La série Chernobyl produite par HBO est l’une des séries phares de l’année 2019. Si elle marque à ce point les esprits, c’est avant tout en raison de la méconnaissance d’un sujet tragique et passionnant : l’accident nucléaire du réacteur IV de Tchernobyl en Ukraine. 5 heures durant, on y découvre la manière dont fut traitée la catastrophe sur le terrain dans une urgence terrifiante, ponctuée de lâchetés, mauvaises décisions, sacrifices et actes héroïques. Une série au réalisme frappant, servie par la réalisation de qualité de Craig Mazin et des acteurs plus que convaincants.
Rien ne vaut la vie réelle pour fournir la trame des meilleures fictions. Chernobyl le confirme. Visiblement, les fans de Game of Thrones au bord du désespoir après la fin de leur série, seraient en quête d’une série de substitution aussi passionnante et addictive. Nombre de sites et spectateurs encouragent à découvrir ce qu’ils jugent être la série du moment : CHERNOBYL et on ne peut que leur donner raison.
HBO propose avec Chernobyl d’explorer en 5 épisodes de 60 min les entrailles du terrible réacteur IV de Tchernobyl et la zone interdite de 30 km autour de Pripyat, la ville dortoir de la centrale et les destins des professionnels, des travailleurs et des civils exposés à la catastrophe.
Les modes passant presque aussi vite que les publications sur internet, la série Chernobyl ne devrait pas longtemps faire parler d’elle, bien qu’elle soit saluée par les critiques et reçoive d’excellentes notes de la part des spectateurs. Et pourtant, la gravité du sujet et l’ambiance mortifère autour d’un fait réel dont on connaît la conclusion, ne garantissait pas un tel succès.
Cette mini série réalisée par Craig Mazin a au moins le mérite de la rigueur historique et de la démarche quasi didactique pour raconter étape par étape l’accident du réacteur IV de Tchernobyl ce 26 avril 1986 à 1h25 et les conséquences sanitaires, techniques, environnementales et politiques, qui menaceront pendant des mois (et bien plus) l’humanité toute entière. On approche aussi les conséquences humaines à travers l’histoire de certains héros ordinaires, assez oubliés, sans qui l’Europe aurait pu être dévastée. Elle conjugue à merveille l’acuité d’un documentaire exigeant et la dramaturgie d’une fiction. Plus de 30 ans après cet accident, beaucoup de jeunes semblent découvrir ce que fut Tchernobyl.
Chernobyl, une mini série bouleversante et riche en enseignements sur la pire catastrophe nucléaire civile
Pour certains, Tchernobyl résonne comme un vague et lointain souvenir d’un accident nucléaire civil survenu en URSS en avril 1986, sans qu’on mesure toujours aujourd’hui et moins encore dans les premiers temps, l’ampleur et les conséquences de la catastrophe. A Pripyat et dans la zone interdite définie peu à peu comme inhabitable en raison de son taux de contamination. C’est le terrain défini par le scénario. Du reste de l’Ukraine, de la capitale Kiev située à peine à 1h de Tchernobyl et de la Biélorussie voisine, principalement touchées dès les premières heures, on ne saura rien – et c’est regrettable.
Du reste du monde, on ne saura rien ; pas même une immersion des « ennemis » à la tête desquels les USA qui obtiennent des clichés de la centrale dès le lendemain du drame. On saura encore moins du traitement médiatique à l’intérieur du pays ou ailleurs. Inutile de rappeler que la France, puissance nucléaire notable, inventa le mensonge d’un nuage capable de s’arrêter aux frontières de l’Allemagne en raison d’un anticyclone.
L’aspect médiatique est totalement éludé. Il ne manque pas forcément, mais il aurait pu enrichir d’une nouvelle dimension et d’un regard très révélateur de l’ampleur d’un mensonge finalement mondial. La série Chernobyl a le grand mérite de raviver ces souvenirs pour mieux révéler des vérités et événements insoupçonnés par le plus grand nombre et les rendre aisément compréhensibles ou du moins accessibles.
Reconnaître la vérité et ne pas se contenter des histoires qui racontent ce que les lâches veulent entendre pour se rassurer…
« Combien nous coûtent les mensonges? Ce n’est pas tant qu’on puisse les confondre avec la vérité. Le véritable danger, c’est qu’à force d’en entendre, nous ne soyons plus du tout en mesure de reconnaître la vérité? Alors que pouvons-nous faire? Quel autre choix avons-nous que d’abandonner tout espoir de vérité et de nous contenter à la place de belles histoires… […]. Il n’y avait rien de normal à Tchernobyl, tout, y compris les actes héroïques était insensé ».
Tout est dit dès les premiers mots prononcés par Valery Legasov (ou Valeri Legassov) dans son testament. Valeri Legasov, éminent scientifique soviétique spécialiste en physique nucléaire, est membre de l’Institut Kurchatov, principal centre de recherche et de développement de l’industrie nucléaire pour la Russie. C’est à ce titre qu’il est appelé à siéger lors d’une réunion gouvernementale spéciale ordonnée en hâte suite à l’annonce d’un accident dans la centrale de Tchernobyl. Il sera donc un observateur, un acteur, mais jamais vraiment un décisionnaire, tout en étant l’orientateur capital dans la gestion, puis le rapporteur de la catastrophe auprès de la communauté internationale. Le précieux témoin que fut l’ingénieur Legasov ne s’y trompe pas et son regard de scientifique est essentiel à la compréhension de l’ensemble des implications de la catastrophe sur le plan humain, environnemental et politique.
Immersion glaçante dans la catastrophe de Tchernobyl
Glaçant, terrifiant, horrifique, sidérant, effarant, époustouflant, stupéfiant, bouleversant, épouvantable, éprouvant. Les qualificatifs ne manquent pas pour décrire les émotions qu’inspire la découverte de l’histoire de la catastrophe par beaucoup de spectateurs. Il faut dire que 33 ans après, un certain oubli et une méconnaissance autour de la Bataille de Tchernobyl contribuent à renforcer la dimension mémorielle et cette impression de découvrir vraiment ce qui s’est joué en Ukraine en ce jour de la pire catastrophe nucléaire du monde avant que Fukushima vienne raviver les pires souvenirs et en créer de nouveaux.
D’emblée, on est plongé dans le drame avec un déroulé chronologique scrupuleux et on croirait presque le vivre ou du moins être emporté dans un événement irrespirable, comme si on était soi-même témoin ou acteur malgré soi. Le premier épisode est captivant et contribue pour beaucoup à l’engouement quand on aborde les premiers effets sur les intervenants immédiats comme les pompiers venus éteindre un simple incendie dans une centrale, sans avoir conscience de l’exposition à la radioactivité qui allait les dévaster et les tuer un à un dans d’horribles souffrances.
Passées les premières heures, l’évolution durant les jours, et les semaines suivants fonctionne sur un rythme plus méthodique, à l’échelle de la gravité des conséquences de la diffusion de la radioactivité dans l’air, les terres, à travers les eaux. Par étape, on observe les actions déterminantes, un peu comme dans le film documentaire La Bataille de Tchernobyl, dont s’est beaucoup inspiré le réalisateur jusque dans la répartition du temps consacré à chaque combat et épreuve. Puis à partir du milieu du 4ème épisode, le traitement des conséquences deviendrait en un sens presque distancé et plus superficiel pour certains événements.
Peut-être est-ce un effet d’habituation ? Comme si l’exposition à l’enfer rendait presque l’enfer plus supportable, moins éprouvant et donc normal. Banal. Tout devient normal pour ces hommes transformés en robots humains chargés d’éliminer le graphite sur le toit de la centrale, dans la mesure où aucune technologie de l’époque ne supporte les irradiations et les robots deviennent fous ou se détruisent.
Les hommes, au moins, résistent au pire et nul se demande combien de temps il leur restera à vivre après avoir passé 90 secondes exposés à plus de 10 000 röntgen. On a beau suivre plusieurs personnages, l’identification ne fonctionne plus sur les ressorts si efficaces qui ont pu être exploités par la magnifique l’histoire d’amour du couple Ignatenko, qui à mon sens reste décisive, vu qu’il incarne une forme de quintessence de la tragédie.
Une oeuvre très documentée, fondée sur des sources de référence
La série Chernobyl de HBO synthétise plusieurs documentaires comme L’heure H histoire d’une catastrophe, traitant de l’heure précédant l’explosion et des instants suivants et l’excellent film (le meilleur probablement), La bataille de Tchernobyl, qui raconte les efforts faits pour résoudre les conséquences et rend hommage aux héros quotidiens capables de se sacrifier pendant des mois pour sauver le monde.
Les passionnés du sujet repenseront immédiatement à La minute de vérité : Tchernobyl et au docu fiction Chernobyl Nuclear Surviving Disaster de la BBC qui s’appuie sur le testament posthume de Valery Legasov et adopte son regard critique. Les connaisseurs se rappelleront de Severe days Tchernobyl, chronique des jours terribles de Vladimir Schevchenko (7 min effroyables). Probablement le plus bouleversant puisque tourné en direct juste après la catastrophe, ce qui valut à son réalisateur la mort dans d’horribles souffrances… Mais pour lui, seul comptait le devoir de témoigner de ce qu’il voyait et pouvait filmer, non sans difficulté.
C’est assez déstabilisant de ne pas savoir à quel objet on a affaire, car on sent bien qu’on n’est pas face à un nouveau docu fiction, mais en même temps, les contenus sont très proches des meilleurs sur le sujet. D’où l’impression d’excellente documentation; car la série reprend vraiment chaque étape de façon détaillée et elle est très intéressante pour restituer la lâcheté des pouvoirs face à cette tragédie et tous les sacrifices qu’elle a générés … On est aussi plongé dans le calvaire de certaines victimes qu’ont pu aborder des films comme Tchernobyl, la mort programmée, Le sacrifice, La Supplication et La vie contaminée, vivre avec Tchernobyl…
Chernobyl reste sobre, d’une justesse exceptionnelle, malgré quelques petites longueurs. L’obsession de l’authenticité des faits et des émotions des témoins et acteurs se ressent de bout en bout. Rien n’est jamais surjoué, y compris quand le choix du réalisateur consiste à montrer certains effets dévastateurs de la catastrophe sur les hommes. Chernobyl est fidèle autant que possible par rapport aux films et images d’archives explorées et la série répond de son mieux aux principales questions que la catastrophe a soulevées chez le spectateur néophyte, même si plusieurs demeurent légitimement en suspens.
On voit en détails et gros plan les visages et chairs déchiquetés, les corps en décomposition dans un hôpital de Moscou où ont été admises les premières victimes d’irradiations. A juste titre, la réalisation privilégie les oubliés, les innocents que le régime soviétique a livrés à l’enfer atomique sciemment, tantôt en misant sur le silence et l’ignorance, tantôt en conscience et sans pitié grâce à des lâchetés ou des menaces. Le récit des souffrances physiques et psychologiques des témoins et acteurs est saisissant.
Si le scénario privilégie les scènes dignes des champs de bataille des films de guerre, Chernobyl s’oriente aussi vers l’enquête scientifique quasi policière, et vers la chronique judiciaire et politique, sans renoncer à un zeste d’amour.
Dans les entrailles de la centrale et de la zone interdite pour mieux comprendre le cauchemar
Le rythme très lent et pesant, les musiques lancinantes s’avèrent redoutablement efficaces pour entretenir l’atmosphère asphyxiante de la centrale puis de la Zone d’exclusion, soumise à l’exode. Alors que l’urgence initiale avait généré une dispersion des actions et un chaos reproduit avec précision, la prise en charge officielle de la liquidation installe des rituels, des automatismes, des actes banals dont on oublierait presque que chaque instant passé à les exécuter retire de l’espérance de vie.
