Dès qu’on pénètre en Republika Srpska, la république serbe de Bosnie, on comprend instantanément qu’on est ici dans un état dans l’Etat. On y appréhende forcément des frontières invisibles ou fantômes dont certaines sont représentées avec violence par l’omniprésence des panneaux des mines antipersonnel, des drapeaux qui s’affrontent encore et des monuments aux morts tout au long des routes, qui témoignent de la guerre d’indépendance entre 1991 et 1995.
Parfois, les souvenirs que l’on garde des voyages ne sont pas forcément les images associées à des visites touristiques mais plutôt des émotions qui se rapportent à des situations. Ma traversée de la Republika srpska du sud, m’a confortée dans ce goût pour les petits riens et les bouts du monde où l’on a l’impression que la réalité des choses nous échappe, tout en étant terriblement prégnante et pesante …
Bien que les guerres d’indépendance en Ex Yougoslavie semblent lointaines, on n’oublie jamais vraiment en sillonnant les divers pays à quel point certains ont été le terrain de batailles, d’exodes et de rejets des minorités ethniques et religieuses … Les mines antipersonnel en Bosnie Herzégovine et en Croatie viennent brutalement nous rappeler que la guerre n’est pas une fiction ni un souvenir et qu’elle est toujours en mesure de frapper des innocents qui auraient le tort de mettre le pied où il ne faut pas dans un champ, une forêt, un village en ruines ou un cimetière abandonné.
Spontanément, vous n’aurez sûrement pas l’envie ou l’idée de faire de la République serbe de Bosnie votre principale destination de vacances à moins d’être déjà tombé amoureux des Balkans et d’aiguiser votre curiosité vis-à-vis de cette complexe Bosnie-Herzégovine dont elle constitue l’une des régions autonomes à majorité serbe comme l’indique son nom. Et pourtant, vous pourriez au moins y faire un saut par curiosité ou pour gagner du temps dans trois configurations :
- Vous voulez faire une excursion vers Mostar depuis Dubrovnik et souhaitez ne pas prendre la même route pour l’aller et le retour. Pour ne pas passer par la Magistrale et rouler lentement sur une route en lacets sans dépassement possible et pour ne pas subir les 4 passages de frontières dans la zone de Neum Metkovic Klek, vous devriez emprunter une partie de cette route dont je vais vous parler entre Stolac et Trebinje.
- Vous voulez rejoindre Dubrovnik depuis les bouches de Kotor au Montenegro en évitant la seule frontière entre Croatie et Montenegro souvent très longue à franchir en été à certaines heures et vous avez simplement l’envie d’explorer des routes différentes
- Vous recherchez des destinations un peu plus insolites dans les environs de Dubrovnik en acceptant l’idée de quitter les frontières momentanément puisque le Republika Srpska est à peine à 30 min en voiture… Cela ne présente aucun danger. Vous n’avez besoin d’aucun document si ce n’est une carte d’identité valide et une carte verte couvrant la Bosnie-Herzégovine si vous circulez avec votre voiture. Le monastère serbe orthodoxe de Tvrdos est réputé pour ses vins de qualité notamment et Trebinje gagne à être connue pour ne pas se contenter des sites incontournables que sont Dubrobnik, Perast, Kotor et Mostar quand on séjourne en Dubrovnik – Neretva.
- Vous voulez découvrir la région de Dubrovnik tout en profitant d’un coût de la vie très avantageux (jusqu’à -70% par rapport aux prix croates) et d’une hospitalité exceptionnelle
Une frontière au milieu de nulle part entre Montenegro et Republika Srpska
Par cette belle après-midi de septembre, nous quittons les bouches de Kotor au Montenegro pour rejoindre Mostar à environ 190 km. Notre objectif est d’emprunter la route intérieure à travers la Republika Srpska plutôt que la Magistrale entre Dubrovnik et Zadar que nous avons déjà parcourue à diverses reprises. A une moyenne de 50 km par heure, ce qui est la moyenne la plus optimiste sur les routes au Montenegro comme en Bosnie-Herzézgovine, nous savons que nous en avons au moins pour 4h avant d’atteindre notre but, mais le risque de rencontrer la nuit sur le trajet ne nous dissuade pas de sillonner une route inconnue dans une contrée où peu de villes se présentent sur notre itinéraire.
