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Portrait d’homme : Avant, J.B. Pontalis

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Etre philosophe et psychanalyste n’empêche pas d’être saisi par le vertige du temps. Je ne sais même pas si je devrais écrire : au contraire ! Et plutôt ajouter : tant mieux ! Il se trouve que j’ai réuni Françoise Héritier et J.B. Pontalis par hasard chez le même libraire. Mais si j’ai dévoré le premier des deux livres en quelques heures, le second m’a accompagné toute une semaine et m’accompagnera certainement encore quelques jours.

Il a en effet pris le temps de s’écrire, en reprenant des textes empilés dans les années 2000, mais auxquels le texte liminaire, le plus récent en quelque sorte, donne toute sa saveur. Il doit donc prendre aussi le temps de se lire. Et, qu’on ne soit pas surpris, les deux auteurs ont sensiblement le même âge, l’une élève de Lévi-Strauss et l’autre de Sartre et tous les deux parlent du temps perdu, ou plutôt de celui que l’on perd. Nul doute qu’ils s’adressent à moi. Qu’on me pardonne cette immodestie.

Le texte qui ouvre le livre s’intitule : « Quand ? » et il constitue une des clefs des songes possibles, celle qui ouvre ceux de nos tiroirs où sont rangés des souvenirs qui appartiennent à la catégorie : c’était mieux avant !

Un choix tout à fait subjectif : « Quand, au volant de la 4 CV, je pouvais rejoindre la terrasse d’un restaurant à l’autre bout de Paris en dix minutes. », « Quand, sur la même plage de l’été, je découvris qu’une petite fille n’était pas un petit garçon. », « Quand le facteur ne s’appelait pas « préposé », l’instituteur, « professeur des écoles », les hommes et femmes de ménage, « techniciens de surface », l’épicier arabe du coin, « commerçant ethnique de proximité ». », ou encore « Quand j’imitais Maurice Chevalier chantant Ma pomme ou Ah ! Si vous connaissiez ma poule, ce qui faisait rire ma mère – cela arrivait rarement. »

Comme Françoise Héritier, l’auteur se défend de toute nostalgie. Il parle un peu de regret, mais cherche par contre à approfondir ce besoin où nous sommes tous de comparer. J’avoue que cela parfois me gêne, surtout si je suis seul, de ne plus retrouver la vendeuse de fromages de la rue Rambuteau qui savait d’où venaient ses pélardons, remplacée par un vendeur de fallafels qui ne me disent rien, pas plus qu’à celui qui me les propose et de voir définitivement disparaître en s’écaillant la publicité peinte pour le Bébé Cadum sur un immeuble que je voyais tous les jours en me rendant à Paris en voiture. Je sais que cela ennuie ceux à qui je le raconte et qui voudraient plutôt que je leur parle de la vision qu’ils ont devant les yeux. C’était qui déjà Georges Pompidou, me dit-on en passant devant le Centre d’Art ? Oui, c’était qui déjà, une voie sur berges ?

Pourtant il faut bien y venir : « Passéiste, indifférent au nouveau, ayant perdu tout pouvoir de m’émerveiller, je proteste : non, tout n’était pas aimable avant, tout n’est pas abominable aujourd’hui. N’empêche que je compare et toute comparaison risque toujours d’opposer le bon et le mauvais, le mieux et le moins bien. J’ai beau nuancer et soutenir que je ne mets en relation que deux états différents sans valoriser l’un et dénigrer l’autre, je ne suis pas assuré de ma bonne foi et je reprends l’antienne du « c’était mieux avant ».

Je ne veux pas dévoiler le parcours que nous propose Pontalis, mais en tout cas je veux bien le suivre, même si j’ai eu un mal fou, pour mieux comprendre l’Europe, à adopter l’esprit de chronologie des historiens, et prendre avec lui, pour ma propre vie l’habitude enfantine de l’uchronie qu’évoque Barthes. Et bien entendu d’adhérer à la longue remarque de l’auteur : « Et maintenant, c’est maintenant. Et maintenant, c’est aujourd’hui, hier et demain. Nous autres, humains, nous ressentons et croyons que le temps passe, nous prétendons qu’il s’écoule et, plus nous vieillissons, qu’il s’écoule trop vite. Mais le Temps (avec une majuscule) ignore qu’il passe, il est immobile, il n’a pas d’âge. J’ai comme chacun de nous tous les âges si je cesse de découper le temps. »

