Quelles sont les expositions à ne pas manquer à Londres en 2010- 2011? Expositions d’art, de photos, culturelles, il y en a pour tous les goûts!
Les attrapeurs d’ombres au Victoria & Albert Museum
Jusqu’au 20 Février 2011, le Victoria & Albert Museum accueille une exposition de photographies exceptionnelle intitulée Les Shadow Catchers, les attrapeurs d’ombres… Les artistes sont réunis par un point commun : ils n’utilisent pas d’appareil photo, ni de chambre, ni d’objectif!!
C’est une exposition de photographie comme on en voit rarement que le Victoria & Albert Museum, à Londres, présente actuellement sous le titre ‘Shadow Catchers’ (jusqu’au 20 février 2011). Les cinq artistes montrés ici ont ceci de commun qu’ils font des photographies sans appareil photo, sans chambre, sans objectif. Comment est-ce possible ?
Trois d’entre eux impressionnent directement le papier photographique avec des objets, obtenant ainsi des images par photogramme ; un autre fait de même, mais avec des compositions lumineuses qu’il recrée dans sa chambre noire. Le dernier compose des images en dessinant directement sur le papier photographique avec des produits chimiques qui réagissent avec les sels du papier. Tous composent ainsi des images, plus ou moins abstraites, mais baignées dans une lumière irréelle et poétique, qui sont aux antipodes de la photographie documentaire ambiante. Il est dommage que ce ne soit qu’à Londres qu’on puisse voir de telles recherches photographiques, et qu’elles soient si rares en France.
La première salle est dédiée aux photogrammes de l’Allemand Floris Neusüss. La plupart sont des traces corporelles, où, dans une performance païenne sensuelle, de jeunes femmes nues ont posé leur corps sur un papier sensible à leur taille : ce sont des empreintes étonnamment précises là où le corps touche le papier, infiniment plus présentes que les Anthropométries de Klein.
Les positions, douces ou érotiques, traduisent un dynamisme, une envolée, comme si un mouvement dansant était soudain capté, une ombre de fée saisie (Untitled (Körperfotogram) Berlin, 1962). Ce sont des images rêvées, subconscientes. Neusüss montre aussi un photogramme géant (grandeur réelle) de la fenêtre de l’Abbaye de Lacock que William Henry Fox Talbot photographia en 1835 et, au sol, une composition drôle et tragique, une ombre sans corps, l’antithèse de Peter Schlemihl.
La salle suivante est au contraire le domaine de l’alchimie : plus de corps, plus de récit, mais la beauté froide et géométrique de compositions abstraites que le Belge Pierre Cordier fait émerger dans ses Chimigrammes (Dedalogram V, 22/6/87). Au hasard de ses manipulations chimiques émergent des labyrinthes, des forêts, des diamants, formes minimales et éternelles. La photographie n’est plus représentation du monde réel, mais simplement écriture avec de la lumière, et le photographe expérimentateur devient créateur de matière, de beauté et d’énergie plus qu’enregistreur.
Passé des corps aux formes, on arrive à la lumière quasi pure. Tout aussi éloignées du réel sont la plupart des photographies de l’Anglais Garry Fabian Miller qui crée des images purement lumineuses avec divers artifices colorés, réfléchissants ou déformants, pour arriver à des compositions où lumière et couleur éclatent. Ces images deviennent aisément des vecteurs de méditation, des tremplins mystiques ou des comburants énergétiques. Ce que nous voyons là n’a jamais existé, sinon dans le rêve du créateur (The Night cell, Winter, 2009/2010).
Susan Derges, elle, est plus proche de la nature, du paysage anglais ; certaines de ses photographies sont des vues du ciel nocturne tel qu’il se réfléchit sur un papier photosensible déposé la nuit au fond d’une rivière, d’autres sont des traces des vagues ou de l’eau glacée, captées de la même manière, par un contact direct avec l’objet représenté. Quatre grandes compositions, une par saison, sont plus complexes, empreintes de la lumière du ciel à travers de l’encre, des herbes aquatiques, des roseaux, de la mousse : elles reconstituent une magie de la nature, un retour à l’âge d’or (Arch 4 Summer 2007/2008).
Enfin, Adam Fuss, Anglais vivant à New York, présente des photogrammes spectaculaires, certains avec des serpents dont les ondulations dans l’eau sont enregistrées sur le papier sensible et celui-ci où un bébé de quelques jours, gigotant un peu dans quelques centimètres d’eau, a laissé une trace baptismale qui touche au sublime, au métaphysique (en haut, Invocation, 1992). Ses photographies sont sans doute les plus tragiques, celles qui nous interrogent le plus sur la vie, la mort, l’au-delà peut-être. Cette image bleutée d’un papillon est un photogramme sur un daguerréotype, réemploi de deux techniques du 19ème siècle, à l’encontre des règles mêmes du daguerréotype ; l’opposition ainsi obtenue entre positif et négatif, entre image et miroir, entre vide bleuté et corps fragile de l’insecte en fait une vanité somptueuse (serie My Ghost, 2001).
Sans doute n’est-ce qu’en enfreignant toutes les règles de la bonne photographie, en détournant toutes les commandes des appareils et des objectifs, qu’on peut espérer parvenir à ces photographies étranges et dépouillées, tellement réelles car si proches de l’objet photographié et en même temps tellement fantomatiques.
