Sûrement n’avez-vous jamais entendu parler du monastère Rajinovac? Moi non plus à vrai dire avant un séjour en Serbie en 2009. Situé sur une petite route dans la campagne de Serbie centrale vers Pozarevac, ce monastère orthodoxe a été aussi l’occasion d’une courte immersion brutale mais non moins instructive dans la Serbie profonde avec toutes ses aspérités, son authenticité et sa grande pauvreté… J’apprendrai bien plus tard que la célèbre et sulfureuse star du turbo folk Ceca le considère comme son lieu fétiche et s’y rend souvent. Entre paysans et tziganes, s’offrent à nous quelques visages de cette Serbie qui ne peut laisser indifférent…
Dans un article où j’essayais de répondre à la question « pourquoi voyager dans les Balkans? » et j’exprimais les raisons qui font que j’aime autant cette région, j’ai réemprunté à l’écrivain, éditeur et directeur de revues François Maspero une formule très juste …
Pour appréhender les Balkans, affirme-t-il, il faut « écouter, marcher, s’imprégner ».
Vingt années de voyages, d’expériences et de rencontres variées m’ont convaincue que la meilleure manière parfois de s’immerger, même momentanément, c’est aussi de se perdre au propre comme au figuré pour mieux faire des rencontres et un peu se retrouver…
Beaucoup de blogueurs voyageurs devenus de véritables pros de la photo publient les leurs dans le but de faire rêver, car partager ses voyages est une invitation au rêve lancée à ses visiteurs… Autant le reconnaître, vous ne rêverez pas ici en me suivant sur la route du monastère Rajinovac, d’autant que la photo et moi, ça fait deux! Quand on se perd Serbie centrale, on n’a pas spontanément envie de rêver. Et pourtant, il y a quelque chose qui nous saisit et ne nous lâche plus. On y fait de chaleureuses rencontres, découvre des petits trésors qui échappent aux guides touristiques et surtout on comprend rapidement qu’ici, rien n’est évident…
Plus je me suis perdue ou j’ai emprunté des frontières dans les Balkans, visibles ou invisibles, peu ou pas connues des touristes, plus j’ai eu l’impression de toucher du doigt ce qui fait des Balkans une zone si spéciale et parfois déroutante, mais toujours passionnante. En m’arrêtant pour trouver mon chemin dans ces coins au milieu de nulle part où je m’étais aventurée à la recherche de je ne sais quoi, j’ai croisé des visages, échangé des sourires que je n’oublierais jamais.
Il m’est aussi arrivé de vouloir visiter un lieu probablement inconnu des guides touristiques, qui a pu me toucher par sa simplicité ou les rencontres que j’y ai faites, plus que beaucoup de sites dits incontournables. Car je voyage sans GPS, ni guide de voyage et souvent avec une simple carte de l’Europe donc sans carte nationale… uniquement pour éprouver le plaisir de me perdre en suivant un panneau signalant un monastère, un site, un monument local indiqué sur aucune carte.
Se perdre en Serbie centrale sur la route du monastère Rajinovac…
C’est en sortant de l’autoroute Belgrade-Nis au péage de Mali Požarevac, à une cinquantaine de kilomètres de Belgrade, dans la région de Pozarevac, que j’ai aperçu un panneau marron indiquant le monastère Rajinovac Манастир Рајиновац dont je n’avais jamais entendu parler. Il y a toujours une petite pointe d’excitation à l’idée de s’engager un peu à l’aventure sans savoir ce que l’on va trouver au bout de son chemin…
J’apprendrais pourtant par la suite que le monastère Rajinovac, qui relève de l’archéparchie de Belgrade-Karlovci est inscrit parmi les monuments culturels de grande importance en Serbie en raison de sa valeur historique et architecturale. Si extérieurement peu de choses le laissent deviner, l’intérieur du bâtiment est plus impressionnant et je garde de ma visite guidée un souvenir ému.
Sur la route vers Rajinovac, direction Umčari…
Bien que 7 km nous séparent, mes parents et moi, de ce monastère situé près du village de Begaljica, j’ai du demander 5 fois au moins la route avant d’arriver à bon port. Les petites routes sur le territoire de Belgrade ne profitent pas de la proximité de la capitale. Mieux encore que l’expression Paris et le désert français, on pourrait évoquer Belgrade et le désert serbe. Il y a vraiment une mégalopole à la centralité plutôt favorable et tout un pays au développement aléatoire où les montagnes à l’ouest côtoient les vallées avant de céder le pas à la plaine danubienne à l’est.
