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Le tombeau des lucioles

lucioles

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Cet article aurait pu évoquer l’un des plus beaux et émouvants films d’animation qu’il m’ait été donne de voir : le Tombeau des lucioles d’Isao Takahata. Il n’en est rien. La nuit est un voyage quotidien en soi. Comme une promesse de renouvellement.

De la nuit, elle aimait tout, depuis toujours (ou du moins aussi longtemps qu’elle s’en souvienne). Elle était une enfant de la nuit. Elle aimait enfin la solitude. Elle supportait le silence et la noirceur, sans en subir les affres. Elle tolérait l’absence et la souffrance d’autrui. Elle aimait presque cette sensation de se retrouver avec elle-même pour jouir de chaque instant comme s’il rimait enfin avec la liberté de vivre… Elle désirait cette nuit toute entière, qui ne la transformait pas qu’en vigile… Tous les jours, le même rituel étrange et aussi angoissant qu’excitant s’initiait, comme si cette nuit annonçait une naissance ou plutôt une renaissance ; les convulsions ouvraient la perspective d’une intimité. Elle s’appropriait son devenir.

Elle s’incarnait enfin, elle ressentait chaque soubresaut de cet étrange spectacle dans sa chair et tous les interstices de son corps, et tandis que son sang régénérait la moindre parcelle de son être pour constituer sa matière, les mots qui l’avaient maintenue en vie et avaient constitué son souffle pendant toute la journée, devenaient enfin insignifiants et vains. Elle avait le vertige à l’idée de quitter la prison de ses mots, mais aspirait à ce féroce besoin de tuer la seule matière qui lui avait donné corps jusqu’alors. Ces mots avaient sur elle et sur les autres un pouvoir terrifiant. Elle pouvait s’en contenter, d’autant qu’ils agissaient comme les seuls repères de sa réalité. Quand elle utilisait l’écriture pour se donner un semblant de sens ou une consistance, elle savait qu’elle était insincère. Mais elle ne savait faire autrement.

Là, d’un coup, la noctambule pouvait se débarrasser de leur enveloppe trompeuse et de leur emprise pour mieux se dénuder. Elle n’existait plus par eux ou à travers eux et surtout pas dans le regard des autres grâce à ce perfide pouvoir dont ils semblaient dotés et qui lui donnaient une forme de consistance dans ce monde irréel. Un instant, peut-être, mais quel instant de jouissance..! Impudique, elle éprouvait le fragile bonheur d’être vivante avec la conscience et le sentiment de risque imminent, et elle s’autorisait l’intense plaisir d’être dans sa vie, sans souffrir de tous ses manques, de ses renoncements, de ses échecs et de ses souvenirs. Fermant les yeux pour imaginer ce que pourrait être cette vie, elle devinait les lueurs fugaces des lucioles venues éclairer son chemin dans l’obscurité …

Elle scrutait avec ferveur ces êtres luminescents, si mystérieux, voletant et ondulant devant elle, qui l’avaient toujours fascinée. Il y avait quelque chose d’enchanteur, de merveilleux à les voir tourbillonner, se rencontrer, danser et former ce halo de lumière annonciateur de la parade nuptiale ; elles semblaient épouser ainsi la nuit, avec tant de légèreté et se donner sans réserve, alors qu’elles allaient bientôt s’évaporer après avoir consumé leurs dernières forces dans leur reproduction. Elles devraient périr une à une jusqu’à leur complète disparition et l’émergence d’un nouveau cycle. Elle savait que leur mort la ramènerait inéluctablement au petit jour et à ce quotidien qu’elle avait fui grâce à leur éphémère lumière de vie et le sacrifice de leurs désirs. Elle les enterrerait dans ce tombeau creusé dans la terre de ses rêves. Mais les lucioles n’emporteraient pas tout à fait le cortège des illusions qui l’aideraient à accepter l’échéance d’un lendemain… Les mots reviendraient alors comme les maîtres de sa vie et tisseraient l’ouvrage de sa réalité.

Sandrine Monllor (Fuchinran)

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