Photos courtoisie du service de presse du V&A. Floris Neusüss Untitled, (Körperfotogramm), Berlin, 1962 Collection Chistian Diener, Berlin ©Courtesy of Floris Neusüss. Pierre Cordier Chemigram 25/1/66 Dedalogram V, 1966 © Pierre Cordier. Garry Fabian Miller The Night Cell, Winter 2009/10, Collection of the artist © Garry Fabian Miller/ Courtesy of HackelBury Fine Art London. Susan Derges Arch4(summer)2007/08© Susan Derges ; Adam Fuss Invocation 1992 © Courtesy of Adam Fuss/ V&A Images ; , Daguerreotype, series My Ghost 2001 © Courtesy of Adam Fuss.
Exposition sur la cartographie à la British Library
De la British Library à la British Gallery… en passant par en passant par Rachel Khedoori et Joana Vasconcelos… Un peu en vrac. Découvrez quelques expositions à Londres jusqu’en septembre 2010…
Une exposition sur la cartographie à la British Library (jusqu’au 19 septembre 2010): déroulement curieux et explications passablement compliquées et pas très convaincantes, chaque pièce du palais se voyant attribuer un type de cartes, mais que ces vieilles cartes sont belles et évocatrices !
Les erreurs, découvertes et réattributions de tableaux anciens à la National Gallery (jusqu’au 12 septembre) : de l’humilité des conservateurs anglais, qui non seulement se trompent, mais admettent leurs erreurs et en tirent des leçons. À quand une exposition similaire au Louvre ?
Rachel Khedoori chez Hauser & Wirth : une bibliothèque de gros livres reliés ouverts sur des tables (Iraq Book Project). L’artiste, d’origine irakienne, a compilé toutes les dépêches d’agence sur la guerre en Irak depuis le 18 mars 2003, début officiel de la guerre. Les mots sont-ils impuissants ? Dans une autre salle, une vidéo sur une forêt luxuriante, projetée sur un écran qui se reflète dans un miroir adjacent à 90°: la jonction entre les deux images, comme un dessin de Rorschach, attire irrésistiblement, comme un maëlstrom dans lequel on voudrait s’engouffrer.
Et chez Haunch of Venison, un show de Joana Vasconcelos toujours aussi grandiloquente. Mais on remarque à peine, à l’entrée, ces poteaux et ces cordons de cheveux pour canaliser la foule (One way) : c’est quand elle est discrète, subreptice, que Vasconcelos a le plus d’impact. À côté, les oiseaux empaillés de Polly Morgan sont étranges et inquiétants.
Rachel Khedoori : Untitled (Iraq Book Project), 2008—2010. Books, wooden tables, rolling stools, computer. Installation view, Hauser & Wirth London, 2010. Photo: Peter Mallet.
Joana Vasconcelos : One way (Una Dirección), 2003. Cheveux synthétiques et acier inox. Dimensions variables. Photo de l’auteur.
Exposition de cartes à Iniva au centre d’art d’East London
Solution à un état ? 2, 3, 40 états ?
Explosion des frontières et multiplication des états, exils, déplacements de populations… Solution à un état ? 2, 3, 40 états ? La carte comme représentation du monde et des rêves, mais aussi comme décor, forme poétique qui échappe au sens, comme construction de solutions… Autant de conceptions qui se côtoient dans une exposition au centre d’art Iniva d’East London…
J’ai toujours aimé les cartes, la représentation du monde et les rêves qu’elles induisent. En attendant d’aller à la British Library pour une exposition plus historique, j’ai visité à Iniva, un centre d’art d’East London, une exposition où de jeunes artistes contemporains triturent, réinventent, déclinent et régurgitent des cartes (jusqu’au 24 juillet). Pour certains, comme Milena Bonilla, la carte semble n’être qu’un décor, une forme poétique d’où le sens s’est échappé. D’autres, au contraire, sans tenir de discours, construisent des pièces chargées de sens : Oraib Toukan nous offre une ’solution’ pour le Moyen-Orient, de la Palestine à l’Afghanistan (The New(er) Middle East, 2007).
Multiplication des états (42 sur cette carte), éclatement des frontières et déplacement des peuples : la région devient un casse-tête sans nom et tout un chacun peut reconstruire son puzzle mural, jouer les stratèges en chambre, faire sa propre déclaration Balfour ou son traité de Sèvres, éloigner telle ethnie de telle autre et l’allier avec une troisième. Le visiteur, géographe ou colonialiste, recrée ainsi de nouveaux pays aux formes chimériques qui me rappellent les cartes humoristiques de mon enfance, botte italienne et ours suédois. Utopie optimiste ou grinçante ?
Pour Bouchra Khalili, la carte est le support d’une histoire, du récit d’un homme traversant des frontières, d’un déplacé, d’un clandestin, d’un occupé. Trois vidéos (Mapping Journey # 1, 2 & 3, 2008/2009) montrent une main traçant un parcours sur une carte, dessinant des errances, des embûches, des échappées : deux sont des Nord-Africains émigrés clandestins en Italie puis en France contant leurs voyages en bateau, leurs arrestations, leurs emplois de misère, leurs espoirs, leurs nostalgies. La troisième narre le périple d’un Palestinien de Ramallah amoureux d’une Hiérosolymite : pour la rejoindre, il doit désormais affronter le mur de la honte et les checkpoints. Dessinant au stylo son périple sur la carte où colonies, barrages, routes réservées et zones interdites tracent un réseau kafkaïen, il y laisse une trace qui se trouve ressembler étonnamment aux frontières historiques de la Palestine mandataire. Ironie tragique.
