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Préparer mon premier ajvar fait maison (et pindjur) ; voyage par procuration dans les Balkans

ajvar fait maison

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Ou comment j’essaie de me consoler de devoir à nouveau reporter le départ en vacances, tant attendu, vers les Balkans ou l’Europe centrale à cause de ces satanés vertiges qui ne me quittent plus depuis plus d’un an avec le cortège des nausées de plus en plus présentes, m’émoussant au quotidien.

Vous le savez sûrement, si vous me suivez sur IDEOZ ou avez eu la curiosité de découvrir les origines de mon blog et mes choix éditoriaux, je n’aime pas du tout me mettre en scène, ni exposer ma vie et raconter mes anecdotes, bien que je consacre beaucoup de mon temps à partager ici mes conseils de voyage pour aider les voyageurs à préparer leur séjour en Croatie, ailleurs dans les Balkans ou en Europe centrale et orientale… Je ferais donc une rare entorse aujourd’hui. Juste pour moi, peut-être. Pour me rassurer, me prouver que je suis en vie (sur ce blog également). Dans la vie. Et pour renouer surtout avec le plaisir de partager par l’écriture et d’échanger sur mon site, ce qui n’a pas été évident pour moi, lors des dix huit derniers mois, durant lesquels je me suis beaucoup interrogée sur mes aspirations, mes décisions et mon identité de blogueuse professionnelle, et au-delà de personne en quête de sens.

En ce dimanche d’octobre 2017, j’ai croisé comme chaque année depuis trois ans des Kurtoskalacs ; ces drôles de gâteaux au nom exotique, que j’ai connus lors d’un voyage en Hongrie et en Roumanie en 1998. Ils attirent toujours des tas de curieux faisant la queue non stop pour y goûter, lors de la fête de la pomme de Mirepoix ou à Espezel, petit village de la Haute vallée, aux confins de l’Aude sur les contreforts pyrénéens, organisant la fête de l’élevage audois… Cette escapade gourmande, ce fut comme un voyage express en Hongrie, en me déplaçant à demi heure de chez moi. La simple vue du Kurtos, m’a rappelé qu’il fallait peu de choses pour voyager ou se souvenir d’un détail d’un voyage.

Retrouver cette spécialité hongroise en forme de cheminée dont elle tire son nom pas facile à prononcer, kürtöskalàcs, m’a plongée quelques minutes dans mes souvenirs de Mitteleuropa, en sentant les délicieuses effluves de la cannelle, ou les parfums de la viennoiserie toute chaude an train de cuire sur sa broche typique. La déguster bien sûr, c’était la cerise sur le gâteau quand la pâte dorée moelleuse fond dans la bouche et éveille les papilles. Alors pourquoi attendre qu’un cuisinier français adopte le kurtoskalacs et se transforme en marchand itinérant dans l’Ariège sans avoir jamais mis les pieds en Hongrie, pour me remémorer mes émotions culinaires et voyager par les sens sans avoir à bouger de chez moi?

Kurtokalacs lors de la fête de la pomme à Mirepoix

Le ajvar, ma deuxième plus belle histoire d’amour dans les Balkans

La première (virtuelle pour le coup) étant Goran  Ivanišević, le champion de tennis croate qui m’a menée jusqu’à la Croatie peu après la guerre d’indépendance. Sans lui, peut-être n’aurais-je jamais mis les pieds en Ex-Yougoslavie?! Les Balkans se sont d’emblée imposés à moi, avant même que je foule ces terres et rencontre les personnes et les expériences, qui m’ont fait les aimer. Le ajvar, tirant son nom du mot turc qui signifie caviar, est un condiment originaire des Balkans de l’ouest et surnommé « le caviar rouge des Balkans ».

Le ajvar accompagnant ma jangnjetina (agneau rôti à la broche sous la cloche), mes cevapcici, ces rouleaux de viande hachée épicés ou mon « mix grill », un mélange de viandes grillées variées, avait été ma porte d’entrée pour explorer la cuisine des Balkans, dès mes premiers pas en Croatie. Faute d’aller vers lui lors d’un nouveau voyage, il devait venir à moi et je pouvais même devenir actrice de la situation.

J’ai pu assister à diverses reprises en 20 ans à ce rituel de la fin de l’été et du début de l’automne que constitue la préparation du ajvar (par dizaines de kilos pour les réserves annuelles). Dans les campagnes de Croatie centrale, de Slavonie, de Serbie, de Macédoine, les femmes (et plus rarement les hommes) s’affairent et se répartissent chaque tâche pour être plus efficaces, d’autant qu’il faut éplucher, cuire, peler, hacher, faire chauffer et mélanger jusqu’à 100 ou 200 kg d’aubergines et de poivrons dans la journée!

Ce n’est pas compliqué, mais c’est long, voire fastidieux, dans la mesure où l’on cuisine du ajvar pour constituer une réserve de conserves/bocaux, afin de prolonger les réjouissances proposées par cet accompagnement, ou ce condiment, en hiver, quand les légumes du potager sont plus rares à cause du climat continental rude. J’en gardais des images, la mémoire de gestes, de saveurs, à la fois lointaines et proches.

En gourmande inconditionnelle et vadrouilleuse curieuse, je me suis transformée en quelque sorte en fraudeuse des douanes. J’ai dès mes vacances en Croatie en 1995 puis en Serbie et en Macédoine, ramené dans mes bagages un peu de mes voyages, prolongés à travers quelques pots de ajvar. A mes risques et périls.

