Nicolae Tiron a une passion peu commune : cultiver des edelweiss. Né à Sinaia, au pied du Massif Bucegi, dans les Carpates Méridionales, ce montagnard pure souche a vite remarqué la vitesse à laquelle ces petites fleurs des cimes se font de plus en plus rares.
«Floarea reginei» (la fleur de la reine), rebaptisée « floarea-de-colt » (la fleur-de-roc) par feu le régime communiste, et mondialement connue sous le nom d’edelweiss, cette plante en miniature, qui embellit les parois rocheuses et les sommets carpatiques, est classée monument de la nature depuis 1933. Mais sa beauté étrange est une tentation trop forte pour tous ceux – malheureusement fort nombreux – qui ne se sentent pas concernés par la conservation de la nature. Aujourd’hui, l’edelweiss des Carpates est en danger, mais par bonheur, Nicolae Tiron s’est proposé de la dompter et de l’élever dans son jardin. Et c’est lui même qui nous raconte comment son aventure a commencé.
« Quelqu’un m’a donné deux racines d’edelweiss il y a 23 ans et depuis, je ne fais que les multiplier et les replanter en haute montagne. Il y a quelque temps, des étudiants sont venus me demander des plants pour aller avec leur professeur les replanter près de la crête. Espérons que ça aidera cette espèce à continuer d’exister. C’est une fleur rare et très fragile. Nous devrions suivre l’exemple de tous ces peuples qui ont fait de gros efforts pour protéger les pandas ou d’autres espèces, de la faune ou de la flore, et faire de même avec notre fleur-de-roc, notre edelweiss. L’admirer sans la toucher, sans l’enlever de la montagne. »
Nicolae Tiron a essayé de multiplier aussi d’autres plantes de montagne dans sa serre, mais elles n’ont pas résisté à la température trop élevée. En revanche, l’edelweiss semble être parfaitement à l’aise à l’altitude de seulement 800 mètres.
«Elle a besoin de beaucoup de lumière, d’eau en quantités suffisantes et d’un petit supplément – un sol riche en poudre de calcaire. On peut mettre de la craie pilée, pour lui créer des conditions presque naturelles, parce que, vous savez, l’edelweiss pousse le plus souvent dans les montagnes de calcaire. Mes plantes ont tout le temps les racines dans un centimètre cube d’eau ; elles en ont besoin à cause de la température intérieure de la serre. A la recherche de la lumière, elles s’élancent et poussent bien au-delà de leurs dimensions normales et du coup, elles ont besoin d’eau. En montagne, l’été peut apporter ou non la pluie, donc les plantes sont obligées à s’adapter, mais dans une serre elles demandent beaucoup d’eau. En hiver, il faut absolument qu’elles restent à des températures négatives, parce que leur période de végétation commence en décembre et janvier. Elles doivent se reposer. Il est hors de question de les garder dans un appartement, ni même dans une cave, il faut les sortir dehors. Je les multiplie en séparant une racine plus dodue. L’edelweiss est une plante pérène, qui peut vivre très longtemps si elle n’est pas soumise à des conditions extrêmes. Il arrive des fois, qu’au printemps, un gel de –10° la tue, mais c’est rare, parce qu’elle adaptée aux températures négatives.»
Chaque année, Nicolae Toma recolte, de sa serre, environ un millier cinq cents plants d’edelweiss. Nous lui avons demandé s’il y avait une quelconque différence entre ses fleurs à lui et celles que l’on peut rencontrer en haute montagnes, à 2000 mètres d’altitude :
«En montagne, les touffes sont plus basses ; elles mesurent 10 cm tout au plus. Dans les alpages du massif Ciucas il y a, quand même, de beaux exemplaires de gros edelweiss, aux dimensions d’une médaille sportive. Par contre, les immortelles des neiges qui poussent dans les monts Bucegi sont plus petites. »
Le séchage des fleurs cueillies se fait dans un bidon en plastique. On oriente les pétales vers le bas, puis on verse du sable jusqu’à en couvrir la corolle.Ainsi, la tige et la fleur restent toutes droites, sans aucun pli. Les plaquettes d’edelweiss sont en vente dans un petit commerce de la station touristique de Sinaia :
« Les gens en achètent, en général, pour les occasions festives, telles les noces, où ces fleurs ornent le bouquet de la jeune mariée. Quelqu’un avait même pensé à en accrocher une au revers de sa veste, mais je le lui ai déconseillé, car les petites fleurs séchées deviennent cassantes. Une inflorescence de 6 à 8 capitules blancs argentés revient à un peu plus de 50 centimes d’euros. Les plants, dont j’en vends pour 2 centimes, je les repique au printemps. Il y en a qui en veulent pour les replanter dans les montagnes. Pour moi, ç’est le plus beau des cadeaux. »
Un bouquet de jeune mariée, qui contient une centaine de telles étoiles argentées, présente l’avantage d’être longtemps gardé en souvenir, puisque ces petites fleurs ne flétrissent pas. D’ailleurs, l’edelweiss on le conserve le mieux sous forme d’immortelles. Coupé et mis en vase, il se fane et dépérit vite. Nicolae Tiron choisit les plants les plus vigoureux, aptes à résister à l’environnement sauvage et les repique à des endroits moins fréquentés par les touristes. La nature garde-t-elle des traces visibles de son effort ?
« Je ne saurais le dire, car le paysage change, il y a des glissements de terrain et puis de l’herbe qui pousse un peu partout. J’ai du mal à identifier toutes les plantes que j’ai repiquées, mais si au moins 2 à 3 exemplaires sur dix prennent, c’est déjà une réussite.»
Tout ce travail suppose de l’argent et beaucoup d’effort. Pour replanter les edelweiss de serre sur les crêtes des montagnes, Nicolae Tiron se lève au petit jour. Muni de sept pots de plants et des outils nécessaires, il emprunte la télécabine. Et lorsque quelqu’un frappe à sa porte lui demandant des edelweiss pour les planter en haute montagne, il ne peut que s’en réjouir. Il n’a plus à batailler, en cavalier solitaire, contre l’ignorance et la superficialité.
(Aut. Andreea Demirgian, trad. : Mariana Tudose, Ileana Ţăroi)