Alexandra Handal ne quitte pas la région : son installation au sol (Labyrinth of Remains and Migrations, 2000-01 & 2010), des plaques entre lesquelles on navigue prudemment, semble montrer une procession de fourmis sur plusieurs niveaux, plusieurs transparences. Mais ces traits noirs sont des mots, parfois en alphabet latin et parfois en arabe, écrits sur des feuilles transparentes superposées, comme des couches de mémoire de plus en plus opaques. Y sont inscrits les noms des 417 villages détruits pendant la Nakba, d’où les habitants furent expulsés pour faire place aux colons et dont les vestiges furent rasés, ne laissant pas une pierre, seulement un nom, un souvenir et, ici et là, dans les camps, des vieilles clés rouillées.
Au milieu d’autres projets plus esthétiques (Esther Polak et la route du lait) ou plus conceptuels (Emma Wolukau-Wanambwa et la cartographie sémiotique), les trois artistes que j’ai remarquées ici sont celles qui, à mes yeux, confrontées à une région en crise, interrogent le mieux le sens de la carte et son rapport au monde.
Photos 1 & 5 de l’auteur.
Exposition Art – Move choreographing you à la Hayward Gallery de Londres
L’exposition Move choreographing you à la Hayward Gallery à Londres affiche comme ambition l’exploration des interactions entre art et danse depuis la fin des années 1950.Une exposition à découvrir jusqu’au 9 Janvier 2011 que vous pourrez également apprécier à Munich et à Düsseldorf ! Danser n’est pas jouer…
Disons d’emblée que, malgré l’intérêt d’un bon nombre de pièces présentées, le but de l’exposition est loin d’être atteint, le tableau est loin d’être suffisant, la problématique n’est pas vraiment articulée, et on se retrouve avec trop de pièces interactives amusantes, plus quelques autres dont on se demande ce qu’elles font là (comme la vidéo sur sept ou huit écrans d’isaac Julien, dont la seule dimension chorégraphique semble être de contraindre le spectateur à circuler pour voir tous les écrans : Doug Aitken est bien meilleur dans ce registre). Il est sans doute symptomatique qu’une des pièces présentées soit une des installations de Robert Morris à la Tate en 1971, telle qu’elle fut reproduite en 2009 : aseptisée, amusante en famille, ayant perdu sa dimension conceptuelle.
C’est un peu le cas de la salle vidéo de Dan Graham, ‘PresentContinuousPast’ où l’image du visiteur est rediffusée avec un retard de 8 secondes, pièce remarquable, mais ici présentée comme une attraction foraine. C’est le cas du parcours acrobatique de Bill Forsythe, ’The fact of matter’, jeu pour (grands) enfants qui n’est guère relié au travail du chorégraphe sur le corps et l’espace.
Le hula-hoop de Christian Jankowski est bien sage, en comparaison d’autres travaux avec ce même instrument. Restent néanmoins quelques pièces plus denses, moins ludiques sans doute, incitant davantage à la réflexion et moins à l’exploit. La chambre sensorielle de Boris Charmatz, ‘héâtre-élévision’, où, seul pendant 52 minutes, allongé dans l’obscurité sur un lit-piano, on regarde des vidéos de danse assez absurdes est de celles-ci : ce n’est pas spécialement drôle, on ne joue pas, mais on expérimente, en position couchée, une position extrême de spectateur, désorienté, déconnecté, prisonnier volontaire et déconcerté. J’ai aussi aimé les objets ‘adaptifs’ de Franz West anti-ergonomiques, impossibles à manipuler, auquel on doit s’adapter, et non l’inverse; des névroses objectivées, dit West.
Les deux pièces les plus intéressantes, car l’expérience qu’on y vit est dense, intime, et non pas exhibitionniste ou drolatique sont le Green Light Corridor de Bruce Nauman. Ce dernier est si étroit qu’on doit le traverser de biais, en marchant de côté, le nez contre la paroi, où il faut conserver son équilibre, se déplacer lentement, prudemment et où la lumière verte influe sur les sens et rajoute au léger malaise qui s’empare du spectateur, et l’installation ‘The house is the body : penetration, ovulation, germination, expulsion’ de Lydia Clark dans laquelle le spectateur pénètre avec difficulté, doit se démener pour poursuivre son chemin au milieu de boules, de balles et d’écheveaux, et gagner un répit dans cette tente en forme de goutte d’eau. C’est bien entendu une pièce sur la procréation, la gestation et la naissance, à voir sous un angle féministe sans doute, mais c’est aussi peut-être une métaphore de la création artistique, ou tout simplement de la vie elle-même, sous un angle mi catholique (tu enfanteras dans la douleur) et mi bouddhiste (le cycle incessant de la vie et de la mort).
Mais cette exposition assez décevante (on est très loin de l’exposition sur le théâtre et la scène au MACBA, par exemple, cent fois plus réfléchie) se rachète (et mérite la visite) à cause de la richesse documentaire de sa section Archives, en libre accès, où on peut voir près de deux cents danses et de performances, arrangées thématiquement, par période, par artiste, etc. C’est une bibliothèque remarquable et il faut espérer qu’elle restera accessible par la suite.
* L’exposition ira ensuite à Munich (février à mai) puis à Düsseldorf (juillet à septembre)
Photos de l’auteur. Bruce Nauman étant représenté par l’ADAGP, la photo de son oeuvre sera retirée du blog à la fin de l’exposition à Düsseldorf.
Van Gogh à la Royal Academy de Londres
Comment peut-on encore faire une nouvelle exposition sur Vincent van Gogh ? Que peut-on montrer, et dire, qui ne l’ait déjà été ? Le choix de la Royal Academy, à Londres (jusqu’au 18 avril 2010), a été de mettre l’accent sur les lettres de van Gogh.
