20 années se sont écoulées depuis la déclaration d’indépendance de la République de Moldova, Etat ex-soviétique à population roumanophone majoritaire, en fait un ancien territoire roumain, annexé par l’URSS en 1940. Pour marquer cet anniversaire, nous vous proposons un entretien sur la littérature dans cet espace est-européen.
Les invités de cette édition de notre rubrique sont Vitalie Ciobanu et Emilian Galaicu-Păun, deux personnalités du monde culturel de Bessarabie.
En octobre 2009, la revue “Contrafort” fêtait son 15e anniversaire. Créée et dirigée par Vasile Gârmeţ et Vitalie Ciobanu, “Contrafort” a eu un grand impact dans le monde des lettres de la République de Moldova. “J’aurais été moins exigeant avec moi-même et mon écriture si cette revue n’avait pas existé à Chişinău. Sans “Contrafort” j’aurais moins soigné cette partie de ma nature qui pousse chaque être humain à prendre très au sérieux ce qui lui arrive et ce qui se passe dans le monde où il vit” – notait l’écrivain Constantin Cheianu. Vitalie Ciobanu et Vasile Gârmeţ ont voulu réaliser une revue qui corresponde à leurs goûts et exigences et qui reflète la littérature des nouvelles générations d’écrivains – une littérature qui commençait à s’individualiser au début des années ’90. C’était là également une tentative de sortir les belles lettres de la confusion esthétique qui régnait à l’époque dans le monde culturel moldave et de les aligner aux dernières tendances européennes. Vitalie Ciobanu:
« Il s’agissait de promouvoir un esprit critique moderne, à la fois lucide et objectif, vis-à-vis des mentalités communistes et de ce courant nationaliste réticent à l’idée d’une européanisation de la littérature et de son intégration à un circuit roumain plus large. Ce nationalisme exacerbé – dû certes, entre autres à la russification de cet espace – avait réduit le panthéon culturel roumain à deux ou trois noms: le prince régnant de Moldavie Etienne le Grand et les poètes Mihai Eminescu et George Coşbuc, dont les oeuvres n’étaient pourtant pas approfondies. Des écrivains tels Mircea Eliade, Emil Cioran ou Mihail Sebastian étaient pratiquement inconnus chez nous ».
Selon Vitalie Ciobanu, même à présent, pour la République de Moldova, la littérature roumaine est encore à découvrir – à commencer par la génération d’écrivains des années ’60 – dont le poète Marin Sorescu – pour terminer avec les auteurs de la dernière vague (après 2000). Vitalie Ciobanu nous parle de la littérature roumaine en République de Moldova telle qu’elle se reflète dans les pages de la revue “Contrafort” et des conditions dans lesquelles s’est formée la génération à laquelle il appartient:
« La vague de jeunes écrivains est déjà structurée sur trois générations: celle des années ’80 proprement dite, la génération des années ’90 et les tout jeunes, dont beaucoup sont encore étudiants. Nous, les écrivains de la génération ’80 de Bessarabie, nous nous sommes formés dans des conditions de liberté. La plupart d’entre nous ont terminé leurs études durant la période soviétique, pourtant notre conscience critique s’est éveillée et affirmée dans cet espace de la liberté d’expression qui a pris de plus en plus contour dans les années après l’indépendance ».
La revue “Contrafort” a réussi là où, pendant près de 19 années d’indépendance, les partis politiques ont échoué: nous ramener au sein de l’Europe – affirme l’écrivaine Călina Trifan. “Contrafort” a contribué à éradiquer le monde communiste et à nous enlever nos complexes d’écrivains de langue roumaine – ajoute-t-elle. Son avis est partagé par la plupart des intellectuels habitants des deux côtés de la frontière commune. En raison de cette attitude très ferme, la publication n’a jamais été soutenue par les instutions de la République de Moldova. Si elle a pu paraître, c’est aussi et surtout grâce à l’appui accordé par l’Institut Culturel Roumain.
La maison d’édition “Cartier” de Chişinău fête, elle aussi, cette année, 15 ans d’existence. C’est grâce à ces éditeurs que la langue roumaine a pu réaffirmer son statut en République de Moldova. Outre le volume impressionnant de publications, “Cartier” a sorti, en 1999, le Dictionnaire Encyclopédique Illustré, le premier “Larousse roumain” comme il a été baptisé par la presse. Ce fut un moment exceptionnel pour les intellectuels de la République de Moldova, vu que la langue roumaine avait été boycottée pendant près de deux décennies par les autorités de Chişinău. La maison d’édition “Cartier” est dirigée par Gheorghe Erizanu, secondé par le rédacteur en chef Emilian Galaicu-Păun. Nous écoutons le poète Emilian Galaicu-Păun:
« C’est vrai. Nous avons été en relations difficiles avec la langue roumaine. D’abord, parce que la graphie était différente, or, écrits en caractères cyrilliques, les mots finissent par se prononcer différemment. 1989 a marqué le passage à l’alphabet latin. Ce fut une véritable chute d’un mur dressé entre nous et nous–mêmes, entre la langue moldave, comme les autorités communistes se plaisaient à appeler notre langue, le roumain. C’est d’ailleurs ce que les Editions « Cartier » s’efforcent à faire depuis 15 ans : rétablir le roumain dans ses droits, d’où l’importance attachée à la parution du Dictionnaire Encyclopédique Illustré, élaboré, il faut le dire, en collaboration avec une équipe de l’Institut Philippide de Iaşi, en Roumanie ».
L’intérêt du public pour ce dictionnaire fut énorme, la maison d’édition « Cartier » se voyant obligée de revoir à la hausse son tirage pour arriver à vendre quelque 30 mille exemplaires en tout. A part cette performance, l’éditeur se fait également un titre de gloire des efforts entrepris pour redécouvrir le roumain. Repassons le micro au poète et éditeur Emilian Galaicu-Păun :
« D’une part, nous avons publié des auteurs de Bessarabie intégrés dans la culture roumaine. Et je pense notamment à des noms tels Nicolae Popa, Irina Nechit, Nicolae Leahu. D’autre part, il y a des auteurs roumains qui souhaitent se faire publier chez nous. Nous avons déjà sorti des volumes signés Gheorghe Crăciun, Alexandru Muşina et Şerban Foarţă. A tous ces noms viennent s’ajouter ceux de quelques jeunes poètes formidables publiés en 2009 : Radu Vancu, Claudiu Komartin ou encore Dan Coman. Bref, il s’agit d’un circuit naturel entre des maisons d’édition bien ancrées dans le marché roumain du livre et les écrivains. On cherche à faire paraître les auteurs qui nous sont chers, mais parfois ce sont les écrivains qui nous cherchent. C’est ainsi qu’un livre arrive à exister. »
Souvent victimes des pressions des autorités communistes, révoltées par l’importance accordée à la langue roumaine, la maison d’édition « Cartier » a pourtant bénéficié du soutien des lecteurs. La preuve ? Cela fait déjà un an que les villes moldaves de Chişinău et de Bălţi accueillent les Soirées poétiques Cartier avec un succès retentissant auprès du public. Malgré la réticence des éditeurs face à la poésie, Cartier persiste dans ses efforts de promouvoir les vers et pas à tort : cela se vend comme des petits pains.
Corina Sabău, trad. Dominique, Mariana Tudose
Pourriez-vous nous remettre une courte liste des auteurs moldaves incontournables ? Merci !