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Octave Mirbeau, le plaisir de détester Bruxelles

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Il est de bon ton de se plaindre des transformations qui ont affecté Bruxelles en raison des nombreuses constructions qui ont dû être entreprises pour loger l’ensemble des institutions européennes, mais aussi de la mutation totale des quartiers qui voisinent la Gare du Nord. En fait, la capitale de la Belgique reste une ville qui permet encore des surprises dont les plus étonnantes ne s’offrent il est vrai que si on prend le temps de marcher à pieds du côté d’Ixelles ou des Marolles.

Si Bruxelles constituait une étape franchie en hâte sur le chemin de retour de Théophile Gautier en 1858, par contre Octave Mirbeau, presque cinquante années plus tard, s’y arrête longuement lors de son périple en voiture qui l’amène en Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique. Parcourant les routes à 55 km à l’heure, ce qui lui procure une vision « impressionniste » des paysages à laquelle son ami Claude Monet et les autres peintres qu’il défendra bec et ongle l’ont introduit, il va de soi pour l’écrivain d’intituler le récit de son voyage La 628-E8, immatriculation de son véhicule. L’ouvrage publié en 1907 veut en effet contribuer à faire connaître l’Europe à des voisins européens et à contribuer ainsi à une paix qui va pourtant sombrer dans un des plus grands malheurs que ces pays aient connus depuis des siècles.

En plein milieu de ce parcours inédit dans lequel il ne manque pas d’exercer son talent de polémiste, c’est certainement Bruxelles, les Bruxellois et le roi Léopold II qui vont recevoir la plus forte volée de bois vert. En ce qui concerne ce roi pour qui l’argent du caoutchouc venu du Congo se confondit très vite avec sa fortune personnelle et qui contribua à profondément transformer l’urbanisme de la capitale, sans égard pour la souffrance et l’exploitation éhontée des habitants de la colonie, Mirbeau réserve un mépris puissant qui s’appuie en partie sur la manière peu élégante dont il déshérite ses filles et abandonne sa femme Marie-Henriette de Habsbourg-Lorraine dans l’élégante station thermale de Spa où sa présence laissera une marque indélébile, même si elle y mourut totalement délaissée.

Que reproche donc Octave Mirbeau aux Bruxellois ? A peu près tout ! Après avoir cependant vanté le passé prestigieux  de « …la ville éclatante de drap d’or, de velours, de soies, de fourrures, la poétique et amoureuse ville des dentelles, qui sont le luxe le plus joliment féminin, l’art le plus exquisement valet de la sensualité… », il en vient aux fausses dentelles mécaniques et surtout au fait « …qu’il n’y a plus, à Bruxelles, que des boursiers sans carnet, les fondateurs des XX sans tableaux, les inventeurs du modern style sans clients, çà et là, quelques critiques d’art symbolistes, hélas ! sans emploi, quelques poètes aigris de n’avoir pu partir pour ailleurs, mélancoliques laissés-pour-compte de la littérature, de l’art, de la  brasserie et, ce qui est pire que tout cela – oh ! comme je comprends mieux tous les jours, cher Baudelaire, ton sarcasme douloureux ! – des Bruxellois. » C’est bien entendu sans grands fondements et en particulier, ceux qui aiment Henry van de Velde apprécieront la mauvaise foi, mais c’est joliment ciselé.

En fait, ce récit, qui n’est pas un roman, ni un véritable livre de souvenirs et qui comprend tellement d’incises qu’on peut s’y perdre, dont un effroyable portrait de Balzac qui fit scandale, est peut-être un véritable ancêtre des blogs de voyage où on peut se permettre d’être tellement impitoyable avec les habitants des régions traversées que le lecteur éprouve finalement l’envie de se rendre compte par lui-même si le ridicule n’a pas tué tous ces personnages ainsi caricaturés, avant qu’il ne vienne lui-même à leur rencontre les toucher du doigt.

Mais dans ce genre cynique Mirbeau est véritablement un maître. Un dernier extrait ? « A Bruxelles il n’y a pas de ponts. Ils avaient bien autrefois une rivière que, par esprit d’imitation et pour justifier leur parisianisme, ils avaient appelée, en en réformant l’orthographe : la Senne. Mais depuis longtemps, ils l’ont enfouie sous terre et recouverte d’une voûte…Peut-être aussi, est-ce pour ne pas faire concurrence au Manneken-Pis, dont le pipi puéril leur suffit, suffit à leur amour de l’eau, à leur amour des reflets dans l’eau ? »

Dans la série Heureux qui comme…Octave Mirbeau Bruxelles. Magellan et Cie, en partenariat avec le magazine Géo. 2011.
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Michel Thomas-Penette

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