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Hanane Hajj-Ali, un combat pour la culture ; Portraits du Liban

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Ne vous fiez surtout pas au voile qu’elle porte, au sens que nous accordons souvent à ce foulard en Occident ; car Hanane Hajj-Ali est tout sauf une femme soumise !

Imaginez l’alliance improbable du charme de Macha Méril et de la fougue toute méditerranéenne de Maria Casarès (Jean Genet, dans ses Lettres à Roger Blin, parlait au sujet de celle-ci de « fougue ibérique ») et vous obtiendrez un aperçu très incomplet de cette personnalité du théâtre, épouse du célèbre comédien et metteur en scène libanais Roger Assaf. Ces rapprochements, pour approximatifs qu’ils soient par essence, n’en sont pas moins significatifs et j’avoue, puisqu’il a été fait allusion aux Lettres à Roger Blin, que j’avais pensé, en écoutant Hanane Hajj-Ali, qu’elle aurait pu reprendre, après Casarès, le rôle de la Mère, dans Les Paravents, avant de découvrir qu’elle l’avait effectivement joué au théâtre national de Chaillot en 2004, sous la direction de Jean-Baptiste Sastre. Il y a, comme cela, des évidences qui s’imposent, des passerelles qui se construisent spontanément entre les êtres, les époques et les générations.

La première impression que m’a laissée Hanane Hajj-Ali, lors de notre entretien dans un bureau du ministère de la Culture libanais, fut celle d’une femme délibérément engagée. De son côté, elle insiste sur ce qu’elle appelle son « identité morcelée » : femme, Arabe, Libanaise, Chiite, comédienne, portant le voile, mais éprise de liberté. Un puzzle dont les pièces semblent indifféremment interchangeables, mais qui constituent un tout, aussi paradoxal en apparence que cohérent dans sa globalité. Son parcours atypique confirme ce sentiment. Originaire du Liban-Sud, elle a, il est vrai, de qui tenir : sa grand-mère Fatima, à laquelle elle voue un véritable culte, sut braver les pressions familiales et sociales en refusant le mari qui lui avait été destiné pour épouser l’homme qu’elle aimait. Dans le contexte de l’époque (et même d’aujourd’hui), une telle attitude, de la part d’une adolescente de 14 ans, annonçait une belle indépendance d’esprit. Cette même indépendance habite Hanane Hajj-Ali qui étudia la biologie à l’Université de Beyrouth pour satisfaire le désir de son père, mais se forma parallèlement au théâtre, avec le ferme désir de devenir actrice – un métier qui n’en était pas un pour une jeune fille aux yeux de ses parents, comme on peut l’imaginer… Sa force de caractère eut finalement raison des réticences familiales ; voilà pourquoi, en dépit de la guerre civile et de ses dangers, elle rejoignit la compagnie de théâtre Al-Hakawâti qui avait été fondée par Roger Assaf.

Jouer sous les bombardements, dans l’insécurité permanente… Il fallait à cette troupe une foi inébranlable pour parvenir à vivre pareille aventure et convaincre un public soumis aux risques de se déplacer pour assister aux spectacles dans une ville livrée à la seule voix des armes. Une flamme artistique entretenue par un engagement culturel et une volonté politique. « Le théâtre Hakawâti, dit-elle, travaillait sur la mémoire collective et sur l’assimilation des formes et des techniques du conteur arabe et de la poésie populaire. Je me joignis à eux et je découvris, émerveillée, que le théâtre n’était pas ce que j’avais appris à l’université, mais un art lié aux gens, à la vie, qui puise sa matière dans les histoires vécues et trouve sa forme dans l’expression communautaire. » Depuis cette expérience, Hanane Hajj-Ali n’a jamais cessé de se consacrer au théâtre et à la scène culturelle.