Ainsi, après avoir admiré le panorama imprenable sur le golfe de Kotor, nous remontons vers le Monténégro central en direction de Niksic par une large route flambant neuve en attendant de trouver à un croisement un panneau BIH qui nous permettrait de bifurquer vers la Bosnie. Comme souvent, nous voyageons sans GPS ni carte en roulant presque au hasard pour se laisser mieux surprendre… Après une trentaine de minutes, nous quittons brutalement la route aux airs d’autoroute pour retrouver une route bien plus conforme à ce que nous connaissons des routes dans l’intérieur des terres. Étroite et quasi déserte. Le genre de route qui suscite vite quelques questionnements … Est-il possible qu’une telle route nous mène vraiment vers une frontière et vers la Bosnie Herzégovine? Soudain, alors que les indicateurs en cyrillique sont rares et peu évocateurs, un panneau signalant l’entrée immédiate en Republika Srpska Република Српска (et non véritablement en Bosnie Herzégovine) vient nous rassurer.
Aux abords du tout petit poste, des chèvres gambadent en liberté et assurent le premier accueil. On se croirait perdu dans la campagne bien plus qu’à la frontière entre deux pays à un poste de douane presque moderne. Nous comprendrons par la suite que nous ne sommes pas tout à fait en Bosnie Herzégovine, telle qu’elle est définie dans ses frontières terrestres sur une carte, et bien plus que dans une autonomie constituée des régions, communes et autres entités serbes de la Bosnie Herzégovine. On dépasse un homme qui se déplace à dos d’âne, suivi de sa femme chargée d’un fagot pesant. Ici, au vue de la toponymie, on comprend vite pourquoi les ânes remplacent les voitures pour tous les labeurs. Ils nous observent un peu ahuris comme s’ils n’avaient jamais vu de touristes étrangers ou si rarement.
A la frontière, il n’y a pas d’autre voiture que celle d’un bosnien, qui est fouillé en profondeur et prend son mal en patience en voyant que l’on sort un à un les paquets de son coffre et tout ce qu’ils contiennent … On nous zyeute en se demandant visiblement ce que des touristes français peuvent faire dans cette zone? Après avoir vérifié si nous parlions serbe ou anglais, le douanier nous interroge d’ailleurs sur le motif de notre présence dans cette contrée.
Nous lui expliquons que nous avons envie de découvrir la Bosnie Herzégovine et notamment la république serbe de Bosnie. Il semble surpris mais après une simple vérification et l’enregistrement de nos coordonnées, il nous rend les papiers et nous souhaite bon voyage en Republika Srpska! Et oui, nous n’entrons pas vraiment en Bosnie Herzégovine mais dans un pays avec son identité à l’intérieur du pays.
J’ai aimé l’accueil des serbes de la république serbe de Bosnie fidèle à l’esprit d’hospitalité déjà observé à maintes reprises en Serbie. J’y ai croisé des gens très gentils et disposés à me faire apprécier leur région comme les moines du monastère de Tvrdoš que je découvrais par hasard sur ma route, à 5 km de la sortie de Trebinje.
Nous aurions pu aisément passer à côté de ce monastère sans le voir, tant il est peu indiqué si ce n’est par un petit panneau marron à ses abords. Lové près de la rivière Trebijnica, il bénéficie de la douceur de la Polje, la plaine de Trebinje au climat presque méridional, tout en tutoyant les montagnes qui ne sont jamais très loin en Bosnie-Herzégovine. Son environnement apaisant faut oublier l’histoire agitée que le monastère Tvrdos a connue depuis le XIVème siècle quand il a été la cible de déprédations, de pillages, saccages et destructions totales ou partielles, ou a été détruit lors du tremblement de terre de 1667 qui a touché la région de Dubrovnik, puis en 1694 lors de la guerre opposant Vénitiens et Ottomans.