Le traitement de la catastrophe est implacable, objectivé, suffocant, par moment, et d’autant plus insoutenable qu’il n’y a aucune volonté de surenchère ou de tentation du recours au gore, même quand le destin de certains personnages ayant vraiment existé pourrait donner une impression d’une histoire quelque peu romancée pour susciter encore plus d’émotions chez le spectateur.
La précision des scènes durant lesquelles les pompiers essaient de juguler l’incendie et les ouvriers de la centrale tentent de sauver leurs collègues dans un centrale totalement éventrée, est saisissante. On n’assiste pas à l’implosion du réacteur, mais on en recompose toutes les étapes comme un puzzle à partir de toutes les actions y contribuant. Les cadrages sont d’une précision chirurgicale.
La musique lugubre et les bruitages criants de réalisme comme les crépitements des ondes radioactives ou les claquements de tuyaux, contribuent à accentuer l’oppression des personnages, instaurer et entretenir un climat de dévastation et d’apocalypse. Les sirènes des camions de pompiers concurrencent les alarmes de la centrale, quand on est encore dans le flou et la panique des premiers instants suivant l’explosion du réacteur, puis des notes de crépitement et des notes plus subtiles mais non moins anxiogènes, entretiennent la violence du climat pollué par la radioactivité. S’impose vite cette brutalité silencieuse qui accompagne l’ennemi invisible.
La minutie dans la reconstitution de la centrale et de la ville de Pripyat et la restitution des décors est bluffante. L’immersion spatio-temporelle est totale grâce à une reproduction fidèle des lieux, des vêtements, des immeubles, des objets du quotidien, s’appuyant sur des documents, films et photos d’époque. La qualité des images nous rappelle bien les gros moyens de la série et le recours aux meilleurs technologies numériques pour recomposer quasiment à l’identique les lieux.
On se croirait revenu dans l’URSS de 1986 grâce à une foule de détails, depuis les bâtiments jusqu’à leurs intérieurs et surtout les véhicules qui sont parfaitement conformes à ceux de l’époque, aussi bien pour les véhicules civils, des officiels ou des militaires. La bande sonore est presque hypnotique. En revanche, l’atmosphère de désolation de Pripiat aurait pu être encore mieux explorée à travers des scènes plus poussées que celles de paysages d’apocalypse dans une ville abandonnée.
Mais l’horreur de l’ennemi invisible est de loin ce qui fonctionne le mieux sur le spectateur, saisi par une forme de sentiment de contemplation, comparable à celui des témoins, avant que le réveil brutal ne plonge définitivement dans un tourbillon incessant de drames. L’atmosphère est glaçante. On perçoit jusqu’à la poussière radioactive chargée de matériaux hautement toxiques et des particules contaminantes de cesium 137, strontium 90 et autre plutonium et mercure, qui chargent l’atmosphère déjà irrespirable au point qu’elle en deviendrait même un acteur à part entière. Un fantôme qui s’infiltre dans l’organisme et hante les corps, plus encore que les esprits finalement assez ignorants.
On est à des années lumières d’un film soviétique très vieillissant, comme Raspad, la désintégration (1991), dont le mérite fut d’être l’un des premiers à aborder la catastrophe au cinéma et de présenter justement tout l’arrière-plan, la mentalité et les réactions des habitants (bien au-delà de Pripyat), ce qui est justement l’un de mes bémols à propos de Chernobyl, la mini série.
La réalisation de Craig Mazin, scénariste connu pour avoir participé à l’écriture du scénario de Very Bad Trip, est soignée, efficace et relativement classique. L’équipe britannique a fait le choix de tourner la série en anglais avec des acteurs anglophones et sans essayer de mal imiter l’accent russe. C’est un parti pris pour conforter la crédibilité des acteurs et ce n’est pas foncièrement gênant. Cette mini série est richement et très bien documentée, et d’autant plus sérieuse sur le fond, qu’elle condense des sources scientifiques et historiques de références et des témoignages de survivants contribuant à apporter une dimension dramaturgique encore plus émouvante.
La mini série de HBO Chernobyl ne recourt jamais au sensationnalisme facile pour capter l’attention. Elle réussit le tour de force de conjuguer les témoignages et destins de personnages ayant réellement existé sans tentation de romancer et le décryptage des points de vue, des approches très différents, afin de donner à chaque aspect politique, technique et social, une place équilibrée.
Certes, les personnalités et choix de Valery Legasov, physicien nucléaire chargé de l’enquête et Boris Shcherbina, y sont pour beaucoup. Leur parcours mettra en lumière les manigances des politiciens au plus haut niveau à Moscou, mais on imagine qu’au niveau local, en Ukraine, ce ne fut pas différent. Boris Shcherbina, politicien au passé trouble, probablement corrompu, ancien ministre de la construction pétrolière et gazière, est à l’époque vice premier ministre de l’URSS sous l’ère Gorbatchev. La liquidation lui est confiée sur le plan pratique et politique, mais ce n’est pas pour autant qu’il dispose de pouvoirs d’actions étendus.
Seul le personnage de la spécialiste biélorusse du nucléaire, Ulyana Khomiak, incarné par Emily Watson est fictif et n’aurait probablement pas pu exister. L’oeuvre évite le piège facile du parti pris trop orienté et moraliste.
Boris Shcherbina se révèle l’un des personnages les plus instructifs et pas seulement, parce qu’il incarne l' »apparatchik profane ». Son évolution et son approche des problèmes, au fur et à mesure de l’avancement de la gestion de la catastrophe, traduisent l’ambivalence de sa situation et sa tentative pour concilier les mensonges nécessaires pour progresser et la vérité indispensable pour avancer.
Craig Mazin prend le parti de faire de Legasov et Shcherbina des sortes de héros vertueux, dont les décisions sont aussi guidées par une forme de sensibilité par rapport aux liquidateurs. Probablement, les vrais Shcherbina et Legasov sont-ils moins courageux, moins nobles et moins moraux que leur portrait fictionnel.
Dans les faits, par rapport à leur rôle, on est assez éloigné de la Blitzkrieg, qui semblerait s’amorcer dès le 2ème épisode. La liquidation répondait aux décisions des autorités pour « restaurer au plus vite les conditions d’environnement permettant la remise en service de la centrale ». Dans une URSS, où l’électricité était devenue une sorte de religion d’Etat, il fallait éviter que le moindre doute émerge sur les usines nucléaires et la technologie atomique soviétique, dans la population. Il fallait traiter et respecter des instructions, qui allaient dans le sens de la remise en route des autres réacteurs.
Legasov l’exprime clairement « Au terme de tous ces rapports, après que nous eûmes expliqué la situation et la façon dont nous la comprenions nous-mêmes, on prit les principales mesures qui allaient déterminer la chronologie des opérations pendant toute la période suivante, le volume des travaux ainsi que leur coordination avec tous les services et les entreprises de notre pays. On mit sur pied un groupe opérationnel sous la direction de N.I. Ryjhkov, et il fut pris contact, pour ainsi dire, avec l’industrie soviétique toute entière. La Commission gouvernementale devint dès lors un rouage administratif dans cet immense travail de salut public qui se fit sous la direction du groupe opérationnel du Politburo du Comité central ».
En gros, il fallait arrêter la « catastrophe » au niveau du réacteur IV, définir le vrai niveau de menace, s’occuper des premiers secours et de l’envoi des blessés trop touchés par les retombées radioactives vers Moscou, puis faire en sorte de relancer l’exploitation des autres réacteurs aussi rapidement que possible.
Les vrais Shcherbina et Legasov n’ont pas de mal à adhérer à ces impératifs au vu de leur parcours professionnel. Et a posteriori, des sources prouvent que leurs positions étaient en parfaite adéquation avec celles du pouvoir central et ils n’étaient donc pas les héros positifs que dépeint la fiction. Ils ne le sont pas devenus davantage, car la réalité et le pragmatisme nécessaire lors de la catastrophe venait se confronter à leurs utopies et à une forme de démesure par rapport au pouvoir donné à l’énergie atomique dans le modèle soviétique.
Schcherbina avait conscience que sa position et sa carrière étaient grandement favorisés par le développement du parc nucléaire, même au-delà du raisonnable. Sa mission était de mettre la pression pour l’intendance assure les objectifs! Il fallait construire, produire.
Le « vrai » Legasov était l’un des premiers à considérer qu’il ne fallait pas trop recourir au principe de précaution. Il avait longtemps martelé qu’il n’y avait rien de plus sûr et de plus économique et compétitif que l’énergie nucléaire. Mais surtout, plusieurs écrits confirment son souci de ne pas trop dépenser pour la sécurité, au nom de la réduction et la minimalisation du risque global, seuls critères retenus par les spécialistes en sécurité nucléaire, alors que selon lui il fallait accepter le risque du moment que la qualité de vie des Soviétiques s’en trouverait améliorée.
Un casting réussi
La série Chernobyl bénéficie d’un casting d’acteurs expérimentés, principalement britanniques et nordiques, comme Jared Harris, Emily Watson et Stellan Skarsgård. D’autres pour moi inconnus s’avèrent probablement les acteurs les plus efficaces et empathiques. A commencer par l’actrice et chanteuse irlandaise Jessie Buckley, qui incarne Lyudmila Ignatenko, femme d’un pompier mort deux semaines après l’intervention sur l’incendie.
Jessie Buckley crève l’écran et reste pour moi la révélation de la série. Sa gravité, son inquiétude constante entretiennent le niveau de torture mentale que constitua l’attente, le silence des autorités, leur manque de considération et l’absence totale d’informations données aux familles des premiers exposés, travailleurs de la centrale et pompiers.
Sa sincérité désarmante frappe et trahit l’ignorance de son personnage par rapport à toutes les conséquences de ses actes. Jessie Buckley, extrêmement touchante, reconnaît (et cela se ressent immédiatement) s’être beaucoup imprégnée des témoignages bouleversants récoltés par la journaliste et auteure ukrainienne Svetlana Aleksievitch, qui a publié Voices of Chernobyl et La Supplication, chronique du monde après l’apocalypse, pour donner la parole aux survivants et familles de victimes.
Une histoire d’amour bouleversante
(attention spoilers)
Cet amour inconditionnel entre Vasya et Luda n’est pas seulement admirable. Il dévoile la cruauté de cette phase de latence, qui laisserait penser que les malades vont mieux et pourraient même s’en sortir. Or, la latence (d’un à deux jours) annonce le pire ; une illusoire sensation d’amélioration avant une violente dégradation de l’état et des souffrances abominables rendant les victimes méconnaissables.
On assiste à cette destruction de l’intérieur et pourtant si visible à l’extérieur, avec ce sentiment que la justice aurait du permettre que l’agonie soit brève. Les hurlements, les vomissements et diarrhées, les ulcérations rougeâtres et noirâtres, les lambeaux de peaux se détachant des membres, les organes entrant en décomposition et lâchant les uns après les autres, les convulsions à chaque nouvelle douleur. Rien ne nous est épargné et c’est peut-être cette partie de la série, grâce à une histoire aussi incarnée, qui m’a paru la plus insoutenable et horrifique en terme d’effets.
L’espoir ne serait-il finalement pas pire que les mensonges des « sachants » (ici le personnel de l’hôpital 6 de Moscou en l’occurrence) ou leur tentative pour livrer une vérité, alors qu’il faut éviter toute panique et agir face aux grands blessés mourants avec des précautions dérisoires? Lyudmyla s’est battue pour revoir son mari, elle reste présente, envers et contre tout pour le veiller jusqu’à l’ultime instant ou presque. « C’est mon mari », supplie-t-elle auprès d’une infirmière compatissante, qui lui ordonne de quitter l’hôpital … « Plus maintenant, il est parti dans un autre monde ». Au moins, celle-ci plus humaine que la majorité des employés du système, ne profite pas de la situation pour prendre quelques billets en échange de son autorisation pour que Lyudmila voie son mari.
