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Mémoires de guerre : de Gaulle et la littérature

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La célébration du soixante-dixième anniversaire de l’Appel du 18 juin fournit l’occasion – s’il en fallait une – de découvrir ou de relire les Mémoires de guerre du Général de Gaulle. L’ouvrage, en trois tomes, se présente comme un document saisissant, jusque dans sa dimension littéraire. Lorsqu’ils furent publiés chez Plon entre 1954 et 1959, une grande partie de la critique, même de gauche, salua ces Mémoires. Claude Roy dira : « De Gaulle est un de nos grands écrivains latins de langue française. »

De Gaulle - appel du 18 Juin

Le mot ne relève pas du paradoxe et le lecteur en prend conscience au fur et à mesure que les pages défilent sous ses yeux. Le récit de celui qui scella le destin de la France par son refus de la défaite en juin 1940 est en effet soutenu par un style ferme, latin, voire romain diront certains, dont l’humour n’est toutefois pas absent ; un style classique, animé d’un souffle parfois épique, lyrique et flamboyant, mais délibérément littéraire. La forme importait à De Gaulle écrivain et il suffit d’avoir examiné ses manuscrits de travail, terriblement raturés, amendés, pour avancer une comparaison (non pas stylistique, mais relative à la méthode d’écriture) avec ceux de Flaubert ou de Proust. On peut d’ailleurs imaginer tout l’intérêt que représenterait une critique génétique de ses œuvres.

« Le style est l’homme même », avait dit Buffon dans son discours de réception à l’Académie. Et l’homme se construit à travers son parcours éducatif, sa curiosité, ses rencontres, ses expériences, ses lectures. C’est ce qui apparaît au fil d’un passionnant essai d’Alain Larcan qui vient d’être publié dans une édition revue et augmentée : De Gaulle inventaire (Bartillat, 980 pages, 28€). L’auteur maîtrise son sujet, puisque cet universitaire préside le conseil scientifique de la Fondation Charles de Gaulle (fonction qu’occupa, je crois, jusqu’à sa mort, mon vieil ami le pasteur Chaudier). Ce travail est donc une somme où se dessinent la genèse et les cheminements de la pensée du Général, à travers la formation de son esprit, des Grecs et des Latins aux auteurs qui furent ses contemporains, car ses centres d’intérêt ne se limitaient pas au classicisme. En témoignent ses lectures d’Alfred Jarry, Pierre-Jean Jouve ou J.-M. G. Le Clézio. Chaque entrée fait l’objet d’un développement permettant de comprendre l’influence que purent exercer sur l’Homme du 18 juin les écrivains, les philosophes et les moralistes. Des textes, puisés jusque dans ses notes personnelles et sa correspondance, ainsi que les témoignages de ceux qui le côtoyèrent, illustrent le propos. Cet inventaire quasi exhaustif des références littéraires, philosophiques, militaires et historiques du Général est indispensable pour tout lecteur désireux de mieux comprendre la pensée de Charles de Gaulle. Il met en lumière sa fascinante culture humaniste, sans cesse enrichie par la curiosité intellectuelle dont il faisait preuve. Et l’on comprend que la lecture de La Bruyère, de Racine, de Chateaubriand ou de Péguy ait pu nourrir le style qui fut le sien.

La publication il y a dix ans, dans la très sérieuse collection de La Pléiade, des Mémoires de guerre semblait avoir définitivement officialisé les qualités littéraires de l’œuvre. Mais une polémique récente prétend remettre ces qualités en question. L’affaire naquit du choix, par des inspecteurs de l’Education nationale, d’œuvres à inscrire au programme du bac L (littéraire) pour l’année scolaire 2010-2011. Des débats, les noms d’Homère, Beckett, Pascal Quignard et Charles de Gaulle émergèrent. Pour ce dernier, sur le thème « littérature et débats d’idées », le tome III des Mémoires (Le Salut, 1944-1946) fut retenu. Ce choix semblait d’autant plus justifié (le tome I l’eut été encore davantage) que les commémorations du soixante-dixième anniversaire de l’Appel du 18 juin permettaient aux élèves de s’y préparer. En outre, le titre invitait parfaitement à l’étude des débats d’idées qui divisèrent la France, de l’entre deux guerres à la Libération.

