Le poète Vasile Voiculescu est une figure de proue de la littérature roumaine contemporaine. Sa création, dominée par le traditionalisme ainsi que par un fort sentiment religieux, avec des accents expressionnistes, était tributaire au “gândirism”, ce courant idéologique apparu en Roumanie, au début du 20e siècle, autour de la revue “Gândirea” – “La pensée”. Ce courant se caractérisait par un rapprochement de l’orthodoxie et l’autochtonisme et militait en faveur du traditionalisme, du nationalisme et de l’unité nationale sous l’égide de l’Eglise Orthodoxe. Médecin de formation, Vasile Voiculescu était en même temps un esprit encyclopédique.
Né le 27 novembre 1884, dans le département de Buzau, il s’est senti, dès sa jeunesse, attiré par le matérialisme et le positivisme. Médecin militaire durant la première guerre mondiale, il participe aux soirées littéraires de l’écrivain Alexandru Vlahuta.
Les années ’20 coïncident avec une adhésion plus intense du poète au traditionalisme et à la religion.
En 1945, lorsque le régime communiste s’emparait du pouvoir en Roumanie, Vasile Voiculescu, âgé de 61 ans, avait déjà écrit la majeure partie de son oeuvre. Arrêté en 1958, à 72 ans, Vasile Voiculescu expérimenta la vie carcérale, l’endroit où certains ont perdu leur foi alors que d’autres l’ont retrouvée. Cette nouvelle page d’histoire que la Roumanie venait de tourner ainsi que sa place dans le monde, voilà autant de sources d’inspiration pour le magnifique roman signé par Voiculescu “Zahei, l’aveugle”. L’historien Marius Oprea, auteur du volume “Le vrai voyage de Zahei. Vasile Voiculescu, le mystère du Bûcher ardent”, nous en dit davantage:
“A lire le dossier de l’enquête menée par la Securitate à l’encontre de Voiculescu, ainsi que le dossier des années passées en prison, j’ai eu la sensation de relire son roman “Zahei, l’aveugle”. J’ai retrouvé dans son roman le chemin que le poète allait parcourir pendant son enquête, et puis au cours de son emprisonnement, avec des différences inévitables. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une prémonition mais plutôt du fait que Voiculescu savait ce que souffrir voulait dire, de par sa profession. J’ai appris avec émotion que dès 1946, Vasile Voiculescu s’absentait de chez lui pendant plusieurs heures, chaque semaine, à maintes reprises. Personne ne savait exactement ce qu’il faisait pendant ce temps là. Ce ne fut que plus tard qu’on l’apprit: Voiculescu se rendait à l’école pour les malvoyants, dans la banlieue bucarestoise, et il y demeurait pendant des heures, pour les observer avec attention, sans mot dire. Ce fut peut-être alors qu’est née cette idée, issue d’une curiosité purement professionnelle de Voiculescu, le médecin, transfigurée par la suite en l’expérience de Voiculescu, l’écrivain.”
Pendant les années de confusion qui suivirent à la guerre, l’insécurité fut l’unique lien entre les Roumains qui entendaient s’opposer au régime communiste. C’est dans ce climat que fut créé le groupe “Le bûcher ardent”, victime des persécutions communistes. Marius Oprea:
“Vasile Voiculescu et les membres du groupe “Le bûcher ardent” ont figuré parmi les victimes collatérales du régime.
Le clergé était à l’époque fortement préoccupé par le spectre de l’épuration, après l’adoption de la loi des cultes en 1948. Devenu employé de l’Etat, aux termes de cette loi, tout hiérarque qui s’opposait de façon manifeste au régime démocrate populaire risquait de se voir écarter pour faire place à ceux qui étaient obédients au régime qui commençait à se dessiner, notamment après les élections de 1946. C’est sur cette toile de fond d’insécurité qu’est né le groupe intitulé “Le bûcher ardent”. Dans un premier temps, c’était plutôt un groupe de réflexion qui se donnait pour tâche de garder bien vivante la foi face à l’assaut de l’athéisme communiste. Ultérieurement, de plus en plus de personnes ont fini par rejoindre ce petit groupe de réflexion.
Suite aux événements de 1956, en Hongrie, les autorités communistes de Roumanie ont commencé une vague d’arrestations similaire à celle de 1947- 1949. Nombre d’anciens membres du groupe “Le bûcher ardent” se sont retrouvés dans le collimateur des communistes. Ce groupe était dissous depuis quelques années déjà, mais il restait quand même son aile littéraire avec tous ces écrivains qui se rencontraient pour faire la lecture de leurs œuvres et échanger des idées. Des personnages inoffensifs pour le régime, mais dont les communistes se sont servis pour justifier le décret de 1958 par lequel nombre de monastères ont définitivement fermé leurs portes. »
La prison a pratiquement entraîné la fin de Vasile Voiculescu. C’est sur la terrible expérience de sa détention que s’attarde notre invité, l’historien Marius Oprea:
“La prison l’a profondément marqué. Des histoires hallucinantes existent en ce sens. On dit qu’entre les murs de sa cellule, Vasile Voiculescu faisait de son mieux pour préserver intact son surnom de “médecin sans honoraire”. Car il lui arrivait souvent d’acheter des médicaments pour les malades en difficulté. C’est exactement ce qu’il a continué à faire en prison aussi; on dit qu’il cédait sa ration de vivres à ceux qui en avaient besoin. Mais il a fini par tomber gravement malade. Au moment de sa remise en liberté, il ne pouvait plus se déplacer. A moitié paralysé, il souffrait d’une maladie de la colonne vertébrale qui a d’ailleurs entraîné sa fin. Une histoire m’a vraiment touché: on dit qu’avant de fermer les yeux, il aurait dit à son fils: “Ne leur pardonne jamais, ne leur fais jamais confiance.” Imaginez une telle réplique dans la bouche d’un chrétien! Cela nous donne la dimension exacte des supplices subis en prison.”
Une année après sa remise en liberté, Vasile Voiculescu s’éteignait le 26 avril 1963. Son destin fut celui d’un vainqueur et sa personnalité a servi d’exemple à nombre de Roumains.
Aut. : Steliu Lambru; trad.: Alexandra Pop, Ioana Stancescu