Ignorant toutes les consignes de sécurité et consciente que Vasily va mourir de façon imminente, Lyudmila, pourtant enceinte, veut veiller sur son époux jusqu’à l’insoutenable et c’est grâce à un mensonge auprès du médecin avec qui elle discute qu’elle parvient à voir son mari… Par son courage, son obstination, son espérance naïve ou son inconscience, elle devient l’une des rares figures capables de désobéir aux ordres pour précisément faire son devoir d’épouse. Tandis que beaucoup d’hommes auraient souhaité s’extraire de la situation, elle lutte pour rester au plus près.
L’introduction de cette dimension sentimentale donne un souffle romanesque et tendrait même à faire oublier que des tas d’autres victimes n’ont pas eu la chance d’être accompagnées et ont vécu l’isolement, la solitude, l’empoisonnement irréversible du sang et la décomposition de leur corps. On est tenu en haleine par chaque geste, comme le simple effleurement de la main de Vasya Ignatenko quand il est déjà au plus mal.
L’histoire de ces personnages se nourrit d’une foule de petits détails tirés des témoignages de Luda et c’est ce qui la rend si essentielle. On a beau être conscient de ce qui va se produire, on ne peut s’empêcher d’espérer qu’un miracle puisse sauver le foetus et donner à Lyudmila la chance de garder auprès d’elle une petite part de son mari. La véritable Lyudmila prétend dans son témoignage à Svetlana Aleksievitch n’avoir jamais su, ni imaginé que l’exposition auprès de son mari était un risque pour l’enfant qu’elle portait. On est tenté de la croire.
La suprématie soviétique assurée par le nucléaire ne pouvait se faire qu’au prix d’un silence sur les risques des armes et l’usage ici civil du nucléaire se devait d’être rassurant et facteur d’épanouissement et de progrès. Lyudmila raconte à quel point elle et son mari étaient fiers de leur bel appartement confortable et spacieux près de la station des pompiers avec vue sur la centrale à quelques kilomètres. 4 ans après leur rencontre, leur mariage inaugurait une nouvelle vie pleine de promesses et apparaissait comme une ascension sociale possible grâce à Tchernobyl. La conviction des risques d’une attaque étrangère, américaine, toujours imminente habitait la majorité des esprits, initiés à la géopolitique ou pas et cette hypothèse était bien plus dangereuse que les dangers réels des moyens de dissuasion.
Si comme moi, vous avez aimé Chernobyl grâce à cette histoire, ne manquez pas de lire au moins La Supplication, où figure son témoignage, mais vous pouvez aussi découvrir l’essentiel de l’histoire de Vasily et Luda Ignatenko.
La série Chernobyl parvient à faire naître à partir d’images extrêmement belles et très travaillées au détail près grâce aux prouesses du numérique, un certain trouble, un sentiment d’horreur face à la dévastation et la désolation que la catastrophe infligera à Pripyat et à son environnement. De l’émotion, elle nous emmène jusqu’à la réflexion sur la gestion politique et technique, sans pour autant aborder le rapport à la nature, au sol, et à la terre qui aurait fourni une matière passionnante pour explorer aussi l’intime et les registres plus humains de la perte, du deuil et de l’exil, incarnés pour l’essentiel par le drame du couple Ignatenko.
Où peut-on voir Chernobyl?
Disponible sur OCS, sur Amazon Prime Video
Ce qui suit n’est pas une critique à proprement parler de la série Chernobyl, mais un mélange de descriptions d’épisodes, de considérations et d’informations plus historiques à propos de la catastrophe.
« Le prix à payer » : entre erreurs, sacrifices, mensonges et poids de l’idéologie
La gravité de l’accident et des conséquences de l’implosion du réacteur IV de Tchernobyl est telle dès les premiers instants que très vite, on ne peut même pas appréhender l’escalade. La course contre la montre s’amorce toujours ambivalente ; à la fois désespérée et chargée d’espoirs que les pires projections ne se confirment pas.
Chaque petit élément presque rassurant est battu en brèche par une nouvelle angoisse, des défis permanents et toujours plus insoutenables. Les dosimètres fonctionnent-ils vraiment, alors qu’ils semblent bloqués à leur maximum mais ne sont prévus que pour des doses raisonnables d’irradiations? Comment obtenir les vraies mesures? Par où commencer pour éviter le pire, tandis que des mauvaises décisions ont déjà été prises avec l’arrosage par les pompiers qui tentaient juste d’éteindre un feu?
Et si l’Europe venait à disparaître ? Cette considération apparaît rapidement avec la perspective de l’explosion totale de la centrale après l’entrée en fusion. Combien de millions de morts Chernobyl porterait-elle dans son sillage? Le scénario catastrophe est peut-être volontairement grossi par la peur dans des moments où le recul est impossible. Quand on sait que Gorbatchev à la tête de l’URSS à l’époque évoquait officiellement 7 morts et quelques dizaines d’irradiés sans autres précisions pour calmer la population de plus en plus inquiète… Ces questions hantent la série et n’éludent pas la recherche des divers responsables qui essaient de se dédouaner avec un niveau ahurissant de lâcheté.
L’enquête, en filigrane, s’annonce passionnante et prend des airs de thriller grâce à détermination d’Ulana Khomyuk, qui fait fi des services secrets pour poursuivre sa quête de vérité. Son personnage, le seul fictif, se veut un hommage à la communauté scientifique qui s’est engagée pendant et après la catastrophe pour la régler et surtout permettre au onde d’en tirer des conséquences.
Chernobyl a tout d’une épopée et une fiction sur cette histoire n’aurait pas été plus sidérante. Le judicieux sous-titre « Le coût des mensonges » renvoie au prix à payer pour liquider la catastrophe ou plutôt circonscrire le plus possible les conséquences de la libération du graphite et de l’atome dans la nature. A combien évalue-t-on ce coût? Le catastrophisme ambiant des experts impuissants se heurte à la surdité des administrateurs dépassés et plus inquiets de leur propre sort et la reconnaissance de leur responsabilité que du drame en cours, ou des pouvoirs de Moscou qui préfèrent faire comme si cet accident serait réglé en quelques semaines grâce à la force du collectif prôné par le communisme.
A sa manière, la tragédie de la centrale Lénine à Tchernobyl Pripiat deviendra une sorte d’incarnation de l’idéal de doctrine et du système communiste soviétique. « Il fallait en réalité « mobiliser » tout le monde et tout le temps. Le socialisme est une guerre de tous les instants contre tous et tout« . L’utopie doit vaincre le réel puisqu’elle est crue « scientifique ». Pour l’ancien ancien dissident soviétique Vladimir Boukovsky, l’URSS « n’est même pas un État dans le sens habituel du mot, mais une base militaire et un centre de subversion universel. Toutes les structures sont organisées en fonction de cet objectif, et le système ne peut exister qu’en état de guerre permanente ». Tchernobyl en deviendra plus qu’une illustration. Ce sera à la fois le fossoyeur et la tombe du soviétisme …
Lutter contre un ennemi invisible sur un territoire de la peur
Rien ne vaut alors les 5 sens pour prendre la mesure de ce prix. Par contraste, on éprouve dans sa chair certains effets sensoriels désarmants, entretenus par les bruitages et crépitements insidieux de radiations, leurs effets visuels dont les témoins ne semblent pas se soucier, leur côté inodore si dangereux, les poussières volatiles que respirent la foule d’observateurs curieux et incrédules devant le réacteur en feu.
On est littéralement désarçonné, puis happé au point d’éprouver une sorte de sensation proche de celles des effets dévastateurs observés. La série porte en elle tous les traceurs de la tragédie humaine, doublée de la déchéance d’un système de pensée et la fin d’une époque historique majeure, durant laquelle la maîtrise de l’atome était une sorte de garantie de pouvoir et de paix par effet de dissuasion.
Un hommage à des héros oubliés : les liquidateurs
Étrangement, le mot de « liquidateurs », retenu pour qualifier les équipes de civils et militaires à qui sont confiés la consolidation et l’assainissement de la centrale et de la Zone interdite, n’est pas souvent évoqué en tant que tel. La décontamination consistait à éviter que la radioactivité se propage et passait par plusieurs étapes successives ou simultanées. Il s’agit pourtant bien d’une tentative de liquidation pour réduire au mieux cet héritage mortifère qui polluera les terres, les eaux et l’air, toutes les végétations, les faunes et les humains pendant des millénaires.
Se révèlent au fil de chaque épisode les tentatives réussies ou avortées de gérer l’atome en fusion dont les résidus se sont diffusés partout dans l’atmosphère. Toutes bénéficient d’un traitement rigoureux et d’un temps suffisant pour qu’on comprenne les enjeux et surtout la chaîne de réactions imprévisibles, qui se met en place et rend la situation toujours instable.
La projection de bore par des hélicoptères est peut-être l’une des scènes les plus connues des premières heures de la liquidation. Cet acide borique est censé réduire la quantité de neutrons qui attaquent l’atome d’uranium en fusion, en les absorbant. Le premier essai raté est tout un symbole du cas de conscience qui se pose instantanément à Legasov et Shcherbina entre la nécessité d’essayer à tout prix cette solution et la mesure du danger auquel les militaires sont exposés, en s’approchant à 10 mètres à peine de l’ancienne cheminée pour larguer en vain les sacs de bore contenant un mélange de sable, de glaise et de dolomite. A chaque survol, ils reçoivent une dose quasi mortelle de radiations et certains en feront plusieurs par jour. Chernobyl s’avère didactique et éducative sur les questions techniques.
« Dans toute victoire, il y a toujours un tribut à payer »
Entre 500 000 et un million d’hommes selon les sources furent « réquisitionnés » pour traiter la catastrophe, consolider le site et l’assainir et garantir la zone d’exclusion de Tchernobyl Pripriat. La mobilisation entre mai et novembre est digne d’une guerre, bien plus que d’une bataille. Les liquidateurs furent donc si nombreux à intervenir qu’on pouvait difficilement extraire un personnage pour vivre en empathie avec ses états d’âme et cas de conscience.
Pourtant, la série fait ce choix et relève très bien le défi à travers le personnage du jeune Pavel. Comme beaucoup de recrutés de tous âges venus pallier le manque de militaires et professionnels susceptibles de faire face à l’ampleur de la catastrophe, Pavel est l’un de ces liquidateurs, plongés dans l’enfer sans même avoir son mot à dire. Il faut faire son boulot. Ni plus ni moins. Et la récompense de la vodka à volonté et d’une prime viendra apporter une consolation.
Ces dizaines ou centaines de milliers d’hommes, sont appelés à d’agir sur un terrain dont ils ne savent rien et sur lequel on ne leur explique rien ou si peu, en dehors du sommaire contenu de leurs tâches. Inutile de leur expliquer le danger en détails, ils ne sont pas compétents pour comprendre. Et surtout, tout est prégnant et l’atmosphère est si lourde et empoisonnée par les irradiations et les substances illusoires projetées pour les contenir, que les mots ne serviraient à rien.
Pour certains historiens, Tchernobyl fut la dernière grande oeuvre collective du communisme avant son effondrement et elle y participa par le prix humain et économique à payer. On ne peut pas nier que chez les liquidateurs et ouvriers travaillant à la décontamination, l’honneur de l’URSS communiste pèse énormément sur les consciences et agit comme un puissant moteur pour agir, au mépris de tous les dangers. A la fin de l’épisode 2, le discours tenu par Shcherbina à des ouvriers de la centrale, est tout un symbole de cette conscience de la souffrance liée à la sauvegarde du communisme. Du conditionnement mental découle un principe d’obéissance aveugle. Seules les figures féminines osent résister aux ordres ou désobéir, tandis que les hommes sont des exécutants sans valeur propre.