En avril 2010, elle a publié un essai très documenté (pour le moment uniquement disponible en arabe) consacré à l’histoire du Théâtre de Beyrouth (Amers Editions, 240 pages). Un lieu qu’elle connaît bien pour avoir activement participé à son animation et y avoir joué, un lieu « mythique » puisqu’il resta ouvert durant toute la guerre civile (comme le Jazz band du Peace Hotel de Shanghai continua de jouer aux heures les plus sombres de la Révolution culturelle chinoise). « Mythique » également dans la mesure où il fut un creuset d’expérimentations, tout au long des années 1960 et 1970, foisonnantes, révolutionnaires et agitées, tant d’un point de vue artistique que politique. Toutes proportions gardées, les enjeux ici mis en œuvre furent assez comparables aux défis que relevèrent Jean Vilar au TNP, puis Roger Planchon au théâtre de Villeurbanne : proposer un théâtre critique, populaire, avec tous les conflits que peut engendrer une telle démarche culturelle, politique et sociale.

Aujourd’hui, Hanane Hajj-Ali mène un nouveau combat. Elle fait partie du comité artistique de La Ressource culturelle(Al Mawred Al Thaqafy), une association sans but lucratif dont la mission est d’encourager la créativité et les échanges culturels dans le monde arabe, en s’intéressant tout particulièrement aux jeunes artistes. Assistance technique, prix, financement, organisation d’expositions, de spectacles, formation, résidences d’artistes, études des politiques culturelles des pays de la région constituent les principales activités de cette association.

Force est de constater que, sans de telles initiatives privées, la scène culturelle (non pas seulement théâtrale, mais toutes disciplines confondues, Hanane ayant, par exemple, exposé des œuvres d’Ayman Baalbaki) des pays du Proche-Orient serait des plus réduites. Car, si quelques pays ont su mettre en place des politiques incitatives assorties de budgets adaptés, la plupart n’accordent à l’art contemporain que peu d’importance. Ainsi, au Liban, les actions culturelles gouvernementales demeurent très modestes au regard du nombre des jeunes artistes locaux et régionaux. Seul le secteur privé, à travers quelques fondations et associations, parvient à soutenir des projets ponctuels ou spécialisés, mais les sommes en jeu n’ont bien évidemment rien de comparable à celles investies dans les colossaux programmes immobiliers, dont le nouveau et pharaonique centre-ville de Beyrouth constitue une vitrine significative.

Il est vrai que, dans cette région du monde, les Etats choisissent leurs priorités, dont la culture reste, à quelques exceptions près, une grande absente. Il est vrai aussi que les milieux culturels sont souvent perçus par ces Etats comme des fauteurs de trouble, des foyers d’agitation et d’opposition. Antonin Artaud l’écrivait, dans les premières pages du Théâtre et son double :

« Ceci dit, on peut commencer à tirer une idée de la culture, une idée qui est d’abord une protestation.

Protestation contre le rétrécissement insensé que l’on oppose à l’idée de culture en la réduisant à une sorte d’inconcevable Panthéon ; ce qui donne une idolâtrie de la culture, comme les religions idolâtres mettent des dieux dans leur Panthéon.

Protestation contre l’idée séparée que l’on se fait de la culture, comme s’il y avait la culture d’un côté et la vie de l’autre ; et comme si la vraie culture n’était pas un moyen raffiné de comprendre et d’exercer la vie. »

Or, la protestation n’a jamais fait bon ménage avec le pouvoir, surtout lorsque celui-ci est « fort » ou influencé par les religions. Les révolutions issues du Printemps arabe permettront-elles aux différents domaines de la culture de s’épanouir ? La liberté de création, directement liée à la liberté d’expression, n’est pas encore acquise – et les procès intentés contre les artistes par les groupes de pression communautaristes et puritains en Occident montrent qu’elle ne l’est pas non plus totalement dans ces démocraties… D’ailleurs, certains artistes du monde arabe s’expriment déjà sur ce sujet, redoutant une montée en puissance des intégristes (lesquels ne supportent pas davantage que les despotes le rôle dérangeant des artistes) dans les pays qui ont vu naître ces révolutions. Il est donc bien trop tôt pour se prononcer. Raison de plus pour que des voix courageuses, voire dissidentes, s’élèvent, telles celles de Roger Assaf et de Hanane Hajj-Ali, pour défendre et promouvoir l’expression culturelle sous toutes ses formes.

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