudonyme d’« Albino Luciani » depuis la mort de celui-ci ? Et bien d’autres encore.

Si le mystère demeure, la suite est aujourd’hui connue : plusieurs individus impliqués disparurent fort opportunément alors qu’ils s’apprêtaient à faire des révélations : Calvi fut « suicidé » sous un pont de Londres le 18 juin 1982, Sindona mourut le 22 mars 1986 dans sa prison, après avoir avalé un café aromatisé au cyanure, un journaliste, qui disposait de documents compromettants pour Gelli et le Vatican, Mino Pecorelli, fut assassiné d’une balle dans la bouche, une méthode habituelle de la Mafia pour signifier que la victime ne parlerait plus.

livre essaiLes fidèles avaient trouvé en Jean-Paul Ier un pasteur proche de leurs préoccupations, son successeur fut un politique des plus conservateurs. Pour le plus grand bonheur des autres protagonistes de cette affaire, rien ne changea. Le nouveau pape, Wojtyla, qui était informé des turpitudes bancaires de l’IOR, maintint Marcinkus dans ses fonctions, le protégea contre un mandat émis à son encontre par la Justice italienne et le fit même archevêque. Il avait ses raisons pour le couvrir ainsi : une partie de l’argent blanchi participa à financer le syndicat polonais Solidarité… De même, il maintint Cody à Chicago et ne revint évidemment pas sur Humanae Vitae. Comme le souligne Yallop avec cette cruauté que soulèvent toujours les vérités qui fâchent : « Manifestement, le pape a une opinion plus tolérante vis-à-vis des péchés commis derrière un comptoir de banque que de ceux commis dans un lit. »  Nous sommes là bien loin du rêve de Luciani, d’une Eglise « qui répondrait vraiment aux besoins de son peuple sur des problèmes vitaux et cruciaux ».

Le postscriptum et la postface ajoutés dans cette nouvelle édition, loin d’infirmer les hypothèses de l’auteur, apportent de nouveaux éléments en faveur de la thèse de l’assassinat et mettent en lumière l’échec du Vatican à réfuter les faits présentés dans le livre. A Rome, on se limite encore aujourd’hui à la position victimaire classique des « attaques menées contre l’Eglise » ̶ un argument qui servit tout récemment lorsqu’éclata le scandale des prêtres pédophiles protégés par leur hiérarchie. Ces deux textes laissent enfin une impression désastreuse : ils montrent que, depuis sa mort, la Curie, dans le but de minimiser l’importance de sa disparition, présente, en dehors des discours officiels obligés, Albino Luciani comme un minus habens, un simplet dépassé par l’ampleur de ses fonctions ! Comme si Paul VI avait élevé à la pourpre cardinalice et nommé Patriarche de Venise un demeuré, par hasard titulaire d’un doctorat en théologie… De nos jours, pour des raisons politiques évidentes, cette même Curie brûle les étapes pour faire au plus vite de Wojtyla un saint ; la mort suspecte d’Albino Luciani ferait volontiers penser que l’Eglise tenait déjà un martyr.

Illustrations : Jean-Paul Ier – De gauche à droite : Paul Marcinkus et Jean-Paul II.

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