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Paris, mon amour : une comédie musicale roumaine d’Adriana Butoi

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Chemise blanche, tablier noir, les serveurs silencieux glissent entre les tables exiguës. On sirote du champagne, on savoure le caviar rouge. Des réverbères tamisent la lumière et calment les couleurs des publicités entassées sur la colonne Morris d’à côté… Une terrasse parisienne typique, selon toute vraisemblance, quoique plutôt huppée. Et pourtant, malgré le pavage apparent, l’air frais est distillé par la climatisation et non par la Seine, tandis qu’aux tables on parle roumain.

La terrasse bondée de spectateurs est installée à Bucarest, dans le foyer du Théâtre National d’Opérette « Ion Dacian ». Elle est le décor vivant et interactif de « Paris, mon amour », la plus récente comédie musicale roumaine, qui revisite pourtant tous les grands classiques de la chanson française. Un spectacle potentiellement très casse-cou, reconnaît son metteur en scène, Razvan Ioan Dinca :
« J’y ai mis tout ce que j’aime – je n’ai demandé l’avis de personne. Je suis un fan des chansonnettes, j’ai des centaines de mélodies chez moi et j’en ai choisi une vingtaine… S’il n’y avait pas eu cette contrainte de temps, j’aurais proposé trois fois plus. Il n’y a pas trop de chansons rythmées, mais le spectacle est dynamique grâce aussi aux arrangements de notre chef d’orchestre, Lucian Vladescu. Au début, j’ai eu pas mal de réserves, car c’est très délicat de travailler avec une telle musique. On s’est aussi beaucoup disputé – moi je voulais une dizaine de musiciens, lui ne voulait même pas en discuter sans une vingtaine. Je le reconnais – il a eu raison… L’habillage des titres est parfois beaucoup plus émotionnel et théâtral que l’original et ça a beaucoup influencé le résultat final. C’est ainsi qu’est apparu mon Paris bohème, avec un mélange de profond et de futile, voire de frivolité ».

De Mistinguett à Joe Dassin en passant par Piaf et Trenet – à première vue, effectivement, on est en plein Paris carte postale. Néanmoins, l’enchaînement de petites tranches de vie abandonne le chemin battu; et ce dès les premiers instants, lorsque le spectateur se rend compte que la jeune fille aveugle, qui chante au coin de la rue, se fait exploiter par son caïd. Le cancan lui-même n’arbore pas plumes, paillettes et rangées interminables de danseuses – s’il y a de la fête elle tient plutôt de la délivrance des habitants du 19e arrondissement que de la joie des touristes du Moulin Rouge. Si le Paris qui se laisse entrevoir aux Roumains n’est pas vraiment d’opérette, c’est grâce aussi au fait que le créateur du spectacle, Razvan Ioan Dinca, avait jadis tout simplement séché les cours de français :
« Malheureusement je ne parle pas le français – ce qui m’a beaucoup aidé, en fait, dans la réalisation de ce spectacle. Ca peut paraître paradoxal, mais si j’avais compris le moindre mot de ces chansons, j’aurais probablement suivi l’histoire racontée par la parole et non par la musique. C’est pourquoi j’ai travaillé presque exclusivement sur la musique et sur l’émotion qu’elle me transmettait ».