En pénétrant dans la petite église, un premier moine en train de prier dont nous apprendrons ensuite qu’il est le Jeromonah (archimandrite) Sava, nous a accueillis avec une hospitalité rare et voyant que nous étions des touristes étrangers, a offert de nous servir de guide. Ainsi, nous a-t-il raconté les grandes étapes de l’histoire du monastère Tvrdos édifié sur un terrain, où aurait été construite au IVème sicèle une église romaine à la demande de l’Empereur Constantin Ier et / ou de sa mère Hélène. Milutin serait à l’origine d’une première reconstruction qui a permis à Tvrdos de devenir l’un des centres spirituels majeurs de l’orthodoxie serbe en Bosnie-Herzégovine. Il évoque aussi en détails ce que signifiaient les scènes des fresques murales, nous a montré la plupart des objets, des icônes et le trésor inestimable que recèle cet édifice.
Après plus d’une heure de visite aussi instructive que chaleureuse, pour nous souhaiter un bon voyage, il a même fait brûler en notre nom un cierge, refusant toute aumône en nous disant combien il était très heureux d’avoir rencontré des français qui s’intéressent ainsi à l’orthodoxie et à son pays. Un signe particulièrement touchant que l’on soit croyant ou pas.
A Tvrdos, outre le joli petit monastère dont on admire les trésors dans l’église et les jardins, fresques et autres fontaines, on expérimente une étape oenologique et culinaire inattendue, même si nous apprendrons vite que le vin de Tvrdos est une référence nationale. Les moines produisent l’un des meilleurs vins de Bosnie Herzégovine abrité dans des caves que l’on peut visiter, en dégustant un verre (ou plus), accompagné de morceaux de fromage (sec ou plus frais selon la période) arrosé d’huile d’olive et de tranches de jambon assez proche du prust (jambon sec fumé dalmate). Si vous êtes convaincus et souhaitez découvrir plus de photos, je vous invite à nous suivre lors de notre visite de la cave du monastère Tvrdos…
A moins de 40 min de Dubrovnik, cela constitue une agréable excursion hors des sentiers battus de Croatie. Pour ma part, j’ai approché la région de Trebinje, en optant pour une frontière presque perdue en suivant une déviation vers la BIH. C’est d’ailleurs cette frontière que je recommande aux voyageurs curieux souhaitant éviter la queue au principal poste frontière entre la Croatie et le Montenegro. Ces douanes nécessitent parfois plusieurs heures d’attente en haute saison, puisque de nombreux touristes en Croatie profitent de la proximité de Kotor pour y faire une excursion d’une journée et s’y agglutinent entre 10h et 18h, tandis que les postes intérieurs sont vides.
Histoires de mines ; les frontières fantômes en Republika Srpska
Cette rencontre avec les moines serbes orthodoxes qui ont enchanté ma visite de Tvrdos m’a offert l’un des plus beaux moments que j’ai vécus en Republika Srpksa. Pourtant, je ne peux me départir des souvenirs de ces routes quasi désertiques, qui à l’approche des frontières intérieures avec la fédération croato-musulmane, étaient criblées de mines. Tous les 200 ou 300 mètres sur le bord de la route, un panneau venait me mettre en état d’urgence. Les mines antipersonnel sont une réalité qui renvoie aux temps de conflits mais surtout à la survivance des haines presque de façon indéfinie. La terre est piégée pour que les anciens voisins devenus ennemis irréductibles de génération en génération, peut-être anciens amis, membres de la même famille à la faveur de mariages mixtes, ne soient jamais tentés de revenir. N’y-a-t-il là dedans qu’une question de différence religieuse ou ethnique?
Si en pénétrant en Republika Srpska, nous avions surtout apprécié les paysages de montagne assez sauvages et le poljé jusqu’à Trebinje, nous prenons conscience de tout ce qui s’est joué dans cette région rurale où les villages se sont dépeuplés et n’ont laissé de leur existence passée que des ruines. Tout est très compliqué ici, car à l’issue des accords de Dayton qui mettent fin à la guerre de Bosnie, la ville de Trebinje a été scindée en deux ; une partie appartenant à la République serbe de Bosnie, tandis que l’autre partie autour de Ravno est rattachée à la confédération de Bosnie Herzégovine… Pourtant, Trebinje semble avoir été épargnée par la guerre et mérite deux ou trois heures de visite au moins pour admirer le pont Arslangic, la Cathédrale de la Transfiguration de Trebinje, la Tour Horloge assez dégradée, la mosquée Osman Pacha Resulbegovic et la mosquée de l’Empereur, la cathédrale catholique dédiée à la nativité de la bienheureuse Vierge Marie, la place des Platanes, construite par les Austro-Hongrois et entourée de cafés.