Legasov s’efforce dans un premier temps d’imposer ses points de vue non sans mal face à un bureaucrate peu ouvert à l’échange. Si Legasov incarne sans surprise le parti de la vérité scientifique, le parcours de Shcherbina est bien plus intéressant, puisque cet homme défaillant et en apparence buté va être amené progressivement à remettre en question ses convictions de communiste bureaucratique pour évoluer vers un artisan de la bataille, responsable et courageux. Ces deux acteurs majeurs, chargés de trouver les solutions pour gérer la catastrophe, permettent de mettre au jour les mensonges et les lâchetés des bureaucrates et révèlent en filigrane tout ce que le système communiste vise à cacher ou à sacrifier pour que jamais la vérité des événements soit réellement établie.
Demander à Gorbatchev « l’autorisation de tuer trois hommes » apparaît presque comme absurde, quand on observe la gestion de la catastrophe dans son ensemble. Tandis que Legasov propose en vain une rente annuelle de 400 roubles pour convaincre des ouvriers volontaires de nager dans l’eau contaminée sous le réacteur en feu pour une tentative quasi désespérée de sauvegarde afin d’éviter une explosion de toute la centrale, Shcherbina comprend que l’exaltation des valeurs patriotiques sera la seule manière d’obtenir un sacrifice. Il rappelle aux hommes effrayés qui ne veulent pas mourir pour prendre ce risque qu’il faut « le faire parce que ça doit être fait et parce que des millions d’hommes vont mourir ».
« C’est ce qui a toujours fait de nous un peuple à part, des milliers d’années de sacrifices coulent dans nos veines et chaque génération doit endurer son lot de souffrance »… « Je vomis ceux qui ont fait ça, je maudis le prix que je dois payer, mais je vais accepter mon sort, comme vous allez accepter le vôtre en allant ouvrir cette vanne car ça doit être fait« . Ces trois hommes savent qu’ils ne survivront peut-être pas après leur acte héroïque. Ils acceptent leur sort, sans se plaindre et réalisent l’impossible pour le bien de l’humanité. Sans une telle imprégnation idéologique, auraient-ils agi de la sorte? Pouvaient-ils finalement refuser? Certains essaient, mais comprennent vite que le système soviétique dans sa brutalité n’a que faire du prix à payer. Il y a bien plus en jeu.
Comme à la guerre, on exécute les ordres et on accepte de mourir et de tuer…
Que peut-on faire quand il semble évident que rien n’est réellement envisageable pour éviter le pire? A l’instar des ouragans et tempêtes, Katia, Mina, Masha sont les doux noms donnés par les physiciens nucléaire pour identifier les zones les plus critiques et exposées aux plus fortes doses de radioactivité. Si Katia et Nina concentrent à peine 1000 à 2000 röntgen (1er et deuxième étage du réacteur) et entraîneraient la mort des hommes dès 1 à 3h d’exposition, Masha est le coeur incandescent. 120000 röntgen. Autant dire qu’une exposition de 1 minute 30 retire déjà la moitié l’espérance de vie. Au-delà, elle est même fatale. Humaniser le réacteur fait-il partie de la stratégie de guerre pour mieux l’affronter? La guerre d’Afghanistan est toujours en cours et les ennemis à abattre y sont identifiés, les opérations doivent mener à des victoires et les soldats savent à quoi on les mesure. A Tchernobyl, tout est différent et plus compliqué pour ces hommes, habitués aux combats classiques, bombardements ou destructions, et a fortiori pour les réservistes totalement ignorants.
Entre l’exposition aux rayons gamma, au graphite et autres qui détruisent tout ce avec quoi ils sont en contact y compris les substances et matériaux les plus résistants, et les particules qui s’immiscent partout, Chernobyl est une guerre permanente, qui le restera longtemps après le travail des équipes de travailleurs. Sur ces terrains de combats divers, les hommes n’ont pas à penser, ni juger. Ils sont là pour obéir, se taire et exécuter, même si la mort est au bout du chemin.
L’ennemi a beau être invisible et encore plus dangereux, il n’en laisse pas moins de profondes cicatrices chez tous ceux qui s’y confrontent, sans rien en connaître. Contrairement aux physiciens nucléaires qui ont conscience des possibles conséquences, les liquidateurs sont soumis et agissent par devoir pour l’honneur de l’URSS. Chacun est un exécutant docile dans un système déjà implacable au préalable mais encore plus brutal durant cette phase de la liquidation.
La série Chernobyl n’oublie pas à plusieurs reprises de traiter l’aspect moral et de mentionner que les hommes envoyés à Tchernobyl pour liquider la catastrophe n’ont pas été pris en charge après leurs interventions, au moins pour se faire soigner ou pour être indemnisés à la hauteur de la dangerosité de leur travail. Au mieux devaient-ils presque se satisfaire de pouvoir boire de la vodka gratuitement pour mieux oublier l’atrocité de la situation et manger deux bons repas par jour. Une concession indispensable pour qu’ils soient capables dans de telles conditions dérisoires de sécurité, de réaliser leurs tâches et d’oublier leur misérable solde. Ils ne toucheront aucune pension d’invalidité ou de retraite, venue compenser un peu l’altération permanente de leur état de santé, les dégâts sur le système immunitaire, les anomalies chromosomiques, les affections chroniques douloureuses et les nécessaires soins réguliers exigés. Il leur faudra attendre une loi de 1993 pour se voir reconnaître les statuts d’invalidité les plus élevés, justifiant qu’ils soient logés et aidés financièrement (pour une minorité). Sauf que les subventions n’ont cessé de baisser !
Servir l’Union Soviétique ; une chimère pour faire oublier les promesses non tenues?
La foi dans les valeurs humaines prônées par le socialisme agit puissamment. Seule la fierté d’avoir agi en bon communiste pour servir l’Union soviétique, est censée avoir motivé les liquidateurs et être assez forte pour faire oublier les soldes misérables, loin d’être à la hauteur des annonces. Mais en réalité, ils n’avaient ni la possibilité de faire autrement, ni de solution pour s’opposer aux décisions du système et réclamer de meilleures conditions. Y en avait-il même d’autres plus pertinentes, alors que le petit comité piloté par Legasov et Shcherbina s’efforçait en définitive d’affronter de son mieux l’urgence de chaque nouveau défi susceptible d’aggraver la catastrophe, sans avoir les marges de manoeuvre de la part du pouvoir politique pour réellement prendre les décisions, ni rendre des comptes systématiques?
A l’armée des malheureux, incarnée par les pompiers et les premiers intervenants suite à l’explosion, succède l’armée des sacrifiés, envoyés en conscience au plus près de l’atome et exposés aux nuages toxiques. Tous sont utilisés comme de la chair à canon et le nombre de volontaires ou d’engagés contraints de tous âges et de toutes conditions, semble illimité.
Est-ce une sorte de suicide collectif dont le coût économique contribua d’ailleurs à précipiter la chute de l’URSS? La démonstration d’une armée de combattants « stakhanovistes » envoyés pour un sauvetage impossible et portés par une conviction de devoir agir au nom de l’Union soviétique? A moins que ces éboueurs du nucléaire, ne soient qu’une armée de pelles et de balais, des hommes simplement convaincus que sans leur sacrifice, des millions de morts auraient pu survenir. Ou des hommes plus prosaïquement pauvres et convaincus par des promesses de politiciens qui leur ont fait miroiter des décorations, des primes exceptionnelles et des rentes à vie, et des logements confortables qui garantiraient un avenir meilleur à leurs proches ?
Aucun n’aura été reconnu réellement pour ses actes héroïques en dehors des médailles données aux hauts gradés. Les promesses n’auront jamais été tenues ; l’URSS étant dépassée par le coût des actions à entreprendre. Aucun suivi médical ou épidémiologique n’aura garanti leur vie après les opérations de décontamination. Pis encore, on ne précise pas que la plupart des biorobots ont été obligés de payer avec leur solde les éléments dont ils auront eu besoin pour fabriquer leur tenue de protection. Même si cela s’avère un cas de conscience pour Legasov, jamais il ne sera question d’obliger le système à assumer les conséquences sur tous ces sacrifiés ordinaires.
Les gueules noires de la mine de Nikouline près de Toula, appelées sur le terrain pour creuser un tunnel sous la centrale dans des conditions improbables, sont les seuls à défier un peu l’ordre et narguer le bureaucrate qui leur annonce leur futur départ sans oser fournir la moindre explication. A l’issue d’une tentative de rébellion pour justifier leurs demandes d’aération du tunnel alors qu’il fait plus de 50° et que les poussières irradiées sont asphyxiantes, les mineurs représentés par un chef de caractère, parviennent à imposer leurs solutions, puisque de toute façon, personne ne serait capable de les remplacer. Ils mettront un mois en travaillant nuit et jour pour réaliser le tunnel de 170 mètres, où sera déposé un coussin de béton.
La mission consistait à éviter que le magma en fusion ne gagne et contamine les nappes phréatiques à partir de l’affluent de la rivière Pripiat qui rejoint le Dniepr et alimente une grande partie de l’Ukraine en eau potable. Autant dire qu’eux aussi ont joué un rôle déterminant pour contenir la contamination et prémunir les habitants, menacés bien au-delà de la zone d’exclusion.
On observe les soldats chargés de surveiller les accès à la zone et les check points; ceux versés à la gestion des morts trop irradiés pour ne pas être enterrés sous des tonnes de zinc. Il est difficile de comprendre comment fonctionne la hiérarchie des rôles des différents intervenants. L’intérêt porté sur les liquidateurs de la Zone chargés d’évacuer les populations de gré ou de force et d’éliminer tous les animaux porteurs de forts taux de radioactivité, est instructif. Or, j’aurais aimé que la vie sur le camp improvisé pour tous ces liquidateurs soit révélée avec plus de détails à travers des scènes certes banales et peu spectaculaires, mais non mois édifiantes.
Car il y a eu une véritable « vie » teintée d’Absurde. Une vie presque comme si de rien était, ponctuée de spectacles, d’animations pour occuper les hommes lors de leurs temps de repos. L’évocation plus longue de la cohabitation entre des hommes très différents, des rituels de décontamination permanents, pourtant illusoires, et l’organisation de la vie et de l’animation dans cette zone d’intervention, auraient éclairé mieux encore le cadre.
On aurait pu découvrir comment s’effectuait la prise des repas, l’ambiance dans les vestiaires et les douches dont les conditions de salubrité s’avéraient plus que limites. Sans oublier le point de vue médical, à travers l’impuissance des rares médecins présents pour soigner les hommes trop contaminés. Et bien sûr, on aurait retrouvé cette manie très soviétique de jouer des concerts de musique classique et des danses et chants patriotiques pour aider les personnels à mieux supporter leurs épreuves.
Tuerie de masse des animaux de la zone d’exclusion de Tchernobyl, un tabou révélé
Par chance, le civil envoyé comme liquidateur, Pavel rencontre en son colocataire de tente, une sorte de protecteur, qui va lui éviter les pires travaux au plus près de la Centrale. Mais est-ce pour autant une chance? L’épisode 4 lève le voile de façon précise sur une phase méconnue de la liquidation : la tentative d’extermination des animaux de la zone d’exclusion par des escadrons de militaires et civils. Celle-ci, d’ailleurs, n’a pas manqué de susciter la polémique chez les défenseurs des animaux, choqués de voir le traitement réservé aux animaux domestiques abandonnés par les habitants de Pripyat et de la zone, puisqu’ils n’avaient eu le droit de rien emporter avec eux lors de l’évacuation.
L’effet de banalisation opère mieux encore que lors d’autres scènes. Les animaux sauvages ou domestiques, le bétail, les multiples chiens et chats errants, seront éliminés autant que possible pour éviter toutes sources aggravantes de contamination. Tuer n’est pas une « honte », affirme un des liquidateurs : c’est une nécessité pour la survie ». La peur habite le tueur et le change à jamais. On n’apprend pas à tuer. On doit juste tirer sur une cible sans problème de conscience, quand le bonheur de l’humanité tout entière en dépend.
