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Eglise Saint Vincent de Cardona, aux origines méditerranéennes de l’art roman

Chateau de Cardona

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Construite au début du XIe siècle, l’église Saint Vincent de Cardona est un témoignage particulièrement original du premier art roman.


L’église Saint Vincent de Cardona ; modèle de l’art roman catalan

St-Vincent de Cardona 1Cardona est située en Catalogne, au nord-est de l’Espagne, plus précisément dans la province de Barcelone. La Catalogne, ancienne province du
royaume barbare wisigoth (Ve siècle) puis possession arabe (VIIIe siècle), était devenue une marche de l’empire de Charlemagne au IXe siècle. Au siècle suivant, les comtes de Catalogne se rendirent indépendants.

Ces rappels historiques ne sont pas sans importance : ils mettent en évidence que la région catalane a été au contact de civilisations marquantes : wisigothique, musulmane et carolingienne, sans oublier l’héritage de l’antiquité romaine. Au XIe siècle, les guerres privées entre seigneurs, qui se sont accaparés beaucoup de pouvoirs en raison de l’effondrement de l’autorité royale, font des ravages. Aussi, un vaste mouvement de la Paix de Dieu voit le jour, initié par l’Église qui tente de limiter les combats : elle interdit de se battre pendant le Carême et de s’en prendre aux femmes, aux enfants et à ceux qui travaillent, ainsi qu’aux églises. En Catalogne, les habitants ont coutume, avant de mourir, de céder une partie de leur future récolte aux abbés qui utilisent ainsi leurs richesses à entretenir ou à construire des édifices. C’est dans ce contexte qu’émergent les premiers édifices romans.


Un plan basilical en croix latine

 

Eglise Saint Vincent de CardonaL’abbaye Saint-Vincent a été fondée dans les années 980 dans le château de Cardona. En 1019, le vicomte de Cardona s’en rend maître et décide la construction d’une nouvelle église peu avant 1029. L’édifice est consacré par l’évêque d’Urgell en 1040 : les travaux auront duré une dizaine d’années. Malgré des modifications importantes au XVIIIe siècle, l’édifice a conservé sa structure initiale, ce qui a permis, dans les années 1970, une restauration fidèle de grande envergure. Il est intéressant d’analyser en quoi
l’église de Saint-Vincent de Cardona offre un exemple particulièrement original des débuts de l’architecture romane (lire, à ce propos, notre article L’architecture religieuse romane et L’art gothique : un art de la lumière pour le vocabulaire de l’architecture)

Eglise Saint Vincent de Cardona plan basilical en croix latine

L’édifice possède un plan basilical en croix latine. Ce plan, à l’origine, reprend celui des basiliques de l’antiquité romaine qui étaient des bâtiments publics où se tenaient les marchés ainsi que les activités judiciaires et bancaires. Elles se caractérisaient par un vaste espace rectangulaire et par une abside à l’une de leurs extrémités. L’architecture religieuse a repris ce plan basilical puisque la fonction première de l’église est de pouvoir accueillir tous les fidèles pour l’office.

Eglise Saint Vincent de Cardona plan basilical en croix latine

Saint-Vincent de Cardona n’échappe pas à la règle : une nef composée de trois vaisseaux et précédée d’un narthex – le vestibule de l’édifice, destiné à accueillir les catéchumènes, c’est-à-dire les personnes non encore baptisées – se prolonge ensuite vers le chœur en forme d’abside et qui surplombe une crypte. Toutefois, un élément vient s’ajouter : le transept. Il sépare, perpendiculairement, la nef du chœur.  À Saint-Vincent, il est très peu saillant même s’il est matérialisé par les absidioles qui entourent l’abside. Mais cela n’empêche pas que l’église a quand même un plan basilical en croix latine : l’église a une forme de croix qui occupe une fonction symbolique puisqu’elle rappelle le supplice du Christ.

La nef s’élève à une vingtaine de mètres de hauteur pour une largeur de 6,7 mètres. Elle se compose de trois travées et elle est encadrée par des collatéraux situés de part et d’autre. Chacun des bas-côtés comprend neuf travées. Le narthex soutient un étage comprenant une galerie de cinq travées.

Chaque bras du transept comprend une seule travée et les absidioles qui s’y trouvent n’en comporte aucune. La croisée du transept est surmontée d’une tour.

Le chœur est surélevé, d’une part en raison de la crypte qui est aménagée en dessous, et d’autre part parce que cette position légèrement surélevée permet de renforcer le caractère sacré de cet espace. Il compte une travée et ne comprend pas de déambulatoire.

L’importance du chevet est encore soulignée par les niches ornant l’abside et les bras du transept tournés vers l’est. Elles communiquent avec l’extérieur par des ouvertures pratiquées juste sous le toit de l’édifice.