Si la toute petite ville d’Umčari est importante à l’échelle de cette contrée, elle n’est rien d’autre qu’un gros village concentrant l’essentiel des magasins et services pour tous les environs. On entrevoit dans la principale artère une certaine effervescence à l’approche de ce qui fait office de marché non alimentaire … Les marchands alignent leurs voitures aux coffres ouverts en guise d’étal, lesquels recèlent toutes sortes de produits et vêtements à prix défiant toute concurrence pour un français.
Les impressions immédiates sur la société serbe et la vie sociale à la campagne renvoient une image de relative séparation des sexes lors des activités du quotidien. On discute entre hommes aux cafés, sur les bancs, dans la rue. Les femmes échangent de leur côté. Même à la station de bus, matérialisée par un banc et un panneau, on observe le côté des hommes et le côté des femmes.
Ici, à partir d’Umčari, les routes secondaires sont plutôt mauvaises, chaotiques, étroites, ponctuées de trous ou de dos d’ânes. Parfois, elles ne sont pas même goudronnées et ressemblent à des chemins tantôt caillouteux, tantôt terreux. Ma mère, conductrice chevronnée et unique conductrice lors de nos voyages selon sa volonté, ne se pose jamais de questions, affronte les routes quelles que soient leur état et préfère me laisser la responsabilité du guidage.
Une fois que nous avons franchi le panneau de sortie d’Umčari, tous les autres panneaux semblent avoir disparu, y compris à un croisement qui m’oblige à décider de notre orientation au hasard. En fait, j’emprunte la mauvaise direction, vers la droite sur la route en apparence la plus large et dans un état un peu meilleur. Aussi sommes nous contraints de rebrousser chemin au bout de plusieurs kilomètres, en supposant que si le monastère Rajinovac était sur cette voie, nous l’aurions sûrement déjà atteint. Les kilomètres défilent très très lentement. Je prends le temps de zyeuter les environs de cette région méconnue pour moi, pendant que ma mère fixe son attention sur la route.
Au bord de ces routes, les gens se baladent à pied comme si de rien était… Les animaux évoluent partout en liberté : des cochons, des chèvres, des oies, des chiens… D’aucuns préfèrent circuler et parfois s’entasser sur des petits engins d’un autre temps servant en quelque sorte de taxi collectif ou chevauchent leur vieux vélo. Comble de la modernité, les plus chanceux disposent de tracteurs presque contemporains.
Dans chaque maison, on entre par un portail orné de fleurs séchées, de pailles tressées ou de décorations variées qui apportent des impressions plus bucoliques. J’ai un temps pensé que les coeurs de fleurs servaient à repérer les maisons des nouveaux mariés ou des fiancés et mariés dans l’année; avant de comprendre qu’il s’agissait d’un signe d’hospitalité dans cette campagne, où la vie assez dure prenait presque un air un tantinet romantique.
La Serbie centrale s’apprécie donc avec lenteur. Ce ne sont pas tant les paysages verdoyants quelque peu répétitifs et parsemés de maisons sans identité architecturale et pas toujours terminées, ni le relief assez plat nuancé par quelques vallons et plantations de vignes, qui invitent à prendre son temps et aiguisent la curiosité, mais bien ce sentiment d’avoir atterri soudain dans la Serbie profonde.
Certes, nous ne sommes pas tout à fait dans un petit bout du monde! Le territoire est plutôt bien occupé, car nous voyons défiler des maisons, des hameaux ou deux villages jusqu’à Rajinovac. Mais on sent bien que dans cette région à dominante rurale, on est un peu retiré du monde moderne et les habitants vivent de peu et dans l’autosuffisance…
Une adorable « baba » (grand-mère en serbe – photo ci-dessus) croisée sur la route s’efforce de nous guider avec une bonne volonté admirable, un sourire désarmant et un mélange de mots et de gestes qui témoignent de son souhait de se faire comprendre coûte que coûte auprès des touristes que nous sommes. Combien de touristes, surtout étrangers, prennent le temps de découvrir cette Serbie profonde? Il y a fort à parier que nous sommes pour elle une source de curiosité et d’étonnement. Autant au moins que le sont pour nous tous ces gens observés sur le bord de la route et leur vie quotidienne, en apparence indolente, dans cette contrée si paisible et pourtant sûrement austère et laborieuse. Nos quelques mots usuels de serbe prononcés avec un accent mal assuré facilitent l’échange. Apprendre les rudiments d’une langue locale ouvre forcément de nouvelles portes qu’une langue étrangère commune, comme l’anglais, ne permettrait pas d’explorer. A fortiori dans une telle région, où peu de personnes parlent une autre langue que le serbe.