Malgré leurs efforts, les liquidateurs n’ont pu éliminer tous les animaux, enfouis sous des tonnes de plomb. Aujourd’hui encore, on croise plusieurs centaines de chiens errants à Tchernobyl, descendants des chiens abandonnés par les habitants, lors de l’évacuation. Ils ont retrouvé leurs repères près des habitations et dans la ville de Pripyat, ont survécu en se nourrissant des aliments abandonnés, des poules et autres proies faciles d’accès et charognes, puis en s’entretuant. Les défenseurs de la cause animale dont l’association Clean Futures Fund interviennent dans la zone pour les nourrir et les soigner et les scientifiques étudient leur évolution biologique.
La nature a horreur du vide…
De même, les animaux sauvages, loups, par centaines, lynx pourtant menacés de disparition ailleurs, sangliers, chevreuils, biches et cerfs, ont repris leurs marques dans la forêt brune, la transformant en réserve naturelle inédite. Il n’est pas rare que des troupes de chevaux cavalent dans ces espaces. Les meutes de loups dominent la hiérarchie animalière et chaque meute s’accapare son territoire et au crépuscule, leurs hurlements déchirent le silence de la Zone. Les oiseaux, les poissons, les petits rongeurs, ont repeuplé la zone, qui reste évidemment hautement contaminée, en dépit d’une légère baisse observée sur les animaux contrôlés par les scientifiques.
Comme en témoigne le très bon reportage Tchernobyl, une histoire naturelle, la nature, – faune et flore de toutes espèces -, affiche une incroyable capacité de régénération et révèle une histoire silencieuse et passionnante, qui défie les connaissances des experts de la radioactivité. Mais à l’époque où furent décidées ces exécutions, l’objectif était de limiter les risques de transmission de la radioactivité entre les espèces.
« Les 90 secondes les plus importantes de votre vie » et une médaille en récompense
Les Biorobots, ces « robots biologiques », ne bénéficient pas de l’exposition la plus pertinente à mon sens, surtout au vu de ce que fut leur mission glaçante. On comprend bien que les Soviétiques ont tenté d’utiliser des robots et technologies pour intervenir au plus près du coeur du réacteur, la zone « Macha » contenant plus de 12 000 röntgen. Mais on comprend surtout qu’ils n’avaient jamais imaginé les conséquences possibles d’incidents, donc ils ne disposent d’aucune solution et la solidarité mondiale n’existe pas dans un monde bipolaire, donc il n’est pas question de demander de l’aide. Surtout pas aux USA à qui cela reviendrait à confesser sa faiblesse.
Libérer le toit du réacteur, du graphite qui empêchait la réalisation du sarcophage de protection est suicidaire pour les liquidateurs. Nous sommes en octobre et les liquidateurs subissent la pression des autorités qui utilisent l’impatience du peuple pour justifier leurs ordres de missions de plus en plus dangereuses. C’est du moins l’argument évoqué pour obliger ces hommes à se dévouer pour achever le processus de stabilisation, qui permettra de construire le sarcophage.
La série n’apporte pas forcément beaucoup aux documents d’archives sur ces liquidateurs qui ont été confrontés à une dangerosité sans équivalent. Cependant, elle les reproduit quasiment à l’identique des films et images proposés par Igor Kostine ou Vladimir Shevchenko et c’est en soi un travail déjà admirable.
Les consignes données par le Colonel aux hommes, soldats ou réservistes, permettent de comprendre qu’à ce moment là de la tragédie, le commandant en chef de la liquidation s’est contenté d’expliquer, tel qu’il l’aurait fait à ses soldats, ce que les biorobots allaient devoir faire, parce que personne d’autre qu’eux ne le pouvait. Transformer des hommes en robot, une évidence spontanée?
Les 4 minutes qui leur sont dédiées sont terrifiantes. Les regards exorbités sous les masques, les hommes vêtus de tenues protectrices dérisoires, les crépitements affolés des dosimètres au contact des radiations, entretiennent l’impression de toucher à l’enfer sur terre. Le spectateur est lui-même terrassé par la peur que s’interdit d’éprouver le liquidateur, alors qu’il prend conscience de sa tâche. La remise d’une médaille de héros de Tchernobyl et de 800 roubles ne les empêchera pas de mourir dans l’oubli, quelques semaines, mois ou années, après leurs actes de sauvetage.
Archives ayant servi à documenter Chernobyl
Liquidateurs sur le toit filmés au moment de leur travail
Peu importent les pertes humaines, les effets de ces tâches insupportables moralement et physiquement pour des jeunes hommes transportés par bus entiers pour « liquider » la catastrophe et aider à évacuer la zone de tous ses occupants (animaux compris). Au risque parfois de perdre la raison face aux horreurs qui se succèdent à chaque seconde, alors que le goût de métal dans la bouche, les vomissements et la peau noircie rappellent l’épreuve subie par les corps. Certains se rappellent encore de la guerre d’Afghanistan qui leur paraissait être un enfer quelques temps plus tôt. Mais l’Afghanistan à côté de Tchernobyl était presque une promenade de santé..
A l’issue de la liquidation, ces hommes, malades, irradiés sévèrement, n’ont plus trouvé de travail, ont subi la misère de leur sort. Tchernobyl ne les a pas tous tués, mais le gouvernement soviétique puis post-soviétique a tenté de les achever.. Une mort lente dans l’oubli.
Tchernobyl : Le discours officiel de Mikhaïl Gorbatchev relayé en France pour évoquer les premiers morts | Archive INA
Le nombre officiel des victimes de Tchernobyl reste toujours à ce jour de 31.
Culture et prix du mensonge et des secrets
Ici la série Chernobyl deviendrait presque un essai quasi philosophique sur la vérité et la justice. Quel est le coût de la vérité? Les questionnements soulevés par Legasov et Ulana Khomyuk, l’enquêtrice fictive, acceptés non sans mal par Shcherbina, niés par les politicards et bureaucrates de cette URSS déjà en voie de déliquescence ne se contentent pas de pointer les failles de ce système soviétique qui broie les hommes pour sauver les apparences. Faut-il privilégier la vérité la plus insoutenable pour être en accord avec sa conscience ou cautionner un système dont le seul objectif est de se préserver voire de se sauver?
Quel est le coût des mensonges?
La mécanique judiciaire décrypte toutes les présumées valeurs des préceptes léninistes censés garantir la justice au nom des intérêts vitaux du peuple soviétique, de ses espoirs et de ses aspirations, qui guident les décisions du Parti suprême. Cette dimension tient un place non négligeable, à la hauteur de la portée des mensonges des politiques pour réduire les effets de la catastrophe de la centrale de Tchernobyl parmi les amis « alliés » de l’URSS.
Comme un symbole, le procès se retourne contre les témoins venus confirmer la responsabilité des « méchants ». La condamnation à 10 ans de goulag des principaux responsables de l’accident sanctionne une reconnaissance a minima, pour ne pas trop pointer les défaillances du système. Viktor Brioukhanov, ancien directeur de la centrale, son ingénieur en chef, Nikolaï Fomine, et le chef opérateur du test Anatoli Diatlov échappent à la peine de mort et poursuivront pour certains leur vie presque comme si de rien était. Tous jusqu’au bout considéreront ne pas se sentir responsables ni coupables de la catastrophe.
Pourtant, le procès basé à 20 km à peine de la centrale, démontre scrupuleusement à quel point la chaîne de mauvaises décisions, aboutissant à l’accident, part d’un manque de respect de consignes fondamentales de déroulement d’un tel test et de respect des contraintes exigées pour garantir l’optimisation des ressources.
Le manque de formation des personnels à qui on demande d’effectuer un test déjà plusieurs fois tenté en vain, sans prendre le temps de les informer sur la procédure n’est qu’un des aspects choquants inhérents à cette volonté du système soviétique de montrer à tout prix sa suprématie au reste du monde. Mais il ne révèle pas que les erreurs humaines, il éclaire les défauts de conception sur lesquels les hommes n’auraient rien pu faire. Le procès condamnera officiellement Brioukhanov, Fomine et Diatlov, au nom d’une « gestion criminelle d’une activité potentiellement explosive » et Diatlov sortira du camp de travail forcé 5 ans après. Justice avait été rendue pour les hommes du pouvoir soviétique, chargés de juger.. Pour eux, l’important était que tout revienne à la normale, sans se soucier du coût. Du moins pas du coût humain.
Errare humanum est, perseverare diabolicum
Chaque apparition du personnage de Diatlov le rend plus antipathique et détestable ; ses actes auraient probablement pour beaucoup justifié la mort. Sa morgue, son cynisme confinent au dégoût. Jusqu’au bout, Diatlov reste sûrement le personnage le plus imbuvable, même si la lâcheté de Brioukhanov et Fomine ne les rendent pas plus supportables.
L’acteur Paul Ritter le campe avec une crédibilité exemplaire, qui confère à son arrogance et son mépris naturels encore plus de force. Certes, l’ambition de postuler pour devenir ingénieur en chef pourrait servir d’argument à son comportement. Mais hélas, ce n’est qu’une explication partielle pour justifier ses choix et ne pas assumer son rôle. Il ignore sciemment les consignes concernant le modèle RBMK instable à basse puissance ou lors d’un essai d’îlotage.
Présent pour superviser ce test dont il force les conditions de réalisation, il voulait peut-être rentrer dans une bataille personnelle avec l’atome, après avoir perdu son fils des suites d’une leucémie imputable aux irradiations, des années auparavant. Il voulait surtout défier le système bureaucratique obséquieux et des décisions qu’il considérait avec sa morgue habituelle comme pénalisantes et arbitraires, surtout si elles émanaient de politicards. Par sa nature conflictuelle et son entêtement face à un réacteur instable dont il estimait qu’il était mal conçu, Diatlov a précipité la série de dysfonctionnements du réacteur.
Il était plus pratique de faire porter le chapeau à l’équipe plus inexpérimentée officiant cette nuit et principalement aux jeunes acteurs, Leonid Toptunov, 26 ans, fraîchement diplômé et au contremaître de nuit Alexandre Akimov. Tous étaient déjà morts, donc ils ne pouvaient livrer leur version lors du procès, même si Compte tenu de leur niveau hiérarchique, ces ingénieurs s’avérèrent incapables de s’opposer durablement et de refuser d’appliquer les ordres de Diatlov. Ils sont morts dans les semaines suivant l’accident dans d’atroces souffrances après avoir tenté en vain de limiter la catastrophe par plusieurs actions de pompage.
Comme en témoigne la série, ils ont toujours nié avoir pris les décisions fatidiques et leur statut de mourant ne peut justifier leur position. C’était la vérité. Mais cela compte-t-elle vraiment, alors que tant d’autres dans le monde ont préféré ignorer, ne pas voir, ne pas vouloir comprendre et ont préféré croire que Tchernobyl n’était en définitive qu’un accident?
« Errare humanum est, perseverare diabolicum » « L’erreur est humaine , mais persévérer dans son erreur est diabolique ». La locution prêtée à Sénèque s’applique à double titre ici.
Ironiquement, Diatlov n’avait pas tous les torts, même si son attitude et son caractère prêtent à le maudire pour avoir entraîné autant de morts dans le sillage de son . Il était peut-être conscient des défaillances dans la conception du réacteur, dont il a prouvé les limites par les conséquences de ses erreurs.
Grâce à Legassov et la communauté de scientifiques courageux, qui ont agi pour établir la vérité sur les causes de la catastrophe, l’Union Soviétique a pu corriger ces réacteurs pour éviter qu’un tel accident se reproduise. Mais qu’a-t-il fallu pour contraindre le Parti à accepter ces améliorations du RBMK, qui l’obligeraient à reconnaître ses mensonges en faisant porter l’explosion de la centrale Lenine à Tchernobyl sur de simples erreurs humaines et à admettre qu’il n’y avait pas de suprématie soviétique en matière de nucléaire.