Eglise Saint Vincent de Cardona de l'extérieur vue de la nef centraleEnfin, la transparence architecturale saute aux yeux : en clair, l’extérieur de l’édifice reflète l’intérieur. La nef centrale se distingue des collatéraux dans la mesure où elle est plus haute qu’eux, les contreforts matérialisent parfaitement les travées du vaisseau principal, le narthex est saillant, les bras du transept comportent chacun une absidiole, la tour surmonte la croisée du transept et la partie arrondie du chœur est nettement distinguée par des contreforts reliés au-dessus du toit par un ouvrage de maçonnerie. Cette transparence architecturale, ainsi que l’importance du chevet et le plan basilical en croix latine sont des éléments qui illustreront à merveille les églises romanes.

Eglise Saint Vincent de Cardona


Un édifice entièrement voûté


Eglise Saint Vincent de Cardona voutesUne analyse stylistique permet de mettre en évidence d’autres aspects romans de Saint-Vincent de Cardona. D’abord, l’utilisation de la voûte est systématique. En effet, très tôt, les bâtisseurs catalans ont choisi de remplacer la charpente en bois, augmentant les risques d’incendies, par la voûte en pierre. Cela se vérifie bien à Cardona où toute l’église est voûtée, à commencer par la nef. Le vaisseau principal est voûté en berceau. Mais pour renforcer la stabilité de la voûte, celle-ci est supportée par des arcs doubleaux qui reposent sur des piliers situés de part et d’autre de la nef centrale : ce sont ces doubleaux qui divisent l’espace de celle-ci en travées. À noter que le dernier doubleau est plus bas en raison du transept qui est moins élevé que la nef. Celui-ci, ainsi que le chœur, sont également voûtés en berceau.

Les collatéraux quant à eux, sont voûtés d’arêtes. Enserrant la nef centrale, ils ont une fonction d’épaulement qui permet de transmettre toute la force exercée par la voûte en berceau dans les piliers massifs du vaisseau principal. Et la force pratiquée par les voûtes d’arêtes est compensée par le contrebutement des contreforts se trouvant à l’extérieur de l’église. L’utilisation de la voûte d’arêtes – qui est également faite dans le narthex et dans la crypte – nécessite des bas-côtés peu larges afin
d’assurer la stabilité mais procure l’avantage de construire des collatéraux plus élevés.

L’abside, les absidioles aux bras du transept ainsi que les niches rythmant le périmètre du chœur sont couverts par une voûte en cul-de-four, c’est-à-dire une voûte en forme de quart de sphère.

Enfin, l’accomplissement du voûtement de l’édifice réside dans la croisée du transept où s’opère la jonction des quatre bras voûtés en berceau : c’est une coupole qui la réalise. Elle repose sur des trompes, qui sont des éléments architecturaux en cul-de-four qui permettent un changement de plan afin de bâtir la coupole
qui est ajourée. Celle-ci deux fonctions. La première est liée au rôle de l’édifice où se tient une célébration musicale : la voûte permet une meilleure acoustique. La seconde est d’ordre symbolique car elle doit refléter l’image d’un Dieu qui couve ses fidèles.

Du narthex aux niches du chevet, en passant par les bas-côtés, le transept, la crypte et le chœur, l’ensemble de l’église Saint-Vincent de Cardona est voûté, ce qui a pour effet de donner une unité certaine à l’édifice dans la mesure où tout est en pierre. Cette église marque ainsi un aboutissement : car dans les premiers édifices chrétiens, la voûte avait été abandonnée afin de renier l’architecture romaine, donc païenne. Ce n’est qu’à l’époque carolingienne que l’on commença à voûter les édifices religieux. La reconquête de la voûte à partir du IXe siècle, s’est faite par étapes, les architectes ne réalisant des voûtes que pour certaines parties de l’édifice.

Le voûtement a une autre conséquence. C’est l’articulation verticale. En effet, les piliers de la nef et du transept sont ornés de dosserets, c’est-à-dire des supports verticaux et rectangulaires engagés dans les piliers. Ces dosserets ne sont en fait rien d’autre que les retombées des arcs doubleaux divisant la nef centrale et les collatéraux. Ainsi, les piliers ont un aspect cruciforme et ces formes saillantes qui se répètent à chaque pilier a pour effet de donner un rythme aux vaisseaux, à rompre quelque peu la monotonie de l’église. Il faut aussi signaler qu’un autre support vertical engagé entre le dosseret et le pilier stoppe sa course à la hauteur du sommet des arcades communiquant entre la nef centrale et les bas-côtés : on constate à ce niveau une ligne horizontale matérialisée par un changement de type de pierres.

On peut supposer que ces supports devaient initialement accueillir des doubleaux pour la nef. Ainsi, le vaisseau central aurait eu la même hauteur que les collatéraux. Saint-Vincent de Cardona devait donc être à l’origine une église-halle, c’est-à-dire une église dont les trois vaisseaux ont la même hauteur. Les architectes ont dû changer d’avis en cours et opter pour une nef principale plus haute. Toujours est-il que ces supports renforcent encore l’articulation verticale. Celle-ci sera reprise et développée dans les autres édifices romans dans les périodes ultérieures.