Le choix des tableaux est intéressant, avec quelques oeuvres de collections privées rarement montrées, même si les habituels pisse-froids regretteront, après le Cri ailleurs, l’absence ici de Tournesols, de l’oreille coupée ou des corbeaux d’Auvers. Beaucoup de dessins aussi, et on peut voir ainsi son lent apprentissage, ses difficultés à maîtriser la perspective, son incapacité à rendre réalistiquement des raccourcis complexes (plusieurs dessins de paysannes courbées vers la glèbe pour aboutir à ce tableau Paysanne bêchant, juillet 1885, conservé à l’Université de Birmingham).
Mais surtout, cette exposition, voulant montrer ‘The real van Gogh’, met l’accent sur l’homme, sur sa personnalité, sur ses états d’âme, ses doutes, ses explorations, tels qu’ils s’expriment au fil de ses 900 lettres conservées (dont 80% à son frère). Rares sont sans doute les artistes sur lesquels on dispose d’un tel matériau, et, dès le début (même si Jo van Gogh tenta vainement de le limiter au début) l’intérêt s’est porté autant sur l’homme que sur l’artiste.
Malheureusement, une exposition grand public est le pire endroit pour lire des lettres sur de petits feuillets (dont, de plus, un bon nombre sont en néerlandais); certes une partie du texte est retranscrite sur les cartels, en assez petits caractères. Mais, en fait, au bout de peu de temps, on ne regarde plus ces lettres que comme des carnets d’esquisse ou, plus souvent, de reproduction, comparant le dessin sur le papier et le tableau heureusement disposé à côté et lisant plus ou moins distraitement les quelques mots descriptifs que van Gogh ajoute.
En somme, c’est une fausse bonne idée : mieux vaut lire tranquillement les lettres chez soi dans la superbe édition en fac-similé qui vient de sortir, si on peut se l’offrir, ou bien sur ce site, et puis aller séparément voir les tableaux, à Londres, Amsterdam, Otterlo ou ailleurs au gré des expositions. Et, à cette aune, celle-ci, sans être la meilleure, n’est pas mal. Plutôt que des tableaux très connus, voici ci-dessus quelques découvertes, Deux crabes (janvier 1889, collection particulière).
Puis une Nature morte à la Bible, l’autre livre étant ‘La Joie de Vivre’ de Zola : en octobre 1885, tableau éminemment symbolique du dilemme de van Gogh (au Musée van Gogh). Et enfin un dessin (croquis de vieux chaumes, écrit-il) dans sa dernière lettre (n°902) envoyée à Theo le 23 juillet 1890, quatre jours avant son suicide (le tableau ‘Les chaumes du Gré’ est resté à Zurich).
Quelques billets précédents sur van Gogh:
– une fiction, à l’occasion de l’exposition Millet-van Gogh à Orsay;
– son seul tableau vendu de son vivant, à Moscou;
– sa seule photo (ou presque).
Exposition de Deborah Turbeville : Mode à la Tate Modern/h2>
Alors que trop souvent les photos de mode sont trop typées et plutôt ennuyeuses, Deborah Turbeville réussit à nous faire oublier qu’il s’agit là de commandes destinées à vendre robe, sac, glamour.
Cette petite exposition dans une belle galerie près de la Tate Modern, The Wapping Project Bankside (à ne pas confondre avec l’autre, à l’Est) s’est terminée le 10 avril.
Ce fut l’occasion d’admirer ses tirages graineux, mystérieux, évocateurs. De très belles femmes errent dans des environnements décrépits, gare milanaise, bains new-yorkais ou coulisses d’un théâtre polonais, y rencontrant des hommes improbables, mi-absents, mi-menaçants.
Et quand Turbeville visite Versailles, c’est pour en découvrir les coulisses, avec ces chevaux démembrés. Antithèse d’Helmut Newton, elle expérimente avec ses modèles et avec ses photos, qu’elle recompose et fragilise. Elle sait créer une atmosphère étrange et vraie, qui fascine.
Très beau livre
Camille Silvy, photographe à Londres
Camille Silvy, Parisien qui s’établit à Londres et photographia toute l’aristocratie et la bourgeoisie anglaise (mais pas la reine Victoria, malgré tous ses efforts) ne fut actif que de 1857 à 1867. La National Portrait Gallery de Londres lui consacrait une exposition conçue par le Jeu de Paume, qui vient de se terminer.
Dans ce business photographique à grande échelle que crée et dirige le prospère Silvy (et l’exposition est éloquente sur cet aspect), apparaissent ici et là quelques joyaux : un fumeur de haschish sur un balcon lors d’un voyage à Alger, où la légère brume de l’image évoque les brumes de l’esprit du fumeur, un portrait (1862) d’un des premiers couples de la bourgeoisie noire, le marchand nigérian James Pinson Labulo Davies et la très belle et très fière Sarah Forbes Bonetta Davies, Dahoméenne qui fut filleule de la Reine Victoria, comme une affirmation d’un monde qui change, comme une réponse, 62 ans plus tard à la Négresse de Marie-Guillemine Benoist. C’est peut-être la première fois qu’un couple noir est portraituré ‘comme des blancs’, tant les habits que la pose, et, partant, le regard qu’on a sur eux.
Silvy savait fort bien jouer des regards et des artifices : emblématique est ce portrait des Misses Booth (1861), deux soeurs et le reflet dans un miroir de celle qui se détourne de nous : artifice certes, mais composition fine et bien sentie.
Sa ‘Lecture du premier ordre du jour de l’Armée d’Italie’ (1859), tout à la gloire de Napoléon III, est aussi une composition très étudiée, où les hommes prennent la pose dans une dynamique pyramidale convergeant vers l’affiche.