Quel est le prix de la vérité?
Comme le rappelle à juste titre la série Chernobyl, ce procès sanctionnera encore plus brutalement la tentative de Legassov de faire émerger la vérité, après avoir été obligé de mentir lors de la conférence mondiale de Vienne sur ordres du KGB et du Parti. Sa voix restera objective et critique comme se doit de l’être un bon scientifique, ce qui est la preuve d’un grand courage dans un Etat soviétique, où l’on n’hésite pas à faire disparaître les voix dissonantes ou les personnes qui ne se soumettent pas aux ordres du pouvoir.
Sous constante surveillance des oreilles et des yeux du système, il le sera dès le premier appel, où on lui intime l’ordre de se joindre à la réunion exceptionnelle pour évoquer ce qui n’est alors qu’un incident d’ampleur inconnue. Le KGB veille à ce que les interrogations dérangeantes n’émergent pas. D’ailleurs, l’oppression du système est si évidente que la seule présence angoissante et la surveillance redoutable de ces agents, suffisent à instiller dans les esprits une peur encore plus profonde que celle générée par le nucléaire. Certes, la matière atomique a confronté à un défi insensé relevé avec bravoure, mais elle autorisait le combat et les solutions déployées étaient autant d’armes possibles.
Pendant la gestion entre avril et novembre 1986, l’urgence permet de prendre des initiatives. Bonnes ou mauvaises, ces décisions sont le fruit d’une réflexion intensive de scientifiques, qui ont été amenés à tutoyer les limites de la connaissance face aux conséquences d’une technique ayant échappé à l’homme, du fait d’une erreur humaine.
Certains ont osé exprimer des vérités refusées par le système et l’ont payé au prix fort (en prison, au goulag, dans un placard sans la moindre possibilité que leur voix soit entendue, par la mort, et de pseudos suicides). Mais quand viendra l’heure du bilan et du procès des responsables de l’accident de Tchernobyl, on comprend à quel point il est bien plus difficile de se battre contre un pouvoir politique et un système de pensée aussi implacable que le communisme (y compris à l’approche de sa chute). Le soviétisme anéantit toute possibilité de combat. Fût-ce au nom de la vérité.
Legasov tentera en vain de dénoncer les mensonges couverts malgré lui, même s’il aura l’impression constante de ne pas avoir su bien gérer la catastrophe de Tchernobyl. D’ailleurs, incapable de supporter la pression, les défaillances, les conséquences de certains choix et la publication officielle du rapport un an après le jour d’anniversaire de l’accident, il s’est donné la mort par pendaison et c’est ce qui sert de scène d’ouverture à la série Chernobyl. Il avait participé à une conférence internationale de l’EIEA à Vienne en août 1986, où il avait décrit les événements de Tchernobyl, et tenté de justifié de la manière la plus juste les choix de gestion.
A ceci près que dans le rapport officiel émis par le Parti communiste et les officiels, les conclusions seront parcellaires et erronées et des éléments déterminants volontairement passés sous silence pour ne pas atteindre à la puissance de l’URSS dans le monde. En dépit de l’empathie naturelle envers les sacrifiés, je reste heurtée aujourd’hui par ce que révèle Tchernobyl sur les scientifiques lanceurs d’alertes, qui ont tenté de faire connaître leur vérité, en défiant (sans y parvenir) le système pour l’obliger à moderniser les réacteurs.
Petits regrets et limites de la mini série Chernobyl de HBO
Néanmoins, l’une des limites de la série Chernobyl reste selon moi son format de mini série réduite à 5 épisodes … La mini série est à la mode et son format pratique, mais elle a réduit le potentiel de dramatisation autour de témoins plus nombreux et dont j’aurais aimé suivre les états d’âme et cas de conscience. 6 à 8 épisodes auraient pu donner des éclairages et détails plus essentiels qu’on le croirait. Il manque un décryptage historique approfondi des modes de vie, des mentalités, au-delà des événements, à l’instar de ce qui avait pu être proposé dans une série comme Rome.
Il aurait été tellement intéressant de suivre plus en profondeur d’autres personnages associés directement ou indirectement au destin de Tchernobyl. Une attention plus grande portée à la vie de tous les jours et aux cadres de vie des liquidateurs, aurait été bienvenue. On aurait peut-être vu des scènes aussi improbables qu’un spectacle de danseurs et chanteurs folkloriques venus de Kiev pour distraire les soldats et réservistes lors du 1er ou du 9 mai!
En cela, je pense à la fiction sous forme de mini série ukrainienne Мотыльки Motylki, Tchernobyl Inseparable, réalisée par Vitaly Vorobyo, qui aborde aussi le travail des liquidateurs de l’extrême en faisant la part belle à une histoire d’amour. Mais la description de l’état d’esprit des gens, qu’ils agissent au coeur de la catastrophe ou évoluent aux alentours, s’avère intéressante. Certes, Motylki Chernobyl Inseparable a bien des défauts, des incohérentes et des inexactitudes préjudiciables à la compréhension de la catastrophe. On pourrait plutôt y voir une bluette utilisant l’arrière-plan de Tchernobyl comme contexte et prétexte.
La série de 3h10 en 4 épisodes souffre de nombreuses longueurs, mais sur le plan des décors, elle est sûrement encore plus proche visuellement de ce qu’était Pripyat et sa population, ses habitudes et sa façon de penser, plus crue et pragmatique. En terme de mentalités et de gestion humaine, Motylki reflète la propagande soviétique, mais évoque des éléments très intéressants qui sont survolés ou ignorés dans Chernobyl par HBO ; comme le traitement des habitants « contaminés » qui ne peuvent donc pas quitter la zone, le vol des produits de valeur abandonnés dans la hâte et dont les habitants des alentours tentent de profiter.
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Un manque de dimension historique sociale et d’histoire des mentalités
J’aurais aimé aussi que les scénaristes fassent de la ville de Pripiat un acteur encore plus fort et un personnage à part entière. Il manque cet aperçu préalable de la « ville modèle » de l’architecture soviétique que représente Pripiat. Car Pripiat et ses quelques 50 000 habitants était l’archétype de cette ville nouvelle rationalisée née dans les années 1970, quand les Soviétiques semblent persuadés que leur industrie nucléaire et leur arsenal militaire nucléaire confortent l’équilibre de la terreur et leur suprématie en la matière. Si à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’avance technologique américaine était incontestable, durant les années 50 et 60, les Soviétiques ont rattrapé leur retard et tout fait pour dépasser les USA (ou le croire), sans se soucier des conditions sanitaires et environnementales.
A partir des années 70, les villes modèles comme Pripiat servent la propagande. A l’époque Pripiat comptait 20 000 habitants et son développement constant confirmait à quel point le nucléaire avait ouvert la voie à de nouvelles perspectives également économiques que sociales. Qu’importent les incidents et graves accidents sur des réacteurs de grande puissance à tubes de force (RBMK) comme celui de la centrale de Tchernobyl. Le grave accident survenu au complexe de la centrale de Maiak en 1957 classé au niveau 6 à l’échelle INES, avait été maintenu secret défense par le régime soviétique et les révélations tardives au milieu des années 70 de la part du scientifique russe dissident Jaurès Medvedev, ne sauraient écorner l’atome.
Chernobyl la série évite le piège de focaliser sur le réacteur IV qui a libéré l’atome en fusion; mais par moment au fil des épisodes, on oublie à quel point Pripiat est bel et bien un des acteurs principaux dans la tragédie et pas simplement un théâtre où se déroulent des événements terribles après l’implosion et un territoire d’exode. En effet, Pripiat bénéficie d’un certain niveau d’équipements, de confort, de services, d’aménagements et d’habitations et un niveau de salaire plus important que la moyenne, garantissait une sorte d’image idéale d’une société soviétique puissante et soucieuse du bien-être de ses travailleurs. On vivait bien à Pripiat et on savait qu’on devait tout à l’atome, ce qui faisait finalement vite oublier toutes les notions de risques ou dangers. Les habitants se savaient « privilégiés ».
Pripiat était considérée par certains comme « la plus belle ville d’Ukraine », non pas au sens de sa beauté, mais de son environnement harmonieux. Le parc d’attractions qu’il était prévu d’inaugurer le 1er Mai lors de la fête du Travail, n’est que le symbole de ces privilèges. A Pripiat, il y avait des cinémas, théâtres, des espaces verts bien entretenus, des écoles bien équipées, des manifestations fréquentes pour distraire la population. Les loisirs venaient logiquement récompenser les familles de ces ouvriers capables de contribuer à l’électrification de toute l’URSS et au prestige de la puissance nucléaire soviétique. On discerne très bien ce statut privilégié, mais il n’est pas creusé par les scénaristes et je n’aurais pas trouvé superflu de travailler cette matière pour amorcer une petite leçon d’histoire sociale.
Le choix du respect chronologique et l’immersion très rapide dans l’incident décisif lors du test de l’équipe de nuit ne permettent pas de développer le niveau et le rythme de vie à Pripiat avant la catastrophe, ni ce de comprendre comment tout est organisé et fonctionne. L’apparente insouciance des habitants, lors des premières heures, se justifie par la conscience d’un bien-être enviable, dans une URSS qui n’allait pourtant plus très bien. Ils s’étonnent un peu de voir des chars et des hommes masqués et vêtus d’étranges tenues, mais pas forcément au point de s’en inquiéter. Les mères promènent leurs bébés dans les landeaux, sans que quiconque ne les invite à rentrer, sous peine de créer le doute et la panique.
Certes, on nous présente Pripiat à travers ses curieux qui se précipitent pour observer le désastre, sans réaliser ce dont ils sont les témoins. Mais on ne comprend pas en quoi ce que Pripiat, par son fonctionnement, révèle de l’organisation et des convictions de l’Union soviétique. Tout le monde ou presque est lié de près ou de loin à la Centrale et chacun vivant de son activité à travers un parent, un enfant, les habitants conservent servilité et confiance dans le système, car ils ont accès à presque tout ce dont ils ont besoin : médecins, hôpitaux, crèches, écoles, parcs et jardins, piscines, etc…
Évacuations, désorganisations et exode ; des éléments trop survolés
La série a un peu trop survolé la phase d’évacuation (300 000 personnes au moins!), en ne montrant pas assez à mon sens la désorganisation totale qu’a engendrée la catastrophe chez les policiers, les fonctionnaires et autres militaires de Pripyat. L’accent est tellement mis sur les pompiers et un peu sur les soignants de l’hôpital débordé par des cas d’urgences absolue, qu’on ne cerne pas tous les autres domaines.
Chernobyl de HBO a insisté sur l’apparente normalité pour les habitants, avant que tous soient amenés sans comprendre trop comment à tout quitter pour revenir peut-être d’ici quelques jours. On sait qu’ils ne reviendront jamais, mais il fallait bien mentir pour convaincre les habitants de renoncer ainsi à tous leurs biens et accepter d’être transférés ailleurs. Peut-être même hors d’Ukraine.
Ce que Chernobyl aurait pu montrer, c’était la difficulté pratique qui expliqua pourquoi l’évacuation de Pripiat n’eut lieu que 36 heures après la catastrophe. On serait tenté de croire que le Parti n’avait pas pris toute la mesure et c’est vrai, mais des aspects plus concrets sont intervenus, ralentissant la possibilité d’intervention. Le réseau de transports publics n’était pas des plus développés en dehors des capitales comme Kiev et il fallut un délai évident pour mobiliser assez de bus et des conducteurs, forcés à accepter cette tâche, qui risquait de les condamner à court terme.