En réalité, avant les tractations avec l’Union européenne pour assouplir la circulation et les formalités à partir de 2007, sortir du pays avec de telles marchandises n’était pas autorisé par les douanes serbes ou macédoniennes (pas plus d’un ou deux bocaux). Pourquoi donc? je l’ignore encore. Pourquoi priver les voyageurs d’un tel trésor? Mais mon statut de touriste venue d’Europe de l’ouest et assez naïve, facilitait le passage des frontières dans les Balkans, en cas de contrôle poussé ou de fouille des valises.

Avec l’expérience,  malgré les avertissements de mes amis, je rusais en ne cachant même plus les pots sous les bagages, au risque de donner envie de tout ouvrir pour débusquer au passage mes bouteilles de rakija, tout aussi interdites et achetées ça et là, dans les monastères ou à des marchands sur les bords de route ou vendant leurs modestes productions devant les maisons.

Malins, les vendeurs n’étaient jamais très loin de l’alambic, où on dégustait ce tord-boyaux comme un rituel de bienvenue. J’invoquais que j’avais voulu ramener un souvenir de Serbie ou de FYROM, en esquissant un sourire (pas moins d’une douzaine de pots, faisant de moi une vraie trafiquante 😉 ) et le douanier perplexe mais compréhensif renonçait à me mettre à l’amende pour mon infraction et mon excès de gourmandise, avant de passer au véhicule suivant … Les frontières, à une époque, c’était un voyage à part entière, riche en enseignements qui est de l’ordre du souvenir aujourd’hui quand on voit à quel point le passage a été facilité pour les ressortissants européens.


Pindjur et ajvar fait maison ; le plaisir des choses simples


Dans les circonstances actuelles, faire quelque chose par moi-même malgré les sensations de tangage déstabilisantes, agitant mon cerveau et mon maudite oreille interne par assauts répétés, me procure une certaine fierté, ou du moins un motif de satisfaction. Paradoxalement, « mes vertiges », si éprouvants et tenaces soient-ils, m’ont beaucoup apporté et m’ont enseigné plus que j’aurais pu l’imaginer, quand ils n’étaient qu’une source de souffrance et de désespoir. Ils me changent, à leur manière. Préparer mon premier ajvar, c’est apprendre à transformer ce qui est pénible ou frustrant en élément positif. Y travailler jour après jour et essayer de dominer mon impatience ou mes nombreuses phases de découragements lors d’une énième rechute et d’un retour persistant des vertiges après un espoir de stabilisation. J’ai en un sens exploré ce que je n’osais pas forcément faire, en découvrant les plaisirs de la cuisine pour revivre des émotions épicuriens et une foule de souvenirs de voyage composites …

S’attaquer aux étapes de la réalisation du ajvar exclusivement aux poivrons et du pindjur, sa variation macédonienne avec des aubergines et des poivrons, relève ici de l’expérience intime. Lors de mes séjours dans tous les pays d’ex Yougoslavie, j’ai déjà dégusté nombre de spécialités de cette cuisine généreuse que j’aime tant, et dans l’assiette,  j’éprouvais la richesse de la simplicité des habitudes locales, le respect du rythme des saisons et des produits (souvent bio) issus de la terre nourricière et de grande qualité, la convivialité des préparatifs et le sens de l’hospitalité. Toujours un verre de rakiija (une eau de vie de caractère) en guise d’apéritif pour inaugurer un repas où j’étais considérée comme une invitée exceptionnelle, voire comme une amie ou un membre de la famille. Derrière les fourneaux, j’ai (presque) l’impression de retrouver et d’expérimenter les Balkans sans bouger de chez soi. Une alternative finalement réjouissante aussi avec ce voyage par procuration, même si elle ne remplace pas le plaisir du voyage bien réel. Le plaisir en définitive de réaliser des choses toutes simples pour revenir à l’essentiel et cela fait du bien.

ajvar fait maison

Quel est donc le verdict pour ce ajvar fait maison qui devait me faire oublier que je n’ai pu me réapprovisionner depuis trop longtemps en ajvar artisanal ou même en version industrielle, faute de trouver près de chez moi une épicerie de produits des Balkans? J’ai débuté par le pindjur, faute d’avoir assez de poivrons. Le plaisir de le cuisiner a fait oublier que l’aubergine l’emportait trop sur le poivron, mais l’essai était convenable en dépit d’une consistance un peu trop épaisse, me semble-t-il. Tout le monde a aimé, c’est tout ce qui compte.

Après le lavage et l’épépinage des poivrons et des aubergines, leur cuisson pendant 40 min et l’épluchage des légumes encore chauds, il suffit de hacher tous les ingrédients (ail, persil, aubergines, poivrons) et de laisser poser la mixture avant de la faire cuire à feu doux à moyen avec de l’huile d’olive et surtout de la touiller en continu.

Preparation du pindjur

Mon étape préférée : mélanger sans arrêt pendant 30 ou 40 min la préparation lors de la cuisson

cuisson du pindjur fait maison ajvar avec poivrons et aubergines

L’essai 2, le ajvar des puristes, celui de mes premiers voyages en Croatie dont je trouvais l ‘odeur aussi délicieuse que la texture et le goût…. Certes, il n’exhale pas ces saveurs si puissantes des poivrons de là-bas qu’on ne trouve pas ici, mais le goût commence à s’en rapprocher un peu malgré ma main trop lourde avec l’ail …. D’emblée le flot des souvenirs agit encore dans l’attente des futurs à construire. Je fais des erreurs, mais qu’importe, j’apprends… Vivement le 3ème essai pour faire encore mieux…

Mon premier ajvar fait maison

Sandrine Monllor (Fuchinran)

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