Enfin, une de ses photographies les plus travaillées est ce Crépuscule (1859), prouesse résultant de quatre négatifs superposés. C’est, apparemment la première fois, qu’un flou volontaire est montré dans une photo pour suggérer le mouvement. Plus que dans ses portraits de la bonne société, c’est dans des photographies comme celle-ci qu’on peut deviner son talent.
The Maze à la Photographers’ Gallery à Londres
Le prix annuel de la Photographers’ Gallery à Londres a été décerné à Sophie Ristelhueber. Les Londoniens peuvent ainsi voir quelques photos d’elle (trop peu à mon goût : le lauréat a la portion congrue en termes de nombres d’images montrées !) dont un splendide élevage de poussière (une vue aérienne du désert irakien). Bravo !
Parmi les trois autres sélectionnés (jusqu’au 2 mai), il n’y a rien vraiment rien à dire d’Anna Fox, sinon qu’elle démontre à quel point l’empreinte de Martin Parr étouffe la créativité des jeunes photographes anglais. Zoe Leonard présente quelques extraits de son travail (Analogue Portfolio) sur les signes de la rue, principalement à New York, lettres, chiffres, logos, empreintes, formes : c’est un tout cohérent, studieux, parfois drôle, avec ici ou là des fulgurances à la Atget.
C’est l’Irlandais Donovan Wylie qui m’a impressionné : non point tant le scrapbook assez banal de son grand-oncle, souvenir des luttes de Belfast, mais son travail sur la prison The Maze où tant de républicains furent internés et où certains moururent, prison fermée en 2000 et démolie en 2007.
Parcourant ce labyrinthe minéral, Wylie le photographie d’abord selon une perspective stricte de murs, de grillages où parfois apparaît un mirador rappelant l’esprit du lieu. Les mauvaises herbes poussent, disant la fin de l’emprisonnement, le retour du chaos naturel. Les photographies de la démolition sont au contraire frontales, directes, sans échappées (en haut). La torsion des tôles et des grillages y dessine des plis, des replis, des courbes, des drapés, des dentelles. A la fin, il n’y a plus rien, de la boue et au fond la campagne.
Ce travail sur l’architecture de la répression, du conflit, du pouvoir est d’une grande qualité; il a aussi évoqué pour moi les photographies de Miki Kratsman sur les colonies israéliennes en Palestine et le Mur, même construction coloniale répressive.
Exposition photos de Sally Mann : La perte de l’innocence
On connaît trop Sally Mann à cause du mauvais procès qui lui fut fait pour avoir photographié ses propres enfants nus (il y a d’ailleurs, dans un numéro d’Aperture de 2006, une très intéressante interview de sa fille Jessie) et l’exposition à la Photographer’s Gallery à Londres (jusqu’au 19 septembre) permet heureusement d’avoir une vision plus large de son travail.
Il y a bien sûr chez elle une volonté d’intimité, de simplicité, très naturelle et où le sentiment de provocation vient plus de nos propres inhibitions que d’une perversité photographique. En fait, les enfants sont comme ça, ce sont eux qui décident de se baigner nus ou de faire des pointes sur la table au milieu des tomates (The Perfect Tomato, 1990, est le titre ironique de cette photographie, coupée en deux entre ombre et lumière, entre blanc surexposé et noir étouffé, entre spectatrices -grand-mère et soeur – et performeuse audacieuse et gracieuse comme une sylphide; la tomate est au premier plan), ou qui refusent (une des photographies montre la dernière fois où son fils Emmett a accepté de poser nu, il a 8 ans).
Sans doute ce travail entre mère et enfants nous interroge-t-il sur la prétendue innocence enfantine, sur le jeu de l’enfant singeant l’adulte, sur les tréfonds -freudiens ou non – de la sexualité infantile. Quand Jessie s’affiche devant sa mère avec une cigarette (en chocolat; Candy Cigarette, 1989), c’est bien sûr tout sauf innocent, des deux côtés. On est choqué d’abord, politiquement corrects que nous sommes, puis on sourit, puis on s’interroge sur la séduction sous-jacente de cette femme fatale de 8 ans, et c’est un des talents de Sally Mann que de nous déranger ainsi.
Mais le grand intérêt de cette exposition est aussi de nous montrer comment ses techniques et leurs conséquences sont une part intégrale de son travail : elle utilise le collodion humide, technique d’il y a plus d’un siècle qu’elle revisite, technique délicate, tactile, picturale, aux antipodes de la modernité technologique froide, technique qui permet l’intervention manuelle de l’artiste, badigeonnant ses plaques d’enduit avec un pinceau, et l’intervention du hasard, poussières et saletés se déposant sur la plaque pour y créer des incongruités, des accidents.
C’est ainsi que les portraits en grand format et en exposition longue de ses enfants (maintenant jeunes adultes), en très gros plan, comme suspendus dans le temps, non seulement nous révèlent leurs romantiques taches de rousseur (Virginia #42, 2004, ci-dessus), mais aussi sont parsemés de traces, de vestiges, de petits dégâts, tirages percés, abîmés, déchirés où apparaît une voilette de stries ou une troublante scarification tribale déchirant la surface à la Fontana sur Jessie #34 (2004, ci-contre).
Cette culture de l’accident, ce refus de se plier totalement au dictat de la technique parfaite, immaculée, donnent à ses photographies un caractère poignant. Je m’y retrouve comme devant les statues de pierre délavées de Keichi Tahara que j’avais d’abord prises pour des portraits de femmes : confronté à la matière, à la surface, désorienté face à la représentation du réel, à l’infidélité de l’image envers l’objet photographié.