Kiev est restée momentanément privée d’un grand nombre de bus, ce qui ne pouvait que créer la suspicion. Le fait même d’avoir amené ces bus dans la zone d’exclusion supposait qu’ils rempliraient les terrains d’épaves, de décombres, tenues, masques et véhicules irradiés, ayant été utilisés lors de la liquidation. Nul ne pourrait dire s’il était possible de faire mieux, à moins de préjuger, mais il n’y aura aucune vérité possible en la matière. En cela, la vision de Legasov suggérant l’évacuation de Pripiat exprime une logique humaniste doublée d’une conscience scientifique sur les effets des irradiations, mais pas forcément une approche pragmatique et concrète sur les modes de réalisation.
De mon point de vue, la série n’aborde pas suffisamment l’épreuve de ces autorités locales débordées, ni certains faits sombres comme le passage au test de contamination pour autoriser la sortie de la zone et la gestion de ces populations condamnées à rester. Les scènes dans l’hôpital de Pripiat sont révélatrices de l’absence d’information et de préparation pour faire face à tout accident dans la centrale. Elles allongent la liste des sacrifiés, médecins, infirmières et autres brancardiers sacrifiés pour tenter de venir en aide aux pompiers, qui étaient déjà condamnés.
Tchernobyl Inseparable, la version ukrainienne en hommage aux liquidateurs, a fait la part belle à cette phase, tout en retranscrivant des scènes irréalistes et dépouillées de toute leur gravité. Néanmoins cette mini série s’appesantit davantage sur la complexité de gérer un telle situation d’évacuation massive et d’urgence, sans pouvoir donner d’informations à des habitants abasourdis, puisque les autorités même en sont dépourvues et laissent transparaître une forme d’affolement.
Motylki évoque aussi Kiev, la capitale située à 100 km et menacée d’emblée avec sa population importante, alors que Chernobyl élimine simplement l’évocation des conséquences de la catastrophe sur cette ville. On aurait pu découvrir qu’en URSS, la diffusion à la radio pendant des heures de la musique classique annonçait souvent des événements funestes ou des mauvaises nouvelles. La mort de tous les chefs du Parti Communiste était accompagnée par de la musique classique sur toutes les ondes et pour les habitants, c’était le signe que quelque chose n’allait pas.
Kiev, la grande absente
Dans Chernobyl, on comprend que Moscou avait donné la consigne de ne rien dire à propos de l’explosion dans la centrale jusqu’à ce que les « ennemis » en aient eu confirmation et qu’il soit difficile de cacher plus longtemps l’accident. Mais la série ne suggère rien sur ce signal sonore à portée culturelle dans cette URSS qui depuis les années 60 gérait la peur par la musique, censée adoucir les moeurs, selon la formule, ni sur l’importance de la radio dans la transmission d’informations à travers des choix symboliques. On aurait appris qu’à Kiev, les radios inondaient les ondes de morceaux des grands compositeurs russes en ce funeste samedi de la catastrophe et durant les semaines suivantes (au moins jusqu’au 10 Mai), ce qui avait attiré l’attention des plus vigilants. Au point que certains pensèrent tout d’abord que Gorbatchev était mort, avant d’imaginer que l’accident de Tchernobyl, enfin connu, était probablement plus grave que le laconique premier message télévisé!
Pourtant, malgré le vent très défavorable qui entraînait le nuage radioactif sur la capitale ukrainienne peuplée de 3 millions d’habitants, aucune des manifestations du 1er Mai, fête des travailleurs essentielle dans ce régime soviétique, ne furent annulées. A la demande de Gorbatchev qui fit pression sur le chef local du Parti pour maintenir toutes les festivités, afin de montrer que tout allait bien. Le KGB aurait même modifié les niveaux de radioactivité à Kiev pour justifier le maintien de ces défilés qui impliquaient toutes les générations. Tous ont reçu en un jour jusqu’à la dose acceptable en 5 ans. Il est regrettable que la série n’ait pas insisté davantage sur cette tentative de propagande, qui a mis en danger des millions de personnes, exposées à la radioactivité lors des parades.
Entre propagande et absence d’informations
Il faut bien comprendre que l’URSS verrouillait l’information au maximum pour empêcher que des ondes « courtes » puissent diffuser ce qui était considérée comme la voix des ennemis et donc des « fake news » « fausses informations ». Etats-Unis en premier lieu, mais aussi tout le monde occidental qui fut rapidement informé de la gravité de l’accident et en informa les peuples, avec plus ou moins de justesse. C’était un combat pour l’URSS de faire en sorte que certains ne puissent pas recevoir ces fameuses ondes de courte portée ou qu’elles soient fortement parasitées par des bruits insupportables pour empêcher que les informations complètes parviennent et se diffusent par la rumeur.
La propagande soviétique était telle que les habitants étaient tentés de croire que seule une attaque des ennemis pouvait être à l’origine de l’accident à Tchernobyl et cela est à peine effleuré au début du deuxième épisode. L’ampleur de l’angoisse suscitée dans la population fut bien plus grande que Chernobyl de Hbo le suggère et beaucoup étaient persuadés qu’une attaque américaine avait atteint le territoire soviétique. Les pays « de l’Ouest » en revanche produisaient des informations préventives encourageant le plus souvent à rester confiné chez soi, en n’ouvrant pas les fenêtres, en les protégeant le mieux possible, en lavant tout ce qui avait pu être exposé à l’extérieur et en ne consommant pas toutes sortes de produits frais devenus dangereux à cause de radiations dont l’air était chargé à la suite de l’implosion du réacteur IV.
A mon sens, la série n’a peut-être pas assez expliqué ce contexte et l’usage de la propagande, et la manière dont il a fonctionné pour éviter la panique des populations en Ukraine et Biélorussie. Elle s’est focalisée sur la catastrophe en soi bien plus que l’interprétation qui en a été faite à divers niveaux. Une présentation de ces enjeux aurait pu être instructive. D’où un encouragement à regarder vraiment les deux séries pour avoir un aperçu à la fois pratique (et clinique) et plus sociétal grâce à Motylki et surtout grâce à Raspad. Malgré ses défauts, ce vieux film soviétique montre comment les rumeurs ont pu gagner Kiev et générer la panique.
Les autorités et fonctionnaires à Kiev ont agi pour empêcher les gens de quitter la ville (il n’y avait plus aucun billet de train ou d’avion disponible à moins de graisser beaucoup la patte). Les enfants et adolescents furent obligés de venir à l’école sous peine de se voir automatiquement recalés pour leurs examens, ce qui pouvait avoir une incidence évidente pour leur avenir. Du moins dans l’esprit de leurs parents. Tout a été mis en place pour garantir une apparente normalité, alors que personne était dupe, en dépit de l’absence d’informations officielles, puis de l’effort de minimiser les conséquences de l’accident de Tchernobyl. La ville de Kiev comme celle de Minsk furent totalement verrouillées et devinrent pendant de longues semaines de véritables prisons pour leurs habitants.
Dans l’épisode 4, je déplore que le spectateur, rarement informé en amont, ne dispose pas de plus d’informations pour avoir un aperçu de ce que représentait l’environnement des villages dans la zone interdite. La scène d’ouverture est très réussie. Mais la série se consacre surtout aux traitements de la catastrophe, plutôt que sur une présentation de la vie courante des voisins de la centrale, les ressentis et perceptions qu’ont ces habitants qui ont vécu aux abords de la Centrale sans vraiment en profiter.
Au contraire, l’accident leur a tout pris et la douleur du déracinement et de la destruction de tous les rares possessions, au nom d’un ennemi invisible, inodore, incolore, dont ils ignorent tout des effets, est inconcevable. Il s’agissait de paysans plutôt pauvres et autarciques, qui pour les plus anciens avaient vécu des tragédies visuellement plus concrètes et donc plus compréhensibles, comme la misère durant l’empire du Tsar, la révolution de 1917, l’Holodomor – la grande famine en Ukraine dans les années 30 ou les massacres des nazis pendant la 2ème guerre mondiale. Un certain manque de contextualisation de ces individus ne permet pas de mesurer ce que représente le départ de la Zone pour eux.
L’exode n’est abordé que par bribes et dans sa dimension fonctionnelle. La « Zone » est montrée comme un espace d’exclusion, ce qui suscite un sentiment d’effroi, certes, mais on ne saisit pas tout de ce périmètre qui est en définitive un espace hors du temps et de l’environnement ordinaire. Des habitants qui ont été relogés ailleurs en Ukraine ou en Biélorussie, on ne saura rien. Afin de compléter la série sur ce point par rapport à la zone d’exclusion, je vous renvoie donc au film La Bataille de Tchernobyl qui aborde ce point sommairement.
Le très bon film allemand Pripyat de Nikolaus Geyrhalter raconte aussi le retour d’habitants totalement illégaux, les Samosely, et leur vie quotidienne dans la Zone d’aliénation de la centrale nucléaire de Tchernobyl, même si celle-ci est toujours censée être interdite en dehors des intervenants professionnels et de touristes autorisés à y pénétrer momentanément.
Si vous préférez la fiction, l’émouvant film La Terre Outragée (2011) de Michale Boganim avec Olga Kurylenko, s’avère un très beau témoignage empruntant le chemin des souvenirs chez les exilés. On y comprend la douleur de l’exode et comment il semble impossible pour certains de quitter Tchernobyl. Tout les ramène à la zone à la vie à la mort et les fantômes hantent leur tentative de survie, longtemps après…
Une dimension journalistique oubliée
J’aurais apprécié l’introduction de la dimension médiatique totalement éludée. Elle aurait pu s’opérer à travers un personnage très important dans l’acquisition des témoignages visuels et photographiques, comme Igor Kostine, surnommé l »‘Oeil de Tcherobyl », qui fit partie des rares témoins autorisés partout dans la zone interdite pour filmer et photographier les liquidateurs.
Il fut aussi l’auteur de la seule photo existante, issue d’un survol de la Centrale dès le lendemain de l’accident. La pellicule ne fut pas utilisable, mais cette photo survécut aux radiations. Cela aurait apporté un contre-champ utile, puisque des journalistes courageux se sont aussi sacrifiés pour ramener les images d’archives étudiées par les historiens. Ces journalistes ont obtenu des accréditations non sans mal et Igor Kostine est l’un des seuls à avoir survécu pour témoigner pendant toute sa vie.
Citations édifiantes de son ouvrage Tchernobyl, confession d’un reporter :
Les aléas de mon métier de journaliste m’ayant amené à sonder le mystère qui entoure encore ce drame, il m’apparaît comme étant l’événement fondateur d’une ère nouvelle. Après Tchernobyl, l’humanité commence timidement à se rendre compte que sa volonté de maîtriser la nature et sa quête inextinguible d’énergie nécessaire à une consommation effrénée la rendent plus fragile qu’un funambule.
[…] mais c’est Tchernobyl qui a changé ma vie, qui a fait de moi une autre personne. Aujourd’hui, j’ai beaucoup de mal à vivre avec les autres. Je ne comprends pas ce qui les préoccupe : le salaire, le quotidien, leurs petites affaires sentimentales. A côté du malheur que j’ai vu, ce n’est rien. Cette catastrophe m’a moralement transformé. Elle m’a purifié, nettoyé. Après Tchernobyl, j’étais comme un nouveau-né …
[…] Il faut introduire dans le Code pénal international un nouvel article : « Tous ceux qui ont caché, cachent ou ont l’intention de cacher la vérité sur des catastrophes semblables à celle de Tchernobyl, par analogie avec le procès de Nuremberg, doivent être jugés pour crimes contre l’humanité sans délai de prescription, en les poursuivant partout dans le monde ». Boris Oliïnyk, poète et homme politique ukrainien.