A Trebinje, on entrevoit vite dans Stari Grad, zone centrale datant de la période ottomane, la succession des occupations : ottomanes, austro-hongroises, yougoslaves… L’âme orthodoxe triomphe surtout à travers le monastère de Hercegovačka Gračanica perché sur la colline Crkvine et inspiré de Gracanica au Kosovo, qui fait tant la fierté des Serbes depuis sa construction en 1999-2000.
Force est de constater que le point de vue depuis le monastère d’Hercegovcka Gracanica garantit un panorama sur le Polje et la ville de Trebinje et ses environs…
Seul le Monument commémoratif des soldats morts à la guerre entre 1991 et 1995 nous remémore la tragédie contemporaine, le nombre de noms de personnes de tous âges qui ont perdu la vie dans cette guerre interethnique intestine faussement assimilée à une guerre de religions. On comprend ensuite que la ville était avant 1991 peuplée par les trois communautés serbes orthodoxes (68%), croates catholiques (4%), bosniaques musulmans (15%), 5% de Yougoslaves et 5% d’autres nationalités. Mais quand on visite Trebinje, on appréhende surtout la ville « serbe », d’autant que plusieurs milliers de croates et de bosniaques ont été chassés entre 1992 et 1995, pour permettre l’accueil de serbes réfugiés d’autres régions de Bosnie.
En revanche, dès qu’on s’éloigne un peu de la principale ville méridionale de la Bosnie Herzégovine, la réalité des guerres entre serbes, croates et bosniaques nous rappelle à l’ordre avec une certaine violence même si 20 ans se sont écoulés… Nous n’apercevons que des hameaux, des villages détruits en grande partie et en apparence totalement à l’abandon et des maisons autrefois occupées probablement par des croates et des bosniaques.
On serait tenté de croire que les serbes sont les méchants de l’histoire et que les guerres confrontent uniquement des bons et des méchants. Or, en 1996, en parcourant pour la première fois la Bosnie à travers la Krajina vers Bihac, on avait découvert à peu près les mêmes spectacles et deviné les mêmes scènes, à ceci près que là-bas, c’étaient les serbes qui avaient été poussés à l’exode et subi le « nettoyage ethnique », alors que dans cette Krajina revendiquée par les croates, les serbes étaient majoritaires et que leur présence était ancienne et datait au moins des Habsbourg. Cette région aux contours flous située entre les environs de Knin et ceux de Bihac et englobant une partie de la Lika croate, avait été l’une des premières à subir cette « politique d’homogénéisation ethnique à la fois sur le plan démographique, social, culturel et territorial » qui a constitué une grande partie des guerres de l’ex Yougoslavie. Les souvenirs revenaient donc vivement en mémoire, bien que notre trop grande méconnaissance des diverses ethnies et des aspects historiques et culturels ne nous permette pas de déterminer autre chose que des impressions mêlant tristesse et regrets.
Ces villages de désolation cèdent brutalement le pas aux paysages karstiques où la rocaille grisâtre domine malgré quelques arbres encore bien verts qui apportent une touche de vie à la végétation asséchée par l’été. Ici l’été se caractérise par des températures souvent caniculaires et ces conditions climatiques très continentales façonnent des étendues arides interrompues par une succession de reliefs sauvages.