Comment apprendre le serbe pour les vacances?
Quelques applications gratuites sur smartphone qui peuvent s’utiliser sans se connecter au wifi aident à faire les premiers pas à l’instar de Guide de conversation serbe sur Google Play. Outre le côté ludique, leur avantage est de donner une idée claire de la prononciation du mot, à vrai dire très délicate sur certaines lettres dont le différence de prononciation est subtile.
Pour les amateurs de supports classiques, il existe deux ou trois petits guides coûtant moins de 10 euros et permettant d’apprendre le serbe de base comme Le serbe de poche en une dizaine de leçons donc en quelques heures. Le lexique par liste sur les questions de la vie pratique favorise des demandes du genre : « bonjour Monsieur, Madame, où se trouve tel lieu? » puis-je réserver une chambre, un billet de bus? Je veux manger de la viande, boire de la bière ou tout simplement : combien ça coûte? – Merci, aurevoir ». Pour les plus exigeants, la méthode Assimil kit de conversation Serbe reste la référence.
En montrant une expression sur une page écrite, on débloque souvent une situation d’incompréhension surtout face aux personnes plus âgées peu habituées aux nouvelles technologies. Mais surtout, on peut aussi mieux comprendre les règles de la grammaire et de la conjugaison, là où les applications se limitent à communiquer une liste de mots utiles sans la moindre référence.
Monastère Rajinovac, plus qu’une église, un beau moment d’échange
Plus loin, alors que nous nous sommes arrêtés pour découvrir une petite église (voir la photo ici) que nous croyons être le monastère, une autre dame nous propose de nous accompagner jusqu’au lieu recherché. Peu importe qu’elle doive rentrer à pied et faire près de deux kilomètres!
Nous entendant arriver sur le parking du monastère Rajinovac, la gardienne sortie de nulle part, au sourire solaire, nous accueille chaleureusement dans ce joli lieu qui ne figure pas sur la majorité des guides touristiques. Cette grande dame à l’allure quelque peu masculine a un ton de voix et un regard doux, qui tranchent résolument avec son apparence. Elle s’appelle Dragana et nous demande si nous souhaiterions visiter le monastère, fermé en dehors des moments de culte.
Les moines demeurent tout près dans un bâtiment neuf. Si tout est désert, lors de notre venue, il semblerait que périodiquement, pour certaines fêtes religieuses, le monastère Rajinovac attire les foules de croyants mais aussi de notables et autres personnalités venus pour « se montrer » aux côtés des autorités religieuses de l’archéparchie. Comment un site si paumé est-il finalement plus connu qu’il y paraît? Dragana nous explique en anglais avec force détails l’histoire du monastère, ce qui est bien plus pratique que la lecture du livret en cyrillique acheté à la boutique.
Le monastère préféré de la chanteuse Céca
Si le monastère de Rajinovac n’est pas connu des touristes étrangers contrairement aux monastères médiévaux de Krusedol, Zica, Manasija ou Studenica, il l’est de certains Serbes de la région belgradoise qui s’y pressent lors de certaines fêtes surtout pour y croiser l’idole d’une grande partie du peuple aujourd’hui encore, la chanteuse Svetlana Ražnatović, surnommée « Céca ».
La diva serbe s’est mariée à Arkan et c’est à son côté que sa popularité de chanteuse de turbofolk a explosé, en même temps qu’elle s’est physiquement métamorphosée en bimbo inspirant officiellement Kim Kardashian, bien avant l’heure. Arkan, cette figure sulfureuse s’est enrichie par le banditisme avant de devenir un redoutable chef de guerre, le chef des Tigres, des paramilitaires utilisés par le pouvoir de Milosevic pour tenter de mater les velléités indépendantistes des croates, puis de semer la terreur en Croatie et en Bosnie.