Face aux paysages des champs de bataille de la Guerre de Sécession dans le Sud, où elle vit, Sally Mann photographie avec, de nouveau, les techniques des photographes d’alors, utilisant sa camionnette comme chambre noire pour préparer ses plaques. Swamp bones (1996; les os du marais) est une photographie envahie par la brume, humidité tropicale ou vapeurs méphitiques. De ce flou cotonneux émergent des branches, des racines, des arbres tordus, contournés, suppliciés, comme les fantômes des soldats morts. C’est une photographie tragique, mémorielle, contemplative, qui m’a empreint d’une tristesse incompréhensible; elle annonce déjà la série suivante.
La dernière salle montre ses récentes préoccupations avec la disparition du corps, au sens propre : le Centre d’Anthropologie Criminelle de l’Université du Tennessee étudie la manière dont un cadavre se décompose dans la nature, ce qu’il advient des tissus, des chairs et des os (”we have skeletal collections, decomposition facilities, and more”; on peut léguer son cadavre). Mann, confrontée à la maladie incurable de son mari, explore ici What Remains (2001), ce qui reste de nous après notre mort, comment la nature digère notre corps, comment nous redevenons poussière. Elle regarde la mort en face, non point un masque ou un rituel, mais le corps en décomposition, sans voiles, sans maquillage, sans artifice : ce sont des photographies dures à regarder, bien sûr, mais, au delà de la première répulsion, j’y ai ressenti (religion ou pas, croyance dans l’âme éternelle, la réincarnation ou athéisme) une forme de perte de l’innocence.
Photos 2, 3 & 5 courtoisie de Photographers’ Gallery & Gagosian Gallery. Photo 4 de l’auteur.
Jeunes photographes à la Photographers Gallery de Londres
Le titre même de l’exposition, ‘Fresh faced and wild eyed’, (à la Photographers’ Gallery à Londres; c’était jusqu’au 6 juin) était légèrement condescendant : 28 tout jeunes photographes, à peine diplômés, sélectionnés pour exposer leur travail dans ce lieu prestigieux. Trop d’entre eux sont encore englués dans la tradition (l’héritage Parr en particulier, ou un néo-classicisme intemporel), et/ou préoccupés de faire de l’effet (en jouant sur le flou, la surimpression ou l’incongru).
Trois des artistes présentés émergeaient du lot, à mes yeux. L’une, Briony Campbell, car son travail sur la maladie et la mort de son père, émouvant en diable, ne tombe jamais dans le pathos larmoyant et montre une grande maîtrise de l’image; la présentation au mur de ses photos et de petits textes est remarquablement bien agencée.
Julia Curtin présente un travail conceptuel à partir d’images de la FSA pendant la Dépression aux Etats-Unis: elle en extrait les vues des bâtiments, abris temporaires ou maisons précaires, et les reconstruit pour constituer une méta-archive de l’architecture de la pauvreté, une ré-interprétation d’une histoire iconique.
Enfin Clarisse d’Arcimoles retravaille ses albums de famille pour y montrer le passage du temps, la vieillesse, l’âge. Trois travaux mélancoliques, mais d’où la recherche formelle n’est pas absente.
Photos 1 et 3 de l’auteur.
Exposition Londres : Open Priz : Videopainting
Qu’est-ce donc que le videopainting ? Une chapelle, un mouvement ? Plutôt la volonté de sortir de la vidéo d’histoire (comme la peinture d’histoire au XIXème) et de filmer, sans effet (caméra fixe, pas de montage, pas d’édition, temps réel) et sans narratif, sans sujet. Ces contraintes, assez drastiques, aident-elles à faire émerger, sinon une nouvelle forme d’art, en tout cas, un style différent ?
J’assistais il y a quelques jours à l’exposition Open Prize dans une galerie londonienne dédiée à ce type de vidéo. La plupart des vidéos présentées se regardent vraiment comme des tableaux, hors du temps, compositions en général semi-abstraites, formes et couleurs, et certaines captent le regard. S’il en est qui ont néanmoins du mal à se défaire du narratif, de l’anecdotique ou du tape-à-l’oeil, d’autres méritent l’attention.
La lauréate du prix, Jasmina Metwaly, présentait Crucifixion, une vue d’une montagne dans le Sinaï où, au fil de la journée, la lumière change, les ombres bougent. Pylônes et fils électriques y dessinent des motifs géométriques, où je veux bien voir un crucifix, mais c’est la beauté et le calme religieux de ce paysage qui captive, la sensation immémoriale du temps qui passe, jour après jour.
Alexandra Hughes parle aussi du temps qui passe, de la lumière qui change, de l’éternité, de manière plus dépouillée encore. Peu importe où nous sommes, c’est l’ombre de cette corde nouée sur un mur (The end of August) qui est notre marqueur, notre passeport du temps.
Parmi les dix candidats, j’ai aussi été séduit par Robert Dixon (Untitled) qui filme le cours d’une rivière, le mouvement de l’eau, la lumière, les reflets : plus dynamique, moins contemplatif, mais tout aussi fascinant.
L’exposition présentait aussi quelques artistes plus confirmés, du groupe Artscape Project, sous l’égide de l’artiste et philosophe Hilary Lawson.
Isabelle Inghilleri filme une rivière gelée en débâcle, dans une lumière froide, cristalline, pure (Surface Effects, Gone Tomorrow, 2006), et on se retrouve captivé par la fonte des glaces.
Enfin la vidéo d’un mur méridional où danse l’ombre du feuillage d’un arbre est un petit tableau impressionniste (Watercolour, Transitory Sites, 2008, de Alys Williams) de toute beauté.
Je retrouve là un style vidéo que j’aime, aux antipodes de la plupart des vidéastes contemporains; la parenté avec la peinture, la composition formelle, la maîtrise du temps lent sont des caractéristiques intéressantes. À suivre.
