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L’Autre Dumas : l’ombre du plus célèbre « nègre » de la littérature

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Il y a parfois de belles occasions manquées, c’est le sentiment que j’ai éprouvé en sortant de la projection de L’Autre Dumas, de Safy Nebbou. Le sujet offrait pourtant de belles perspectives : à travers la relation complexe d’Alexandre Dumas et de son plus célèbre  « nègre », Auguste Maquet, il était possible de développer toute une analyse psychologique, fondée sur l’auteur et son (presque) double, la crise d’identité, la frontière qui sépare la légitimité de l’imposture, le génie créateur du travailleur besogneux, sur le lien, aussi fructueux que destructeur, du commettant littéraire et de son commis. Un passionnant affrontement d’hommes, de méthodes, d’écritures face à la postérité, mais aussi dans le vécu des deux protagonistes, la célébrité de l’un, croissante, épaississant d’autant la part d’ombre dans laquelle se tenait l’autre.

Le choix du scénario en a décidé autrement. Ce qui aurait pu donner lieu à une intéressante confrontation entre un monument des Lettres extraverti, parfois superficiel, mais bourré de talent, un ogre débonnaire vivant son hédonisme sans complexe, dévorant la vie comme les plats qu’il cuisinait d’un côté, et un écrivain introverti, érudit rat de bibliothèque, obscur, discret, scrupuleux et austère de l’autre, devient vite une sorte de vaudeville, avec son lot de quiproquos et de rebondissements prévisibles. Quoi de plus rocambolesque, en effet, que cet épisode fictif d’un Maquet se faisant passer pour Dumas (qui avait échangé sa chambre d’hôtel contre la sienne), à la faveur d’un coup de foudre, auquel il est plutôt difficile de croire et qui est, sans surprise, voué à l’échec, pour une jeune fille, Charlotte, venue rendre visite au Maître ?

Le réalisateur semble avoir manqué d’inspiration, frôlé son sujet sans le saisir au col, en choisissant une intrigue de boulevard comme pivot de son film. Le spectateur peine à déceler un lien logique entre certaines scènes, le rythme n’est guère au rendez-vous et le montage manque de dynamisme. Safy Nebbou aime Dumas, c’est évident, mais il ne le prouve pas sans quelque maladresse. Dans un entretien, il dit avoir lu « des biographies sur Dumas et en particulier celle d’Henri Troyat. » Pareille référence pouvait laisser craindre le pire, Troyat ayant été à la biographie littéraire ce que le fast-food est à la gastronomie. Que ne s’était-il référé plutôt aux ouvrages remarquables de Claude Schopp ou Daniel Zimmermann ?

Pour autant, l’exactitude historique n’en souffre pas trop. Et si le réalisateur confie à Céleste Scriwaneck, une maîtresse de Dumas dont on sait peu de choses, une importance qu’elle n’occupa pas vraiment dans la vie de l’écrivain, ce parti pris est largement compensé par le relief que Dominique Blanc donne à ce rôle. Qu’importe si Jules Janin voyait en Céleste « une horrible fille, moitié Prusse, moitié Hollande, qui parlait un véritable charabia » ou si Dumas-fils la qualifiait d’« horrible femme ». Dominique Blanc lui donne une véritable personnalité, au tempérament fin et bien trempé. Catherine Mouchet, qui campe la femme de Maquet, n’est pas moins talentueuse, entre sévérité, naïveté et ironie. Quant à Mélanie Thierry, dans le rôle de Charlotte Desrives, elle séduit par sa spontanéité frondeuse et l’idéalisme révolutionnaire de sa jeunesse.

Car ce film, finalement, est surtout porté par le talent de sa distribution et l’effet de contraste entre les deux héros est bien rendu, en dépit d’un traitement académique du sujet. Benoît Poelvoorde fait merveille dans la peau d’un Auguste Maquet transi d’admiration pour son maître, fragile, émouvant, juste dans son jeu d’homme de l’ombre, éprouvant toutes les déconvenues, ravalant toutes les frustrations et toutes les rancœurs. Quant à Gérard Depardieu, on aurait pu s’attendre à ce qu’il se livre à une surenchère de truculence – comme souvent ; son choix d’éviter cet écueil en interprétant Dumas avec une retenue bien calculée donne à son personnage une réelle crédibilité. Et ce n’est pas la polémique née autour de la pertinence de lui avoir confié ce rôle qui parvient à entamer la conviction du spectateur. Certes, Dumas était quarteron – ses ennemis de l’époque se chargeaient de le lui rappeler de la manière la plus nauséabonde à chaque occasion (pensons, notamment, au perfide Eugène de Mirecourt). Pour autant, qui aujourd’hui, mieux que Depardieu, en l’occurrence, eut pu camper Dumas ? La meilleure preuve en est que tous ceux qui se sont élevés contre cette distribution n’ont, a priori, cité aucun acteur qui aurait pu lui être opposé.

Il est dommage que L’autre Dumas ne se montre pas à la hauteur de son ambition ; le public ne s’y est pas trompé, si l’on en croit le modeste nombre d’entrées enregistré depuis la sorti en salles du film. Le spectateur intéressé par les relations littéraires complexes pourra toujours se reporter au long-métrage de Laurent Heynemann, Faux et usage de faux, qui date de 1990, mais que l’on doit pouvoir se procurer en vidéo. Tiré de l’étrange aventure Gary/Ajar, bien servi par Philippe Noiret et Robin Renucci, il fait preuve de ce que le public était en droit d’attendre : une plus grande profondeur d’analyse.

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