Toujours considéré comme un héros de la Grande Serbie orthodoxe depuis sa mort en 2000, vénéré par certains en raison de ses nombreux crimes pendant la guerre de Croatie et de Bosnie-Herzégovine, Arkan a épousé Céca en grandes pompes en 1995, alors que la toute jeune chanteuse était déjà prometteuse et incarnait la parfaite femme trophée que l’imaginaire des hommes des Balkans aime cultiver.
En dépit de l’assassinat d’Arkan dont elle entretient la mémoire en toutes occasions, Céca a poursuivi son chemin de chanteuse, tout en étant soupçonnée de corruption ou de liens avec la mafia. Elle est restée une star en ex-Yougoslavie au point qu’elle est probablement la personnalité la plus traquée par la presse people dans les Balkans. Tous ses déplacements font sensation et sont rapportés dans Kurir ou Alo, le Closer ou le Voici serbe. A commencer par ses visites régulières dans son monastère favori Rajinovac, à Begaljica près de Grocka, où elle vient participer aux liturgies, simplement échanger avec les moines ou prier pour des personnes confrontées à des drames (à l’instar de femmes battues) ou des malades qu’elle soutient. C’est ainsi que les Serbes ont suivi au rythme des prières de Céca à Rajinovac, le combat face à la maladie de son amie Marina Tucakovic, parolière serbe réputée, qui s’est illustrée par certains titres en compétition à l’Eurovision et quelques tubes repris par la diva.
Svetlana Céca Ražnatović met volontiers sa notoriété au service de causes avec lesquelles elle se veut solidaire et s’exprime souvent à ce sujet depuis Rajinovac, ce qui offre à ce site une forme de popularité. Comme un rituel, elle assiste aussi chaque année à la liturgie de la Nativité, participe aux cérémonies du réveillon de Noël et aux traditionnels feux du Badnji dan, au milieu d’une foule qu’on a peine à imaginer, quand on visite ce monastère par hasard par une journée de septembre, comme j’en ai eu l’occasion.
Qui croirait en découvrant la petite église dans un coin si paumé, que ce lieu ait été jeté en pleine lumière grâce à une telle personnalité à la fois ultra populaire bien au-delà des fans de la Madonna du turbo folk serbe et controversée pour ses fréquentations? Ici par moment, tout le gratin politique et religieux de Belgrade et des personnalités variées se retrouvent au milieu de la population et donnent donc l’impression que ce monastère est un site bien plus majeur que son apparence le laisse entendre…
Un monastère orthodoxe né d’une légende
Une légende prétend que sa construction aurait été permise à la suite d’un drame lié à l’argent, subi par un servant appelé Raja, qui travaillait au service de la riche famille Bugarcic. Le maître de maison aurait voulu expier le pêché de ses fils accusés d’avoir tué le servant en tentant de le détrousser. C’est pourquoi ce monsieur Bugarcic aurait ordonné de bâtir une église sur sa propriété et l’a baptisée Rajinovac en hommage à Raja.
Les premières références au monastère Rajinovac dédié au Saint Rajko remontent à 1528. Elles nous sont parvenues grâce à un registre de recensement ottoman (defter) mentionnant la présence de cinq puis de quatorze foyers sur les hauteurs de Begaljica. Mais l’église dotée d’une nef unique que nous découvrons a subi en 1793 les remaniements issus d’une rénovation complète du monastère à l’initiative de Stevan Andrejić-Palalija, dont on observe d’ailleurs la tombe devant l’entrée.
L’actuelle bâtisse a connu des réparations en 1920 et avait déjà été divisée par des pilastres peu profondes à quatre baies. On peut y repérer une large abside semi-circulaire et des choeurs rectangulaires. Entre 1833 et 1839, une grande collecte auprès des fidèles est lancée par le prince Miloš pour réaliser une autre rénovation. Cela explique également pourquoi toutes les fresques et décorations dans un style néoclassique ont été peintes en réalité aux XIXème et XXème siècle et bénéficient donc d’une excellente préservation.
En pénétrant dans l’église, on est saisi par l’intensité des couleurs où dominent le bleu royal et un rouge profond tirant vers le bordeaux. L’impressionnant nombre de personnages et de scènes qui nous sont pour la plupart étrangers en dehors des figures mariales et christiques nous questionne. Mais depuis la nef, nous sommes surtout happés par la majesté de la Vierge qui nous accueille avec ses bras ouverts.
