J’avais aimé « Julien Letrouvé colporteur » de Pierre Silvain, un auteur publié comme Pierre Michon chez Verdier. « Assise devant la mer » se déroule avec le même plaisir de la gourmandise des mots. Mais le son est plus grave, plus intérieur. Il s’agit de couper un cordon ombilical très emmêlé et plein de nœuds.
Il y a la plage et un changement de climat. Et la cuisine où l’on vit et où l’on meurt doucement, sans que personne ne s’en rende vraiment compte. L’amour est fait ainsi de petits riens et ce sont eux qui constituent une épitaphe dont le prononcé crée une oraison funèbre minuscule :
« La journée sera sereine, d’une splendeur adoucie. J’entends la goutte inlassablement tomber sur l’évier. Il faudrait remettre en bon état le robinet, remplacer le joint usé. Tu m’as chargé de ce dernier service, c’était hier soir, presque honteuse de me demander, après que j’ai tendu la cordelette rouge pour que tu puisses mettre ton petit linge à sécher. Sois sans inquiétude. J’irai chercher le plombier. »
Ainsi le goutte à goutte de la vie appelle d’autres humidités, l’eau surgit de la mémoire : des clapotements, des écoulements, le martèlement de la pluie, les particules humides du brouillard…et des odeurs qui s’attachent aux lieux de notre vie, ou bien plutôt qui les attachent à notre vie.
Je voudrais enregistrer ce livre ; je veux dire : le lire à haute voix. Vous le lire à haute voix.
Silvain est de ceux à qui la langue française donne des frissons et il sait nous passer son texte sur la peau pour transmettre une préciosité à peine sensuelle à ce qui le touche. Sans doute est-ce aussi qu’il passe le temps à regarder au plus près et qu’il entend tout. Témoin permanent de ses parents et de leurs absences, comme de leurs trahisons. Juste témoin, souffrant jusqu’à ce que la mort délivre.
L’horizon de la vie est bien là toujours dans la contemplation esseulée de la femme sur la plage. Le temps n’est rien :
« Des mois souvent se succèdent, parfois toute une année passe sans qu’elle le voie surgir par enchantement, à la façon d’un feu follet. C’est qu’il vient de loin, de l’autre côté de la mer, d’un endroit, dit-il, où jamais il ne neige. »
Et ainsi nos cœurs se détressent dans la patience…
Photographie : Statue de la vierge près d’Osweiler au Luxembourg
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