Photos Metwaly et Williams courtoisie de l’Open Gallery. Photos Hughes, Dixon et Inghilleri par l’auteur.
VOL.VI de Haris Epaminonda à la Tate Modern : Le rythme de l’exposition
Il est rare que la scénographie d’une exposition ne soit pas seulement une présentation des objets, une mise en valeur, et qu’elle ajoute une intelligence supplémentaire aux pièces présentées. Trop souvent, la mise en scène s’affirme aux dépens des artistes (souvenez-vous du fiasco de la Force de l’Art) ou se limite à un rôle purement fonctionnel. C’est certainement parce que l’artiste elle-même a conçu son exposition en fonction de l’espace, comme un véritable montage, mais VOL.VI de la Chypriote Haris Epaminonda à la Tate Modern jusqu’au 30 août est un modèle du genre.
De l’extérieur du côté de la Tamise, dans une vitrine, on voit ce petit vase noir sur une table immaculée et, dans un trou dans le mur, ne laissant voir que l’obscurité des salles intérieures, ce vase blanc homothétique. C’est suffisamment intriguant pour donner envie d’entrer et pour se prêter au rythme de l’exposition : ici une seule image, là un objet (une statuette nègre, par exemple) qui vous entraîne vers la salle suivante, et soudain, au détour d’un mur, la surprise, une accumulation d’objets, une composition. Objets parfois identifiables, parfois plus étranges (ainsi ce motif des Salines d’Arc-et-Senans), tantôt solitaires, tantôt regroupés, se répondant de salle à salle (comme les chutes d’eau); des photographies, parfois exotiques, des statuettes, des vestiges archéologiques. Au bout, un film avec ce beau zèbre.
Ce n’est pas tant un sens caché qu’il faut chercher là, qui reste mystérieux et déroutant, mais plutôt le rythme, la cadence, la manière dont le corps du visiteur se prête à cet environnement, à ce montage, et les histoires que chacun peut inventer à partir de ces objets, les ‘figments’ de l’imagination.
Je ne connaissais guère cette artiste, à part quelques photos vues Chez Valentin; une partie de son discours me semble bien niais, mais cette série des volumes, commencée ici apparemment, puis là, semble très riche.
Photos 1 & 2 de l’auteur.
Exposition Art Londres – Un nouvel héros pour Trafalgar Square ?
Londres et Trafalgar Square ouvrent leurs portes à l’art contemporain à travers six projets de sculpture exposés à l’église de Saint Martin in the Fields… Une exposition à découvrir jusqu’au 30 Octobre 2010 et où l’on vous invite à voter pour votre oeuvre favorite!
Pour la cinquième fois, la Ville de Londres propose à des artistes contemporains de réaliser une oeuvre sur le quatrième socle, vide de Trafalgar Square, au pied de la colonne de Nelson. Les six projets sont exposés dans la crypte de l’église voisine de Saint Martin in the Fields jusqu’au 31 octobre. Et on peut voter. La 4ème plinthe* est actuellement occupée par un bateau dans une bouteille de Shonibare, qui n’est pas inoubliable, alors que le projet précédent, d’Anthony Gormley, était génial..
Des projets nous parlent d’histoire : celui d’Hew Locke recouvre de breloques de pacotille la statue équestre de Sir George White, héros des guerres coloniales, alors que celui de Brian Griffiths a à faire avec une histoire plus domestique, la confection du gâteau Battenberg à l’ère victorienne, reconstitué ici avec des briques vernies. Un autre est géographique, Mariele Neudecker composant une carte en relief de la Grande-Bretagne. Tout cela est trop littéral, trop évident et manque un peu de distance. Allora & Calzadilla, que j’ai connus plus inspirés, projettent d’installer un distributeur de billets de banques dans le socle, chaque retrait actionnant les grandes orgues installées au-dessus.
Mes deux favoris ont été deux figures à la fois héroïques et dérisoires, bien en phase avec l’environnement guerrier des autres colonnes. Katharina Fritsch propose ‘Hahn/Cock’, un coq géant d’un beau bleu Klein (attention aux procès !) qui illuminerait la place plutôt grise de manière incongrue : animal de combat, animal de reproduction et symbole machiste (sans parler du symbole gaulois); ça devrait être superbe.
Mais j’ai finalement préféré le projet ‘Powerless Structures, Fig. 101′ d’Elmgreen & Dragset, un jeune garçon sur un cheval à bascule doré (l’éclat de l’or face au vieux bronze des autres statues), anti-héros jouant à la guerre, plein de dérision et d’optimisme, prêt à écrire l’histoire : une pièce pleine de gaieté.
- * Pierre plate et carrée qui se trouve sous la colonne ou au-dessus du chapiteau
K. Fritsch et Elmgreen & Dragset étant représentés par l’ADAGP, les visuels seront ôtés du blog dans un mois; ils restent visibles ici.
Toc Made in China : Ai Weiwei au Turbine Hall de la Tate Modern
Magnifique projet que celui d’Ai Weiwei dans le Turbine Hall de la Tate Modern ! Cent millions de graines de tournesol en porcelaine, petits objets précieux fabriqués et peints à la main par 1600 ouvriers (ouvrières surtout) d’une petite ville chinoise, centre traditionnel de porcelaine (ouvrières bien payées et heureuses de leur sort, si l’on en croit la vidéo accompagnant l’exposition). Superbe projet prônant l’amitié entre les peuples, évoquant le Président Mao, soleil devant lequel tous les tournesols se prosternaient, et surtout glorifiant la tradition artisanale chinoise et non la production de masse (Sunflower seeds).