Le metteur en scène n’est pas un oiseau rare – au quotidien, la quasi totalité des comédiens du spectacle « Paris, mon amour » de Opérette bucarestoise ne s’exerce jamais à la langue de Molière. Par rapport à la langue, la musique de l’Hexagone n’est pas mieux placée non plus. Si le soir il s’habille en jeune Parisien des quartiers populaires, le matin, Ernest Fazekas anime une émission grand public sur une importante radio comerciale roumaine. Selon lui, les programmateurs roumains boudent depuis une vingtaine d’années la musique française parce qu’elle mettrait en exergue le texte au détriment de la mélodie. D’où une déferlante de musique anglo-saxonne bon marché et une réalité surprenante – la chanson française des années ’50-’70 – plutôt désuète chez elle – domine toujours les ondes roumaines :
« C’est bizarre de travailler un tel show. Je dois reconnaître que je n’ai pas beaucoup en commun avec le français – j’appartiens à une génération de Roumains qui regarde beaucoup de films hollywoodiens et qui a inévitablement appris l’anglais. On écoute, par conséquent, notamment de la musique anglo-saxonne etc. Je connaissais, toutefois, ces chansons, qu’écoutaient mes parents. Lorsque j’ai préparé les numéros dans lesquels j’apparais, j’ai regardé les enregistrements avec Bécaud et Jacques Brel et j’ai trouvé que je ressemblais étrangement à ce dernier – alors cette aventure m’est apparue encore plus passionnante.
Je trouve que je n’ai pas lutté avec les chanteurs des titres originaux – j’ai beaucoup appris d’eux… Vous savez, dans la musique roumaine, il y a actuellement ce débat sur le vol, le plagiat etc. Pour ce spectacle, je le reconnais sans gêne – j’ai moi-même volé. J’ai regardé Bécaud et Brel… Souvenez-vous de cet enregistrement avec « Ne me quitte pas » – Brel apparaît tout en sueur, tellement laid, éclairé par un projecteur placé par terre. Ce qu’il fait là, j’ai volé, mais je l’ai décrypté par mon propre vécu. Il paraît que ça a marché… A mon avis, Brel, Bécaud ne peuvent pas te dévorer en tant que chanteur, de même que moi, chanteur, je ne peux pas être leur copie conforme ».

Alors que la plupart de ses collègues craignaient la rencontre avec le français, une langue qu’ils ne pratiquent pas, Florin Budnaru regrette de ne pas être à leur place. Dans la peau d’un Américain perdu dans la capitale française, son numéro est en anglais, l’unique du spectacle. Pour ce tube d’Ella Fitzgerald, ce ténor – un des jeunes premiers romantiques les plus en vue de l’opéra et de l’opérette de Bucarest – a dû changer sa voix et jouer le jazzman cool de Broadway :
« C’est très difficile, mais j’aime beaucoup les défis. Je suis, en quelque sorte, le contrepoids de tout ce qui se passe sur scène – alors que les autres sont assez mélancoliques, moi je suis la touche de swing, si vous voulez. C’est un autre regard sur Paris, américain c’est vrai, mais celui-ci n’est-il pas un peu incontournable de nos jours ? Avec ce spectacle, je reviens en quelque sorte à une passion ancienne, car avant l’opéra, l’opérette ou la comédie musicale, je me suis pas mal illustré dans la chanson – et ça me fait très plaisir de redécouvrir sur scène ce genre, que je pratique notamment en privé ».

Dans « Paris, mon amour », Adriana Butoi retrouve à Bucarest sa Ville Lumière d’adoption. Dans la capitale roumaine elle ne peut jouer que très rarement en français, la langue dans laquelle elle a été formée au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris. Etre la seule francophone de la distribution lui a étonnamment donné plus de liberté, raconte Adriana.
Elle vit actuellement entre la Roumanie et la France, où elle travaille dans les deux idiomes. Pour elle, « Paris, mon amour » ne restera pas la première et la dernière comédie musicale locale dans la langue de Molière. Amenée par son rôle de serveuse à interagir non seulement avec ses collègues mais aussi avec les spectateurs, Adriana a constaté que, même s’ils ne jurent dernièrement que par l’anglais, les Roumains ont la nostalgie du français.

Ce produit de luxe n’est toutefois pas en manque d’acheteurs, malgré ces temps économiques très troubles en Roumanie. « Paris, mon amour » affiche complet jusqu’à la fin de la saison, tandis qu’une place vaut une trentaine d’euros, soit le triple du prix d’un billet pour un spectacle ordinaire, mais beaucoup moins qu’un vrai voyage dans la capitale française. Face à la demande, le Théâtre National d’Opérette « Ion Dacian » de Bucarest réfléchit à l’idée d’installer la terrasse de son foyer dans d’autres capitales aussi. A l’orgue de barbarie pourrait ainsi se joindre prochainement la balalaïka moscovite ou la trompette berlinoise.
Andrei Popov

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