N’oublions pas la lâcheté assez généralisée de la presse au moment de restituer l’accident, mais aussi bien après! Les médias en Europe en 1986 ont rapporté de façon souvent très tronquée les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl et ont obéi à des pouvoirs politiques qui ne voulaient pas plus que les soviétiques propager la peur parmi les habitants. Cette série aurait été un bel hommage à son travail si exceptionnel, réalisé dès les premières heures suivant la catastrophe. Au mépris du danger, avec une perspective autre que celle du traitement de l’urgence, ou de la gestion politique. La Bataille de Tchernobyl compensera ce manque.
Avortements forcés ou motivés par la radiophobie après Tchernobyl?
Dernier regret. Chernobyl ne fait pas assez de place au grand problème de la santé publique chez les femmes enceintes ou fertiles. On devine sans mal le manque de prise en charge sanitaire pour les liquidateurs, mais pour les victimes indirectes, à Pripyat ou bien au-delà, l’aspect sanitaire a été évoqué en quelques secondes à peine. Ces secondes précieuses suggèrent comment la peur des malformations congénitales a poussé des médecins à obliger des femmes enceintes à avorter, sous prétexte que les radiations représentaient un risque trop important pour leur futur enfant.
La « radiophobie », par ignorance ou désinformation, fut une réalité chez certaines personnes, exposées au stress post-traumatique bien après la catastrophe. L’absence de prise en charge psychologique permet de supposer les conséquences et les fragilités générées par l’exode ou la compréhension de ce qui s’est joué sur toutes les terres touchées par les radiations. Kiev et Minsk n’ont pas davantage échappé à cette pression faite dans les hôpitaux pour contenir les risques de dégénérescence et les anomalies sur les enfants à naître. Les femmes auscultées étaient pour certaines forcées à avorter comme le démontre la série Motylki.
Bien sûr, à l’époque, les outils à disposition n’étaient pas assez avancés, pour pouvoir constater s’il y avait des effets des radiations sur les foetus. On ne devrait pas juger les médecins qui ont contribué à cette politique d’avortements par prévention. Mais on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’il convenait de faire? Les chiffres d’avortements dans les semaines suivant la catastrophe de Tchernobyl, rapportés par des historiens, confirment une augmentation très importante en URSS (et dans des pays plus éloignés), sans qu’il soit possible de savoir qui de la mère ou du médecin a vraiment pris la décision au final.
Quand on pense à Tchernobyl, aujourd’hui encore, on a tendance à se représenter les paysages de désolation autour de la centrale, mais plus rarement ce que fut la tristesse, la douleur, de ces femmes qui ont renoncé à l’espoir de porter un enfant. D’ailleurs, le personnage bouleversant de Lyudmila Ignatenko confie dans La Supplication, qu’on lui avait dit qu’elle ne pourrait plus avoir d’enfant, après l’accouchement de sa fille Natashenka, décédée à peine 4 heures après sa naissance d’une cirrhose et d’une malformation cardiaque. Le foetus avait absorbé l’essentiel des particules toxiques par exposition aux irradiations reçues quand sa mère veillait Vassily, alors que Lyudmila ne semblait pas souffrante, malgré les risques insensés pris à l’hôpital 6 de Moscou. L’exposition de son utérus l’aurait rendue infertile, selon plusieurs médecins.
Pourtant, le miracle de la venue d’un petit garçon en parfaite santé, des années après la tragédie intime qu’elle a vécue, a apporté une sorte de démenti aux certitudes médicales et scientifiques. S’il est impossible de faire un bilan des conséquences sanitaires et génétiques, certaines histoires ont pu trouver un semblant de consolation.
Chernobyl, la mini série : un choc et une parabole universelle
La mini série Chernobyl produite par HBO est un véritable choc. Elle plonge les acteurs pris dans l’explosion du réacteur ou sa liquidation, dans une course désespérée contre la montre pour sauver des millions de vies dans une société soviétique gangrenée par la corruption, le mensonge et l’inertie bureaucratique. Non seulement elle dévoile le constat accablant des erreurs d’une poignée de responsables dont on saura que les seuls vrais responsable seront très peu condamnés, mais la série se convertit en parabole sur le courage et la lâcheté. La douleur innommable ronge les corps des combattants, l’atome irradie partout et imprègne à jamais les consciences des survivants.
L’atome a-t-il livré une leçon d’humilité comme le pense Legassov ou une humiliation comme le soutient le major-général Nikolai Tarakanov, commandant des liquidateurs? L’indicible, tout ce qu’on ne peut même pas imaginer surpasse cette interrogation et reste omniprésent dans l’esprit du spectateur une fois que s’achève la série. L’impossible bilan humain, sanitaire, environnemental et économique laisse le spectateur sur la note amère de toutes ces vies sacrifiées ou menacées à l’époque et pendant des dizaines de générations…
Si la Catastrophe de Tchernobyl vous interroge toujours, je vous conseille :
Retrouvez un résumé de la catastrophe de Tchernobyl sur Wikipedia
Pour aller plus loin : Tchernobyl, confessions d’un reporter, exceptionnel témoignage d’Igor Kostine que vous ne trouverez probablement qu’en occasion.
A voir aussi pour mieux comprendre : 1986.04.26 P.S. une série documentaire basée sur des archives décryptées par les acteurs qui ont participé à la bataille pour la décontamination
La Supplication, Tchernobyl, chroniques du monde après l’apocalypse de Svetlana Aleksievitch est un magnifique recueil de témoignages de ces proches de victimes, liquidateurs et morts qui se confient sur leurs souvenirs de la catastrophe et les conséquences sur leur vie depuis…
Pour l’aspect plus historique, je ne peux que vous recommander les ouvrages fort documentés de Galia Ackerman, historienne spécialiste de la période soviétique, qui fut l’une des premières à produire des livres avec une dimension à la fois scientifique, historique, ethnographique et culturelle. Elle est l’une des meilleures spécialistes sur la catastrophe.
Son essai Tchernobyl : retour sur un désastre décrypte comment le système bureaucratique communiste a eu une implication avant, pendant et après la tragédie. Il devrait être complété par les Silences de Tchernobyl dédié à ces oubliés qui doivent vivre dans un monde à jamais contaminé et Traverser Tchernobyl, un livre plus intime sur la vie après Tchernobyl au-delà des images d’Epinal sur les victimes.
Si vous avez aimé la série Chernobyl, mais avez comme moi envie de découvrir aussi les histoires et les ressentis des gens ordinaires qui ont vécu le désastre et en subissent parfois toujours aujourd’hui le traumatisme, le film La Terre Outragée de Michale Boganim s’avère une intéressante porte d’entrée… Entre vision bucolique et nostalgique et tragédies intimes, on emprunte les chemins de la perte, du deuil impossible ou de l’exil… Un exil intérieur, aussi, plus fort peut-être que l’exode imposé par les autorités aux populations de la zone dite d’exclusion, définie dans un périmètre de 30 km autour de la Centrale…
Cette jolie fiction malgré sa construction bancale et quelques longueurs, nous immerge dans la douleur des rescapés … Enfants ou adultes, ils n’ont pas forcément été exposés aux terribles tâches de liquidation et de décontamination comme les liquidateurs, mais ils n’ont pas pour autant réussi à mieux surmonter les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl…
On y découvre au passage Slavutich, la jumelle de Pripiat, cette cité dortoir devenue ville fantôme. Slavutich a été reconstruite presque à l’identique de Pripiat, en mieux encore, pour abriter les travailleurs du nucléaire. On plonge dans la ville de Tchernobyl, à 15 km de la centrale et réhabilitée en partie pour accueillir ceux qui travaillent toujours autour du chantier.
Grâce à des touristes en quête de sensations fortes (il y en a d’ailleurs de plus en plus depuis quelques semaines grâce au succès de Chernobyl), on rencontre aux côtés de l’héroïne Anya, devenue guide, les Samosioly… Ceux qui sont revenus ou ne sont parfois jamais partis malgré la dangerosité de l’air, des terres et des eaux contaminées par les irradiations de l’atome pendant des dizaines de milliers d’années…
En 2016, une autre mini série ukrainienne en hommage aux 30 ans de la catastrophe Après Chernobyl Chornyi Tsvetok de Roman Barabash en 4 épisodes de 49 min (disponible sur Amazon prime) aborde la catastrophe sous l’angle d’une histoire d’amour tragique entre Lera et Vitas, perturbée par la rivalité avec Igor, jeune lieutenant qui ne recule devant rien pour conquérir le coeur de la jeune enseignante. L’explosion de la centrale bouleverse bien des vies et montre comment il a pu être difficile de survivre et de se reconstruire. J’ai apprécié l’éclairage de cette série sur des aspects manquant cruellement à la série de HBO notamment sur la façon de penser et la société soviétique de l’époque.
Le titre international est Chernobyl: Aftermath.
Envie d’aller à Tchernobyl et Pripiat?
Il semblerait que la série Chernobyl ait convaincu de nombreux spectateurs de faire de Pripyat leur prochaine destination de vacances, au point que les demandes d’autorisations d’entrée dans le zone d’exclusion ont afflué depuis sa diffusion. La zone interdite et la centrale sont devenus une sorte de parc d’attraction touristique, où défilent les curieux. Si vous en faîtes partie, vous trouverez des conseils pour choisir votre agence pour votre visite de Tchernobyl afin de garantir les meilleures conditions sanitaires et sécuritaires. Vous pouvez aussi retrouver des témoignages de voyageurs qui partagent leurs impressions après leur visite de Tchernobyl Pripyat :
D’autres vidéos pour comprendre Tchernobyl et décrypter les causes et conséquences
L’histoire d’une catastrophe : Tchernobyl Heure H
La bataille de Tchernobyl, le meilleur film sur la liquidation de la catastrophe
La minute de vérité : Tchernobyl
Tchernobyl, la mort programmée : témoignages de liquidateurs
On lit aussi cet article très instructif Chernobyl : une pseudo fiction perverse écrit par Yves Lenoir, qui donne des éléments explicatifs passionnants pour montrer à quel point l’approche de la mini série reste simpliste.
Bonjour Sandrine… Savais-tu que les russes avaient, eux aussi, réalisé une série sur Tchernobyl ? 2013, deux saisons. A oublier. Elle peut se trouver (en ramant) sur internet. Dans le genre propagande, difficile de faire mieux (ou pire)… Bref… Alerté par les notes exceptionnelles de la version US (c’est quand même un peu ça, non ? Une version occidentale d’un drame majeur…) j’ai fini par céder aux sirènes. Dès les premières images, tu saisis. Réalisation, images, mise en scène, c’est du lourd, c’est du beau, y’a des moyens, on kiffe. Sauf que… Sauf que, il est précisé, au début (mais vraiment ça commence ainsi) que nous sommes tellement entourés de mensonges, à ce point que la vérité va savoir où elle est, et tellement on ne sait plus où elle est qu’il ne reste que des histoires. C’est habile, c’est malin comme intro mais ça me pose un problème… OK, une histoire, je veux bien, mais alors pourquoi ça s’intitule : Tchernobyl ? Ce n’est pas une histoire, Tchernobyl, c’est une réalité, c’est réellement arrivé… Et donc, c’est quoi cette version, avec de belles images, une belle mise en scène (où le russe parle américain), sinon une interprétation de ce qui a pu se passer, donc un autre mensonge (ou une autre vérité – mais pas la Vérité) ?… Voilà pourquoi, en matière de séries, je préfère Six Feet Under, ou Mad Men, ou Breaking Bad, ou Rectify. Au moins là, on me raconte une histoire. Et de haute qualité..
Super série qui fait froid dans le dos, réalisation au top
J’ai dévoré les quatre premiers épisodes .
On connaît les risques théoriques liés à l’atome . Voir les ravages que cela provoque , c’est saisissant .
Les tentatives pour minimiser , cacher … se renvoyer les responsabilités.
Des bureaucrates face à une catastrophe d’une ampleur jamais atteinte à l’époque .
Quand je pense aux manquements ici en Belgique , ça m’inquiète .