En effet, cela m’arrange. Tout comme la question de l’enfant, que je veux bien moi aussi poser à chaque instant : « Est-ce qu’aujourd’hui sera hier, demain ? »

Aller plus à fond signifie pour Pontalis l’analyste : examiner, dans le désordre, la manière dont il s’arrange avec sa mémoire et ses propres archives, ses cours, ses manuscrits, les lettres qu’il a reçues. Et dans plusieurs incidentes, il aborde et énumère avec des chiffres tous les motifs qui guident depuis Michelet l’historien, l’archiviste, le conservateur, le responsable du patrimoine et de sa valorisation, ainsi que le chercheur de traces, quelles qu’elles soient.  Ainsi le point 11 du chapitre « Oublieuse mémoire », une sorte de pense-bête : « La passion actuelle pour le patrimoine à sauvegarder, tant le présent nous déçoit, tant l’avenir nous inquiète. Monuments, usines désaffectées, outils disparus, plaque commémoratives posées sur les maisons où des personnages célèbres ont vécu. Autant d’archives. » Il explore le sens des mots et la difficulté de leur traduction : Sehnsucht ou Zeitlos, un peu comme le faisait récemment Umberto Eco en compagnie de Marie-Hélène Fraïssé dans un entretien brillant de l’émission « Tout un Monde ».

Cela signifie également parcourir les allées des artistes. Que dire du sort d’Ulysse, l’oublieux ?  Que penser d’un écrivain, comme Borges racontant el memorioso, celui qui n’oublie rien, mais ne peut non plus, rien imaginer ? Ou encore de Balzac composant la nouvelle « Adieu » qui évoque une perte de mémoire fatale ou du roman consacré au « Colonel Chabert » ? Que leur ont à tous murmuré à l’oreille les sirènes ? Sinon : « Tu as été oublié, mon pauvre Ulysse… ». Quelle est vraiment la nature de la peur alors : Oublier ou être oublié ? Si l’enfer ce sont les autres, le risque réciproque de l’oubli l’est également.

Pontalis sait aussi rechercher le regard des peintres qui ont su affronter les ténèbres et vaincre le trauma de la mort comme Odilon Redon ou affronter le chaos, comme Caspar David Friedrich. « Ce monde que nous n’avons pas créé, il ne nous reste qu’à le contempler pour tenter de nous unir à lui dans sa radicale étrangeté. » Et de se donner pour guides tous ces yeux d’artistes qui nous invitent à regarder ailleurs.

J.B. Pontalis. Avant. Gallimard. 2012. On peut également écouter l’entretien de l’auteur avec Colette Fellous dans l’émission Carnet nomade.

Quelques autres références :

Après Freud, Julliard, collection les Temps modernes, 1965, rééd. 1993 (ISBN 2070728439)

Loin, Gallimard, 1980, N° d’édition 17612

L’amour des commencements, Gallimard, 1986 (ISBN 2070707865)

Perdre de vue, Gallimard, 1988 (ISBN 9782070410194)

Un homme disparaît, Gallimard, 1996

Ce temps qui ne passe pas, suivi de Le compartiment de chemin de fer, Gallimard, 1997

En marge des jours, Gallimard, 2002 (ISBN 2070765113)

Traversée des ombres, Gallimard, 2003 (ISBN 2070734781)

Le dormeur éveillé, Éditions du Mercure de France, 2004 (ISBN 9782715224780)

Frère du précédent, Gallimard, 2006, Prix Médicis Essai (ISBN 2070779610)

Passé présent, avec Jacques André – Françoise Coblence et Jeffrey Mehlman, PUF, 2007 (ISBN 978-2130560081)

Elles, Gallimard, 2007 (ISBN 9782070784745)

Le songe de Monomotapa, Gallimard, 2009 (ISBN 9782070124190)

En marge des nuits, Gallimard, 2010 (ISBN 9782070128884)

Un jour, le crime, Gallimard, 2011 (ISBN 9782070132768)

Illustration. Image d’Epinal. « Les petits bonheurs ».

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