Vers 18h45, le crépuscule guette déjà. La nuit devrait nous surprendre d’ici une trentaine de minutes, mais nous sommes au milieu de nulle part. Depuis que nous avons quitté les environs de Trebinje, nous n’avons traversé quasiment aucun village si ce n’est quelques hameaux rassemblant une poignée de maisons. Et nous nous interrogeons avec mes parents sur la façon dont les habitants survivent dans des maisons aussi isolées au milieu des steppes mêlées de rochers avec un arrière plan de montagnes presque aussi abrupt. Les rares villages affichaient fièrement le drapeau de la Srpska pour signifier qu’ici on est en pays serbe … Nous retrouvons ces étendards tout au long de la route, y compris quand il n’y a aucune maison aux environs pour revendiquer une propriété acquise au prix du sang et des larmes. Nous étions engagés sur cette route, en imaginant tout ce qui s’y est joué et combien ces terres ont été disputées avec fureur, alors qu’on y trouve rien si ce n’est des rochers, des étendues arides et quelques habitants vivant en autarcie…
Depuis les 30 km qui nous séparent de Stolac, selon un indicateur, nous voyons partout des panneaux rouge ou blanc avec des têtes de mort signalant la présence de mines et de dangers divers. Stolac laisse une impression déconcertante, si on ne connaît pas l’importance de son site archéologique et de ses tombes bogomiles (*) parmi les plus remarquables de Bosnie Herzégovine. Autrefois ville d’accueil pour les réfugiés croyant au bogomilisme, Stolac n’est presque qu’une ombre de ville. Stolac est d’une tristesse infinie ; ce qui est renforcé par sa petite taille, même s’il s’agit de la seule ville que nous avons traversée depuis Trebinje. Nous ne croisons pas une âme si ce n’est deux voitures qui empruntent la rue principale, à savoir la route « nationale ». Elle s’avère pourtant assez importante à l’échelle de l’Herzégovine et aujourd’hui encore, ses vestiges, ses bâtiments officiels à l’abandon, ses maisons éventrées donnent le sentiment que la guerre vient de passer par là.
Bogomilisme : mouvement chrétien hétérodoxe né au X siècle considéré comme hérésie et réprimé dans la violence par l’Église catholique romaine. Il a été développé par le pope Bogomil en Thrace avant de se répandre en Bulgarie et de gagner la Serbie où des villages ont été convertis au Bogomilisme. Chassés dès le XIIème siècle les serbes bogomiles ont trouvé refuge en Bosnie Herzégovine où ils ont prospéré et développé pleinement leur identité jusqu’au XVème siècle, avant de disparaître lors de l’occupation ottomane. En savoir plus à propos des Bogomiles sur Wikipedia…
La forteresse de Stolac date du Moyen Âge et fut un lieu de résistance pendant l’invasion ottomane. Elle sera remaniée par les Ottomans. Elle est inscrite sur la liste des monuments nationaux de Bosnie-Herzégovine.
Après avoir traversé la fantômatique ville de Stolac dont certains bâtiments sont dans un état de délabrement inquiétant, nous optons au croisement pour la route en direction de Neum afin de retrouver le réseau du téléphone mobile (Sfr) inexistant en République serbe de Bosnie. Nous imaginons à tort que la route menant vers la Croatie est une route nationale praticable. Mais cette route vers Neum n’a rien d’une route.
Désormais, les cieux s’obscurcissent très vite, après de belles scènes de coucher de soleil rougissant trop rapidement évanouies entre les montagnes qui cachent l’Adriatique. Nous avons croisé aucune voiture depuis un long moment. A voir la route se transformer en chemin incertain, tortueux, avec des trous partout et des dos d’âne, nous hésitons à retourner sur nos pas mais nous n’avons pas vraiment le choix, puisque aucun espace ne permet de faire la manœuvre. Les panneaux des mines qui se réfléchissent avec nos phares sont encore plus angoissants et interdisent de se risquer à quoique ce soit sans visibilité dans l’obscurité. De toute façon, ma mère a un principe : ne jamais faire demi tour quand on a pris une décision. Nous sommes sur une frontière invisible, un cordon imaginaire et pourtant bien tangible, qui est censé séparer les serbes des croates. Tout nous confirme à quel point ces ethnies sont devenues irréconciliables. Nous croisons plusieurs monuments aux morts principalement croates où les drapeaux flottent avec encore plus de force. Peut-être même plus ici que les monuments en Croatie issus de la guerre opposant les Croates aux Serbes pour acquérir l’indépendance. Nous sentons tout le poids de ces haines qui se sont immiscées entre les communautés … Elles cohabitaient pourtant avec une apparente harmonie sous le joug du maréchal Tito. Mais ça, c’était avant sa mort en 1981.