Que l’on soit ou non croyant, il se dégage du choeur et de l’iconostase une force et une bienveillance évidentes. Dans les églises orthodoxes, l’iconostase est particulièrement importante dans la mesure où les orthodoxes la considèrent comme la porte vers le monde divin. De même, une représentation de la Nativité sur une grande icône ne manque pas d’attirer notre attention.
Seuls quelques objets et livres, datant des XVIème, XVIIème et XVIIIème siècles renvoient à l’importance historique du monastère Rajinovac dans l’histoire de la Serbie orthodoxe sur le territoire proche de Belgrade. Dragana nous explique bien sûr l’essentiel de ce que content les fresques murales largement dédiées à la Vierge pour mieux m’inviter à admirer un trésor, exposé devant une collection de plus petites icônes. Le choeur rayonne avec son imposant lustre, ses peintures et d’autres icônes sont déposées juste devant les panneaux de bois fermant l’iconostase …
A ma grande surprise, alors que je gardais à la main par respect mon appareil photo, ne sachant pas s’il était possible de prendre des clichés et n’osant pas le demander, Dragana me suggère de prendre la pause pour emporter un souvenir de mon passage. Elle me confirme avec fierté que je peux photographier tout ce qui me plaît.
Dragana propose de nous accompagner ensuite à l’extérieur pour déposer à ses frais un cierge pour les vivants et un pour les morts, afin de nous protéger pour la suite de notre voyage, avant de nous inviter à boire un petit rakija (eau de vie) du monastère dont nous ramènerons quelques bouteilles dans les bagages.
En Serbie à l’instar de tous les pays d’ancienne Yougoslavie, offrir un rakija est un rituel de bienvenue. D’ailleurs, on comprend à quel point ce petit geste d’hospitalité, qui consiste à tendre un verre pour trinquer au mot d’ordre živeli, a du sens pour les Serbes! Entre deux gorgées de ce breuvage un peu sec au goût d’abricot, qui nous change de la traditionnelle slijvovica, elle en profite pour nous faire déguster les miels onctueux, les confitures succulentes et des gâteaux roulés aux noix et au pavot, fabriqués par les moines et les villageoises.
Je suis touchée par autant de générosité, car ce n’est pas la première fois que nous rencontrons dans des monastères en Serbie, des personnes, moines, nonnes ou gardiens, qui nous accueillent autour de quelque nourriture et font brûler un cierge en notre honneur, même s’ils ont bien compris que nous ne sommes pas de confession orthodoxe. C’est sûrement pour eux une évidence de nous remercier de l’intérêt témoigné et de prier pour nous sur leurs terres empreintes d’orthodoxie. C’est dire combien on apprécie l’autre et montrer sa reconnaissance par de petites attentions. A nos yeux, il ne s’agit pas d’un simple cadeau, d’une offrande, c’est la matérialisation d’un lien si ténu soit-il, qui a permis d’échanger et de partager dans le respect des différences. Voilà aussi ce que peuvent être les Balkans et cette Serbie qui m’est devenue très chère au fil de mes voyages.
Un air du Temps des Gitans : la Tsiganie en Serbie
Bien que je sache apprécier des sites touristiques majeurs, ce sont toujours les petits coins inconnus débusqués à cause de ma curiosité, qui m’ont le plus touchée lors mes voyages. Ce séjour entre Serbie, Roumanie et Hongrie en 2009 n’a pas fait exception. En Roumanie, la même logique m’a menée au monastère Ostrov en Olténie où j’ai vécu la fête du monastère et un repas populaire, que je considère peut-être comme mon meilleur souvenir parmi tous mes voyages en Roumanie depuis 1996. En Serbie, c’est peut-être Rajinovac et ses environs qui ont donné à mon itinéraire une toute autre dimension.
