Né en 1895, le cinéma est vite devenu une habitude en Roumanie aussi. En 1911, c’était déjà le passe-temps préféré des habitants de la périphérie de la capitale. L’été, ils se réunissaient dans un jardin – restaurant pour manger de mici (boulettes de viande hachée et grillée), pour boire de la bière et regarder des projections sur un écran improvisé à l’aide d’un drap attaché à deux piliers. Le répertoire comportait des bulletins d’informations ou bien deux drames, suivis à chaque fois par une comédie. C’étaient évidemment des courts – métrages. Les films roumains étaient d’habitude des adaptations des spectacles de théâtre à succès.
C’est sur cette toile de fond qu’un groupe de jeunes comédiens enthousiastes du Théâtre National de Bucarest a eu une drôle d’idée: réaliser un film d’art de deux heures, une durée inconcevable à l’époque. Ils ont donc créé une société cinématographique et, encouragés par Grigore Brezeanu, un jeune de 20 ans seulement, ils ont réussi à trouver des fonds pour leur démarche. L’argent pour le film provenait donc de l’homme d’affaires Leon Popescu, avec le soutien de l’armée et de la Maison Royale. Le sujet – reconstituer les faits héroïques des Roumains dans la Guerre d’Indépendance de 1877.
L’unicité du film était à retrouver non seulement dans la durée et l’ampleur du scénario, mais aussi dans le fait que certains personnages étaient des personnes qui avaient participé à la guerre et étaient encore en vie, telles que le Roi Carol Ier ou la Reine Elisabeth. La première du film a eu lieu le 1er septembre 1912, au cinéma Eforie de Bucarest. Le succès a été énorme. Il a été diffusé pendant 22 jours au même cinéma.
C’est ici qu’aurait dû s’arrêter l’histoire du film “L’indépendance de la Roumanie”, pour rester à jamais dans la mémoire collective du pays. Mais son sort a été quelque peu différent.
Tous les membres de la société cinématographique se considéraient comme les auteurs du film, car tous y avaient contribué en égale mesure. Toutefois, leurs successeurs ont hérité de beaucoup d’incertitudes, comme par exemple l’idée que le jeune Grigore Brezeanu serait le réalisateur de la pellicule.
Vers la fin du 20e siècle, soit en 1985, dans une vieille commode appartenant à la famille Demetriade, furent découverts des documents d’une valeur inestimable, parmi lesquels se trouvaient aussi les variantes du scénario du film “L’indépendance de la Roumanie”. Jusque là, on savait que le texte appartenait principalement à Petre Liciu, comédien au Théâtre National de Bucarest et membre de la société qui avait produit le film. Mais, en parcourant les documents récemment découverts, l’historien du film Tudor Caranfil a pu constater qu’il y avait un autre responsable du scénario. Il s’agit d’Aristide Demetriade, un autre grand comédien du Théâtre National, interprète du Roi Carol Ier. Ecoutons Tudor Caranfil:
“En partant de la variante de Petre Liciu, Aristide Demetriade a écrit 4 autres cahiers de différents scénarios pour ce film. Par conséquent, il ne s’agit pas d’un seul texte, mais de 5 variantes. C’est là un travail énorme qui a duré plus d’un an. Avant cette découverte, on pensait que le film avait été réalisé sans trop y avoir pensé, en développant seulement certains points du sujet. Eh bien, il n’en fut pas ainsi”, constate Tudor Caranfil.
Ces erreurs ont été favorisées par le fait que la copie du film se trouvant aux Archives Nationales était incomplète et de mauvaise qualité. Tudor Caranfil explique:
“Parmi les documents découverts en ’85, il y avait une liste de montage rédigée en français et où l’on peut voir très clairement quelle était l’idée initiale du film. Une fois trouvée, nous avons averti les Archives qu’une vingtaine de minutes manquaient de leur copie. Heureusement, ils les ont retrouvées quelques mois plus tard”.
Grâces à toutes ces découvertes, nous avons aujourd’hui une copie intégrale et restaurée du film “L’indépendance de la Roumanie”, lancée sur DVD en 2007. Quant à la réalisation et au scénario, le débat reste ouvert. Certains historiens du cinéma roumain estiment que les documents de la famille Demetriade ne sont pas révélateurs, préférant l’idée qu’un jeune homme ambitieux de 20 ans, appelé Grigore Brezeanu, avait réalisé le film. Quant à lui, Tudor Caranfil nous fait part d’une autre hypothèse:
“Grigore Brezanu a été le coeur de ce film. C’est lui qui a eu l’idée et qui a réuni autour de lui les forces créatrices du Théâtre National. Mais cela ne veut pas dire qu’il a également signé la réalisation ou le scénario de cette pellicule. Le scénario a appartenu aux grands artistes du Théâtre National qui se sont investis dans le projet. C’est Aristide Demetriade qui en a été le réalisateur, à mon avis. Il était non seulement comédien mais aussi metteur en scène et avait une vaste culture artistique, que l’on peut remarquer dans “L’indépendance de la Roumanie”. En plus, à part le réalisateur proprement – dit, il y a eu également des conseillers militaires. C’est pourquoi il est délicat de dire que Aristide Demetriade a été le seul réalisateur. Il y a des séquences qui lui appartiennent sans doute, mais il y a aussi des scènes de bataille qui imposaient l’autorité des conseillers militaires”, estime Tudor Caranfil.
En conclusion, “Le reste est silence” – ce n’est pas seulement le célèbre vers de Shakespeare, mais aussi le titre du film de Nae Caranfil, une reconstitution aux accents comiques et nostalgiques d’une époque d’avant-garde, où “L’indépendance de la Roumanie” suscitait des passions, qui fascinent de nos jours encore.
(Christine Lescu, Valentina Beleavski)