De jour, nous empruntons le lendemain la même route qui n’agit pas forcément de façon aussi stressante, puisque le jour offre un sentiment plus rassurant, même si l’état de la route chaotique a bien des allures de chemin comme on l’avait ressenti en roulant de nuit. Les monuments qui se dessinaient un peu flou dans l’obscurité de la nuit et que l’on repérait à l’aide de leurs drapeaux ponctuent vraiment toute la route, mais contrairement aux panneaux des mines, définissant un danger potentiel, ils dessinent pour toujours une ligne de démarcation. Une ligne d’oppositions, aussi. Ancrée dans le passé, cette ligne fait office de frontière symbolique, qui chaque jour vient rappeler ce qui s’est déroulé sur cette frontière entre l’Herzégovine et l’insatisfaction issue du découpage lors des accords de Dayton. Cette frange occupée par les croates en bordure de la Croatie et de la Republika Srpska condense bien des enjeux qui nous échappent totalement en tant que touristes, voyageurs en transit.
Les frontières fantômes sont partout en Bosnie-Herzégovine où tout, malgré ou à cause des accords de Dayton, est si compliqué. En Republika Srpska, nous sommes dans un pays en définitive et non dans une région plus ou moins définie par l’ethnicité de sa population à majorité serbe et orthodoxe. La république enserre la fédération qui non sans mal s’efforce de faire cohabiter les croates et les bosniaques musulmans, même si les croates sont confinés sur une étroite frange bordant la frontière avec la Croatie. Des lignes de mines définissent ces limites afin de dissuader les croates d’agrandir leur territoire. Les croates sont présents en minorité dans la capitale de l’Herzégovine à Mostar, longtemps disputée entre toutes les communautés. Au sommet de leurs affrontements avec les Bosniaques qu’ils veulent empêcher de prendre la partie occidentale de Mostar occupée par les croates, ces derniers sont même à l’origine de la destruction du vieux pont stari most. Ce dynamitage qui a fit écho comme un détonateur dans la communauté internationale visait à mieux empêcher les Bosniaques de se ravitailler et tuer la ville pour précipiter la défaite des Bosniaques, alors que les Croates envisageaient pendant une courte période de partager la ville avec leurs ennemis serbes. Tout reste tendu, les haines sont latentes et parfois un mot, un geste, un regard suffit à les relancer!
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Salut Sev
C’est super de donner ton point de vue et je te comprends en partie. Je me retrouve dans ce que tu dis quand je visitais la Bosnie en touriste après avoir été sur le terrain de combat dans les années 93-95. Oui la Bosnie a des paysages magnifiques, mais les paysages ça ne fait pas le pays. J’ai connu la Bosnie pendant la guerre et j’y ai rencontré ma future femme. J’y habite depuis quelques années et de l’intérieur la Bosnie ce n’est pas magnifique. Les gens sont plus ouverts que les Croates … ça n’est pas difficile tu me diras. Quand je venais pendant un mois ou deux l’été pour retrouver Dzana, je ne voyais que la gentillesse des gens. Depuis que je vis ici je me rends compte que c’est plus compliqué et c’est pas les tensions. C’est des haines. Ma femme est bosniaque. Ca reste compliqué de trouver des amis croates ou serbes. Elle-même me dit qu’il ne faut pas chercher. Ces haines sont bien plus anciennes que la guerre de Bosnie je pense. En tant que touriste pendant longtemps je passais quelques semaines pour être avec ma chérie. Je trouvais que la Bosnie était un beau pays que j’avais envie de connaître. Je me suis expatrié depuis 6 ans et je songe à revenir avec elle chez moi. C’est tellement différent. On ne se rend pas compte de tout ce qui peut se passer dans ce pays et quand on n’appartient pas à une communauté c’est très galère de réussir à s’intégrer. Je n’aurais pas pensé que c’était si compliqué alors qu’en voyageant je trouvais que les gens étaient tous sympas et je me demandais pas qui ils étaient ou ce qu’ils avaient vécu.
Pour les mines, je ne sais pas où tu es passée mais il y a beaucoup de panneaux dans certaines zones. C’est normal il y a plus de 100 000 mines qui n’ont pas été déminées. Ca reste dangereux là où on ne s’y attend pas toujours.