Projet jouissif quand je l’ai visité mardi dernier, premier jour de l’ouverture au public : on flottait sur un sol spongieux, sensuel et crissant, on se couchait dans les petits grains de porcelaine, on en empochait subrepticement quelques-uns. Ce fut une expérience un peu futile, nonobstant les références dont l’artiste se réclame, mais agréable, sensuelle et conviviale.
Sauf que, deux jours plus tard, la Tate a fermé l’exposition au public, réalisant que la peinture et la porcelaine ne tiendront jamais pendant les six mois prévus, et que la poussière qui s’en dégageait est potentiellement nocive (principe de précaution, moins déviant que celui pour Larry Clark). On blâme ‘l’enthousiasme excessif du public’ bien sûr, et pas la conception de l’œuvre. La Tate est familière du fait, depuis l’exposition de Robert Morris fermée au bout de quelques jours à cause du même public trop enthousiaste, 39 ans plus tôt, sans parler des visiteurs blessés dans les toboggans de Carsten Höller, dans la fissure de Doris Salcedo ou contre les murs du container de Miroslaw Balka. Ai Weiwei est aussi coutumier de ces accidents, sa tour de portes et fenêtres à la Dokumenta s’étant effondrée au bout de quelques jours à cause de vents ‘violents’ soufflant sur Kassel, imprévus eux aussi.
À moins de penser redéfinir Ai Weiwei en artiste de l’échec et de la frustration, voilà un bel exemple de contresens et de myopie. Regardant d’en haut le champ de graines de porcelaine, nous n’avons plus désormais ni le plaisir, ni la rhétorique. Ça a fait ‘Pschitt’, comme disait notre cher Président (le précédent).
PS qui n’a rien à voir : dans le même journal annonçant la fermeture de l’exposition, un article sur les résidents de Lawrence Road, South Tottenham, se plaignant de ce que leur petite rue va désormais compter huit églises (dont la fort joliment dénommée Cherubim and Seraphim Church of Zion) s’installant dans un nouveau projet immobilier : trop de fidèles, on n’est plus chez soi, trop de bruit…
Photo de l’auteur
Quelle heure est-il ? et autres galeries londoniennes
Au sous-sol de White Cube Mason’s Yard (jusqu’au 13 novembre), on s’installe dans la pénombre sur des canapés confortables et on regarde le film. C’est un montage, un collage de séquences de films hollywoodiens et on repère très vite qu’il y est toujours question de l’heure, et qu’un cadran, une montre, un réveil, une horloge, une pendule apparaissent constamment à l’écran. on commence donc par tenter d’identifier les scènes, les acteurs, les films, pour suivre les petits bouts de narration ainsi offerts. Il faudra quelques minutes de plus au spectateur innocent pour réaliser que l’heure à l’écran est la même que celle sur son bracelet montre, devenu inutile : The Clock de Christian Marclay dure 24 heures et a été projeté, le premier soir, pendant 24 heures à la galerie*. Cette synchronisation entre fiction et réel amuse d’abord : qui tiendra le marathon, qui verra l’intégralité du film (un peu comme 24 hours Psycho), au bout de combien de temps se lasse-t-on ou, si on n’est pas lassé, s’épuise-t-on, pris par d’autres obligations ? Au-delà de l’admiration pour la prouesse documentaire, on se sent pris dans un tourbillon presque tragique, la vie qui s’écoule, des bribes d’histoire qu’on ne peut poursuivre, le temps qui s’écoule. Alors que Crossfire, au sujet plus violent, était en fait plutôt jouissif, The clock est un film au fond assez mélancolique. Espérons que cette magnifique pièce sera acquise par un musée ouvert 24h sur 24…
À l’étage, deux autres ‘collages’ de Marclay, l’un une série de photographies d’interphones, somme toute assez terrifiante par son inhumanité, l’autre un immense rouleau de papier à la chinoise où sont juxtaposées des centaines d’onomatopées issues de BD.
Ailleurs dans Londres, la galerie Gagosian montre deux installations lumineuses de James Turrell (jusqu’au 10 décembre) : l’une est un caisson d’expérimentation dans lequel on se laisse enfermer pendant 15 minutes, flottant hors du temps, hors du monde dans un univers autre, dans une perte des sensations hallucinatoire. L’autre est une salle à laquelle on accède en haut de huit marches monumentales, baignant dans la lumière, respectant un silence religieux à peine troublé par quelques éclats de flash : les gens sont entourés de nimbes, la couleur change lentement, la vue se brouille, on accède à une lumière intérieure, comme une expérience de ‘presque-mort’. D’ailleurs le caisson d’expérimentation dans lequel on glisse le spectateur volontaire ressemble à un caisson de morgue, et les Gagosian Boys sont vêtus comme des croque-morts. Ça transforme un peu l’expérience, la tirant un peu trop vers le funèbre.
Et aussi : dans le nouvel espace de Hauser & Wirth sont exposés les travaux de broderie de Louise Bourgeois (jusqu’au 18 décembre); et chez Lisson, vidéos et photos de performance de Marina Abramovic (jusqu’au 13 novembre). Par contre la vidéo de Fiona Tan m’a mortellement ennuyé et les sculptures reflets d’Urs Fischer ne m’ont guère convaincu.
* de nouveau des projections en continu aux dates suivantes : from 10am on Thursday 28 October until 6pm on Saturday 30 October; from 10am on Thursday 4 November until 6pm on Saturday 6 November; from 10am on Thursday 11 November until 6pm on Saturday 13 November, when the exhibition closes
Photos 1 et 2 : Christian Marclay The Clock 2010 Single channel video Duration: 24 hours © the artist Courtesy White Cube. Autres photos de l’auteur.