Mais mis à part cet aspect, il faut dire que la décoration intérieure est totalement absente. Le dépouillement extrême de l’église vise à se démarquer nettement du style riche des mosquées musulmanes. Les ouvertures dans les collatéraux et les fenêtres hautes sont les seuls autres éléments à l’intérieur qui rompent avec l’aspect massif des murs : ceux-ci doivent être suffisamment puissants pour supporter les voûtes. À l’extérieur, des bandes lombardes – aussi appelées lésènes –  rythment les murs. Il s’agit de bandes verticales, comme des pilastres, reliées à leur sommet par des arcatures. Le motif est répété et donne ainsi une impression de verticalité et d’équilibre. Cette austérité et cette massivité donne à l’église une allure de forteresse encore renforcée par la tour octogonale majestueuse.


Les origines méditerranéennes de l’art roman


Nous avons tenté de mettre en évidence les différentes caractéristiques du premier art roman dans l’église Saint-Vincent de Cardona. Il faut encore dire que cet édifice a subi de multiples influences, toutes venues du pourtour méditerranéen de l’Europe (on a déjà évoqué le plan basilical hérité de l’antiquité romaine).

D’abord l’influence catalane se repère à l’utilisation de la voûte en berceau. Dès le Xe siècle la Catalogne, on l’a dit, a utilisé la voûte. En témoignent des églises comme Sainta Cecilia de Montserrat, dont la construction a commencé après 942 et la consécration eu lieu en 957, et l’abbatiale de Banyoles, près de Gérone, ou
encore Saint-Martin du Canigou. La Catalogne se dote d’édifices totalement voûtés dès le milieu du Xe siècle. La présence de niches dans le chœur est encore une influence de Santa Cecilia de Montserrat. Enfin, la tour octogonale surmontant la croisée du transept est un élément architectural qui s’est multiplié en Catalogne. On retrouvera cet élément dans d’autres édifices romans ailleurs en Europe, par exemple en France dans l’église d’Orcival (Auvergne).

L’Italie du nord a également joué un rôle influent. Cela se traduit déjà par la présence des bandes lombardes qui, comme leur nom l’indique, sont l’œuvre de maçons lombards. Ceux-ci étaient en effet particulièrement demandés par les comtes de Barcelone et les abbayes catalanes en raison de leur grande maîtrise de la taille de la pierre. La route commerciale reliant le nord de l’Italie à la côte est de l’Espagne a permis le développement de cette influence. Celle-ci se fait sentir aussi à Saint-Vincent de Cardona
dans les collatéraux hauts et étroits, la nef en berceau et les piliers cruciformes que l’on trouve dans l’église San Fruttuoso di Capodimonte à Portofino, près de Gênes, et datant de la seconde moitié du Xe siècle. De cet édifice vient aussi la coupole mais alors qu’elle est sur trompe à Cardona, elle repose sur pendentifs à Portofino : ce sont des triangles concaves placés aux angles et qui prolongent la coupole en écoinçons.

Enfin, Constantinople, capitale de l’empire byzantin, a elle aussi exercé son influence sur Cardona. En particulier, deux édifices ont servi de modèles : le Bodrum Camii et le Fenari Isa Camii. Le premier possède une abside principale flanquée de deux absidioles, une nef terminée à son extrémité occidentale par un narthex comprenant une galerie intérieure, des voûtes en berceau sur les quatre bras, des voûtes d’arêtes pour les collatéraux et une coupole sur pendentifs à la croisée. Le second comprend des niches sur les faces intérieures du chœur et des voûtes en berceau sur les quatre bras. Autant d’éléments repris à Saint-Vincent de Cardona qui offre donc un témoignage particulièrement original des débuts de l’architecture romane.

Aller plus loin :

BONNASSIE, Pierre, « La Catalogne a mille ans », in L’Histoire, juin 1985, n°
79, pp. 38-46.

FERNIE, Eric, « Saint-Vincent de Cardona et la dimension méditerranéenne du premier art roman », in Cahiers de civilisation médiévale, 2000, n° 43, pp. 243-456.

GERARD-POWELL, Véronique (dir.), L’art espagnol, Paris, Flammarion, 2001.

KERGALL, Hervé et MINNE-SÈVE, Viviane, La France romane et gothique, Paris, La
Martinière, 2000.

PÉROUSE DE MONTCLOS, Jean-Marie, Architecture. Méthode et vocabulaire, Paris,
Imprimerie nationale éditions, 2002.

Toutes les illustrations en noir et blanc de l’article sont extraites de l’article d’Eric Fernie. Celles en couleur : source 1,
source 2, source 3 et source 4

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