Bonjour je souhaitais apporter mon humble commentaire. Nous avons effectué un voyage de 5mois à travers l’Europe en 2017 (de l’Italie grèce… jusqu’en République Tchèque) à bord de notre vieille kangoo et en mai:juin 2017 avons visité la Bosnie presque en long et en large:Visegrad sarajevo de Trebinje a Banja Luka en passant par le centre du pays. Nous avons fait la route Mostar Trebinje et Trebinje Mostar sans aucun souci. Oui nous avons l’impression d’être loin de tout au sud mais nous n’avons vu qu’un seul panneau de mine!!! et c’était sur une piste déserte (très déserte ) dans la campagne des kms avant Trebinje. Je voulais juste dire que la BOSNIE EST UN MAGNIFIQUE PAYS! ne soyez pas effrayés! (nous avions de l’appréhension avant et à présent nous y retournerons sans souci car nous avons crée des liens avec une bosniaque , une croate et aussi des serbes). Nous avons parfois discuté de sujets difficiles (lorsqu’on sentait que c’était possible bien sûr), il faut juste être à l’écoute et ne pas poursuivre la conversation quand on vous fait sentir qu’il ne faut pas aller plus loin; les gens en ont assez qu’on leur rappelle sans cesse la guerre les tensions..il y a tellement de choses à y voir : des montagnes lacs rivières des villages etc…a voir: les cascades de Studenci, le lac de jablanica , les cascades de Kravica, le joli village de Pocitelj. le site de Blagaj, les moulins a eau de Jajce; sur la route de banja luka les moulins à eau (ou nous avons acheté de la farine) à krupa na vrbasu et son eglise en bois exceptionnelle! (demander la clé a une dame du lieu-dit) (Црква брвнара) notre itinéraire: https://www.zeemaps.com/map?group=2409350
sev
merci ideoz pour vos articles
Bonjour Cloclo261
Merci beaucoup pour votre commentaire et l’intérêt porté à mon article.
Il ne s’agit ni d’une analyse, ni d’un témoignage, mais simplement d’un récit avec des observations de voyageuse en transit. J’ai écrit d’autres articles plus analytiques qui avaient l’objectif d’informer ou de décrypter. Mais celui-ci n’avait pas du tout cette vocation.
Mon objectif assumé n’est sûrement pas de comprendre ni d’expliquer pourquoi ces frontière invisibles que l’on peut ressentir fortement existent, persistent. Simplement de traduire l’émotion que l’on peut ressentir dans cette région, que l’on soit bien ou mal informé sur tout ce qui s’y est joué. IDEOZ reste avant tout un espace d’informations. La catégorie Histoire essaie de compléter avec des éclairages plus fondés sur l’analyse.
Bonjour,
Je trouve votre témoignage intéressant. Toutefois, vous semblez vouloir rester sur l’écume de l’analyse. Vous dites ainsi que « Cette région aux contours flous […] avait été l’une des premières à subir cette « politique d’homogénéisation ethnique […] » qui a constitué une grande partie des guerres de l’ex Yougoslavie. Les souvenirs revenaient donc vivement en mémoire, bien que notre trop grande méconnaissance des diverses ethnies et des aspects historiques et culturels ne nous permette pas de déterminer autre chose que des impressions mêlant tristesse et regrets. »!
Il me semble quant à moi que la « politique de purification ethnique » est en elle-même condamnable, indiscutablement, ainsi que ceux qui l’ont érigé en principe de gouvernement. Une visite à Srebrenica, et notamment au mémorial, aujourd’hui intégrée, par une ironie bouleversante, dans l’entité serbe (la « république » n’a pas d’existence légale en tant que telle) s’impose à mon avis pour « déterminer autre chose que des impressions mêlant tristesse et regrets. »…
Bien cordialement
C
Bonjour,
Nous sommes trois familles de camping-caristes et nous prévoyons de passer environs 1 mois en juillet en Bosnie et au Monténégro,
que nous conseillez-vous pour visiter ces deux pays… Je suis un peu inquiète quant aux mines anti-personnelles en Bosnie ? est-ce toujours d’actualité ? y a t-il des problèmes de sécurité ?
Attention du côté de Srebrenica et à l’est de Sarajevo ainsi qu’au sud de Banja Luka , les mines sont pas toujours balisées