Dans la mythologie européenne, le loup est l’une des bêtes les plus féroces et les plus hideuses. Si cet animal a été persécuté pendant des siècles, ce fut aussi en raison de la lycanthropie – cette transformation imaginaire de l’homme en un être sanglant, un loup-garrou, qui erre la nuit dans les campagnes. Cette vieille croyance a servi d’ailleurs de source d’inspiration pour beaucoup de films – d’épouvante ou tout simplement d’ventures.
Dans la mythologie roumaine, par contre, le loup guide l’âme des morts vers l’autre monde, ce qui est pour cet animal une sorte de compensation – mineure. A part cela, l’image que l’on avait du loup était plutôt défavorable. Une campagne d’extermination des loups a même été déclenchée vers le milieu du XX-e siècle. On leur imputait surtout les ravages dans les bergeries, la transmission de la rage et la diminution du gibier.
Les raisons de cette campagne semblaient objectives; pourtant on ne serait jamais arrivé à une véritable disparition de l’espèce, si la persuasion n’était pas tombée sur un terrain fertile: la vieille croyance en la “méchanceté” foncière du loup.
Maria Runcanu, ethnologue du Musée ethnographique de Comăneşti, dans l’Est de la Roumanie, nous explique:
« La stabilité de son comportement reproducteur, la férocité avec laquelle il procure sa nourriture, sa dignité – vu que l’homme n’a jamais réussi à le dompter pour le faire sauter à travers un cercle sous la coupole du cirque comme les autres animaux – tous ces traits ont fait du loup, pendant l’Antiquité, une vraie divinité. Les loups se constituent en bandes et des couples sont constitués à l’automne; ils s’accouplent entre novembre et janvier, ils ont des petits et mènent une vie disons familiale, jusqu’à ce que la nouvelle génération commence à chasser et forme une nouvelle bande ».
L’étendard de nos ancêtres, les Daces figurait une tête de loup et une queue de serpent. Ces deux symboles désignaient le deuxième degré d’initiation des combattants. Le premier, obtenu à la sortie de l’enfance, était symbolisé par la mise à mort du serpent. Celui qui tuait le serpent de la destinée était capable de maîtriser son propre sort. Seul un homme sorti de l’âge du serpent et qui avait cessé de ramper, comme lui, pouvait entrer dans l’étape du feu, qui était celle du loup. Alors que le serpent rampe, pique et vit retiré, pareil à l’enfant, le loup court, attaque en groupe et vit en bandes. C’était là le comportement adopté par les soldats daces dont l’emblème militaire était la tête de loup.
Les roumains sous le signe du loup depuis l’antiquité…
Les Roumains, issus des la symbiose des Daces et des Romains, ont eux aussi vécu sous le signe du loup. Maria Runcanu:
« En Roumanie, fin novembre et début décembre les grandes fêtes traditionnelles coïncident avec les moments importants de la reproduction des loups. Pendant cette période de nombreuses coutumes leur sont dédiées, remontant peut-être à un scénario très ancien de renouvellement du temps – les chercheurs pensent qu’il s’agirait de la Nouvelle année dace.
Comme toute autre grande divinité, le loup aide ou punit les fidèles: il voit les diables et les met en morceau le jour des Rois, il effraie les maladies des enfants et les écarte, etc. Sur le plateau de Luncani, dans le sud de la Transylvanie, à proximité des cités daces des Monts Orastie, jusqu’au début du XXe siècle, le premier allaitement de l’enfant était fait à travers un engin en forme de cercle, construit d’une mâchoire et d’une peau de loup, appelé “gueule de loup”. Dans de nombreuses régions, les enfants gravement malades étaient baptisés Lupu – le Loup -, le nom de cette bête féroce étant censé effrayer la maladie. Les Roumains croyaient également que loup guide l’âme humaine sur les sentiers tortueux menant au Paradis. Le loup est aussi considéré comme un des messagers de la mort, aux côtés d’autres animaux sauvages – tels l’ours – ou domestiques, comme par exemple le chien, de certains rapaces – tels le hibou et la chouette – ou de volailles comme la poule. Leur message funeste est transmis par le chant: la chouette et le hibou chantent, la poule chante comme le coq, le chien et le loup poussent des hurlements prolongés, qualifiés d’ailleurs de lugubres.”
Le loup est donc un symbole de la sauvagerie, mais aussi de l’insoumission et de la ténacité. En tant que bête qui voit dans l’obscurité, il est aussi le symbole positif de la lumière, du guerrier, du héros, de l’ancêtre mythique.
Texte – Daniel Onea
Traduction – Dominique