J’aime surtout me perdre pour me laisser surprendre. Pourtant reconnaissons le, parfois, ce que j’ai découvert m’a déstabilisée et a ébranlé mes certitudes plus qu’autre chose. Je ne dirais pas qu’il faut visiter la région de Kostolac (Костолац) – Pozarevac pour la beauté de ses paysages, le caractère de ses villages et de ses villes. Mais s’y aventurer permet de se heurter aux contrastes, aux aspérités, aux inégalités qui façonnent autant la Serbie, bien avant d’ailleurs son indépendance contrainte et forcée après le démembrement de la Yougoslavie. Certes, nous ne sommes qu’en transit, donc nous ne sommes pas en mesure d’appréhender tout à fait le niveau de pauvreté qui frappe les campagnes de Serbie …
En apprenant les terribles inondations qui ont dévasté cette partie de la Serbie en 2014, nous imaginons aisément la désolation dans laquelle les personnes que nous avons peut-être croisées, sont plongées, d’autant que les médias serbes confirment un certain abandon des autorités, si ce n’est pour protéger et éviter une catastrophe dans la centrale électrique et thermique. Nous avons beau savoir qu’elles n’ont plus de courant, pas d’eau potable, pas d’aides sur le moment ou à venir et qu’elles ont perdu tout ou presque, nous devinons aussi que ces habitants acceptent avec fatalisme leur sort. Ils ne se plaignent sûrement pas et se serrent les coudes. La vie reprendra ses droits rapidement, grâce à la solidarité entre villageois, plus forte que toutes les initiatives politiques ou internationales finalement et surtout bien plus concrète que l’attente de fonds qui ne viendront jamais.
Entre Mali Pozarevac et Pozarevac comme dans de nombreux endroits en Serbie centrale, j’ai eu l’impression de plonger d’un coup dans une Serbie improbable. De la Tsiganie, j’avais en tête l’ambiance loufoque, la version absurde et tragi-comique de l’univers des films de Kusturica. Mais il y a peu de points communs entre cette campagne dénuée de tout et les décors de Chat noir Chat blanc et du Temps des Gitans filmé dans la Macédoine des années 80.
En revanche, en terme de pauvreté, peu de choses ont changé depuis trente ans. On est dans une Serbie à part qui ne semble pas forcément intégrée à cette Serbie paysanne dont nous venons depuis Rajinovac… En roulant sur les routes perdues de cette Serbie, on est souvent déconcerté par un tel dénuement et une vie aussi désespérante (en apparence) et loin de tout progrès …
Quel choc en quittant Belgrade une petite heure auparavant!! A peine avons-nous emprunté une route intérieure après Mali Pozarevac que les images se heurtent. J’aperçois un condensé d’une Serbie tsigane que je croyais appartenir à la fiction et je la traversais avec bien des questionnements en tête, tout en sachant que je ne pourrais jamais trouver des réponses satisfaisantes. Comment vit-on dans ces maisons aussi délabrées, ces villages aux airs sinistres? Et encore que ceux qui occupent ces maisons, même si ce sont des taudis, ont finalement la chance d’avoir un toit ! Des monceaux d’ordures s’accumulent devant certaines maisons comme autant de décharges à ciel ouvert qui interpellent non seulement sur les conditions de vie, mais aussi sur la si grande différence entre les communautés. On s’imagine qu’elles sont à l’abandon. Pas du tout. Des gens y vivent comme si de rien était.
Ici vers Kostolac on traverse une terre remplie de contradictions, qui synthétise l’immense précarité de la Serbie. Nous nous sentons en définitive un peu comme des voyeurs et saisis d’un certain malaise. En quelques minutes, nous avons basculé d’une campagne presque bucolique à une campagne où tout paraît en ruines ou du moins profondément dégradé et misérabiliste … Cet espace se caractérise par une certaine inertie et l’indolence observée dans les environs de Rajinovac qui n’excluait pas une attitude besogneuse a cédé le pas l’ennui et à l’attente d’on ne sait quoi, sur cette petite route menant au site archéologique de Viminacijum.
La plupart des hommes tsiganes que nous croisons, jeunes ou moins jeunes, semblent totalement désoeuvrés et attendent devant leurs maisons. Nous les observons en roulant sans trop savoir si notre curiosité est légitime. Pour la plupart, leur regard est perdu ou absent quand ils ne nous repèrent pas, mais il se fait beaucoup plus aiguisé et méfiant dès qu’ils nous aperçoivent en train de les regarder …
Viminacium, découvrir une cité antique romaine du 1er siècle
Dans la campagne des environs de Kostolac, en suivant le panneau du site archéologique antique, Viminacium, au détour d’un tournant, surgit une usine imposante et peu inspirante, qui s’avère être une usine thermique d’extraction de charbon majeure pour le pays. Elle alimente Belgrade et une grande partie de la Serbie centrale. A constater de loin son état, on pourrait douter de sa fiabilité, alors qu’elle est vitale pour toute la région. Aux abords, les maisons des ouvriers témoignent de l’état de délabrement de l’économie industrielle de la Serbie.