C’était sans compter avec un groupe de professeurs de Lettres « de gauche » qui, dès la publication du programme au Journal officiel, s’empressèrent de lancer une pétition (forte aujourd’hui de plus de 1600 signatures), sous la bannière « Les Lettres volées », appelant les pouvoirs publics à exclure Charles de Gaulle de la liste des auteurs. Sur quels arguments se fondent-ils ? Un extrait de leur texte en livre un aperçu.

« Proposer de Gaulle aux élèves est tout bonnement une négation de notre discipline. Nul ne songe à discuter l’importance historique de l’écrit de De Gaulle : la valeur du témoignage est à proportion de celle du témoin. Mais enfin, de quoi parlons-nous ? De littérature ou d’histoire ? Nous sommes professeurs de lettres. Avons-nous les moyens, est-ce notre métier, de discuter une source historique ? d’en dégager le souffle de propagande mobilisateur de conscience nationale ? Car il s’agit bien de cela : aucun thuriféraire du général ne songerait à comparer l’écriture des Mémoires de guerre au style et à la portée de tout autre mémorialiste si l’on veut rester dans ce genre littéraire. »

Enseigner une œuvre littéraire serait-il donc incompatible avec la mise en perspective historique qui la concerne ? Cela reviendrait à dire qu’il faudrait s’abstenir d’étudier L’Education sentimentale au prétexte que le roman s’inscrit dans le contexte de la Révolution de 1848, laquelle ne concernerait que les professeurs d’histoire ! Quant aux « thuriféraires » – curieuse et méprisante dénomination pour les universitaires qui travaillent sur le corpus gaullien – ils sont légion à établir, avec les nuances nécessaires, des passerelles entre les Mémoires de guerre et, notamment, les Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand… On peut ne pas aimer le style de De Gaulle, nier sa dimension littéraire trahit en revanche un parti pris grotesque.

Mais l’argumentation de ces pétitionnaires qui «grouillent, grenouillent, scribouillent» ne s’arrête pas là. Le comble du comble, comme eut dit Lacan, est atteint par cette phrase : «Ce choix pose un problème : on pourrait le soupçonner de flatter la couleur politique du pouvoir en place.» Faut-il déceler ici une totale cécité des rédacteurs ou un propos partisan jusqu’à l’outrance ? Car s’il est un pouvoir politique qui n’a guère à voir avec les valeurs gauliennes, c’est bien celui établi depuis 2007. Sur le fond, on assiste à une liquidation en règle de l’héritage. Quant à la forme… Entre l’inculture des uns, les dérapages verbaux des autres, l’absence de sobriété dans les comportements ou la peopolisation de beaucoup (sans parler des membres du gouvernement de la République dansant la gigue dans un lipdub), la comparaison avec la conception que se faisait le Général de la dignité de l’Etat et du rôle de l’exécutif est éclairante ! Dès lors, soupçonner la décision des inspecteurs de l’Education nationale de flagornerie relève du raisonnement de Gribouille revu par Joseph Prudhomme.

Cette démarche, dont le SNES n’est pas signataire, mais dont il a peu ou prou relayé le message dans un communiqué du 5 février dernier, a quelque chose d’ubuesque. Vouloir éliminer De Gaulle de la sélection au prétexte qu’il ne serait pas un écrivain ressemble bel et bien à un combat d’arrière garde pathétique, qui doit peu à la littérature et beaucoup à l’idéologie, une idéologie qui se voudrait bien-pensante et n’est que rétrograde, antérieure, pour le moins, à l’effondrement de ce bloc de l’Est que le Général appelait « les mornes démocraties ». Et une idéologie d’un conservatisme forcené, puisqu’en voulant faire disparaître ce texte du programme, on évite un débat où aurait pu s’exercer un véritable esprit critique. Que les enseignants manifestent inquiétudes et revendications quant à leur statut est un droit que l’on ne saurait leur contester ; qu’ils se saisissent d’un prétexte aussi injuste et ridicule pour se faire entendre est en revanche un mauvais coup porté à la culture.

Illustrations : Couverture des Mémoires de guerre (édition originale) – Le Général de Gaulle au micro de la BBC (D.R.).

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