A moins de 2 kilomètres, des drapeaux internationaux flottent pour annoncer cette cité ancienne de Viminacium, appelée en serbe Виминацијум Viminacijum. Capitale de l’ancienne Mesie située sur la Via Militaris, ce fut une ville majeure dans la région sous l’empire romain entre le Ier et le IVème siècle après JC. Des fouilles avaient été entreprises dès 1882 par l’archéologue serbe Mihailo Valtrović.
Dans les années 70, l’archéologue par Miloje Vasić poursuivit le travail de fouilles à l’embouchure de la Mlava et du Danube. Il est assez paradoxal d’apprendre que la construction de la centrale thermique si près du site a permis de mettre au jour une nécropole de 13500 tombes, mais aussi un complexe urbain notable, constitué de rues, de riches villas, de bains publics, d’un aqueduc et d’un amphithéâtre. Au début des années 2000 de nouveaux travaux débutèrent permettant d’ouvrir les vestiges puis une partie du complexe au public. Viminacium est un site à ne pas manquer si vous appréciez l’histoire et l’archéologie.
On comptabilise pas moins de 160 sites archéologiques significatifs en Serbie dont 20 sont classés pour leur « importance exceptionnelle » à l’instar de Lepinski Vir. Les visites guidées en anglais pour quelques euros sont effectuées par une spécialiste passionnée qui nous fait revivre l’histoire de l’édification et de la vie à Viminacium. Accorder deux heures et demi à cette exploration me paraît une évidence.
» En savoir plus sur le site officiel de Viminacium
En nous éloignant de Pozarevac et Kostolac, petites villes industrielles assez vétustes aux rues vides et aux immeubles typiques du communisme, on retrouve des impressions plus pastorales qui faute d’être poétiques nous immergent dans une Serbie traditionnelle. Les poteaux électriques confirment que les maisons sont alimentées par le courant. Mais certaines maisons affichent un puits qui rappelle que l’eau potable et courante peut être ici un luxe. Les rues des villages sont caillouteuses et les trottoirs s’apparentent à des chemins de terre dont on imagine bien qu’ils sont boueux et peu praticables dès qu’il pleut ou il neige.
Dans quelques villages, nous tombons parfois sur une maison seigneuriale aux façades travaillées avec des mosaïques, aux belles balustrades et aux colonnes d’albâtre, qui tranchent avec la précarité environnante. Qui peut donc habiter ces demeures rares mais impressionnantes par leur grandeur et leur caractère ? Nous n’aurons pas de réponse à notre question, mais nous garderons à l’esprit qu’ici rien est évident et que beaucoup des réalités de cette Serbie nous échappent…
L’âme d’un pays, d’une nation, d’un peuple ne s’exprime pas seulement par ses paysages et ses monuments religieux et historiques. La lecture de cet article ne fait sûrement pas rêver, ce n’est peut-être pas en présentant ce genre de destinations que je vous convaincrais d’aller dans les Balkans et notamment en Serbie… Et pourtant…! En découvrant ces terres, on apprend beaucoup, on fait de belles rencontres, on ne peut rester indifférent et les images restent gravées en mémoire bien plus que certains sites incontournables aux airs de carte postale… Pour tous ceux qui aiment l’idée de voyager curieux, la Serbie est une destination aussi surprenante qu’instructive et touchante..
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Des questions auxquelles n’ont pas répondu notre guide de voyage sur la Serbie ou les brochures officielles de l’office du tourisme? Les voyageurs, expatriés et autochtones spécialistes de la Serbie vous répondent!
Les monastères orthodoxes sont magnifiques et magiques – bravo à toi de les mettre en avant, car c’est un enrichissement culturel de les visiter – suite logique après le Levant – la terre sainte – les basiliques de la Turquie actuelle, les maisons troglodytes de cappadoce – l’atmosphère est est comme nulle part ailleurs.
Comme j’aime ce pays et ses habitants!!! Depuis 30 ans au hasard des stages de folklore j’ai de merveilleuses rencontres et de si belles découvertes!!! Allez y vous ne le regretterez pas et rêverez d’y retourner très vite!!!!
A vélo,c’est magnifique et les habitants sont super.
Très beau. L’âme d’une nation ne s’exprime pas seulement par des paysages verdoyants, des plages fleuries…et autres visions mirobolantes mais artificielles et lucratives. Pour ceux qui aiment visiter ces monuments religieux ils seront comblés car il y en a beaucoup dans toute la Serbie…