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Le photographe de Mauthausen ; film à l’angle original sur le camp de concentration nazi autrichien

le photographe de Mauthausen Paul Riken

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Le film Le photographe de Mauthausen raconte comment des prisonniers espagnols sauvèrent des clichés témoignant des horreurs nazies perpétrées dans le camp de concentration autrichien de Mauthausen. Des preuves capitales pour porter à la connaissance du monde le mode de fonctionnement de cet univers concentrationnaire et les divers types de crimes, qui furent commis par le régime du IIIème Reich.


Le photographe de Mauthausen critique du film de Mar Taragona

Le photographe de Mauthausen (disponible sur Netflix) fait partie de ces oeuvres cinématographiques, à la fois très utiles et salutaires et en partie décevantes, sans être pour autant ratées. Utile, car le film propose une immersion dans un camp de concentration, le KZ de Mauthausen en Autriche près de Linz, en ciblant un espace très spécifique : le service de l’identification du camp de concentration de Mauthausen ou Erkennungsdienst.

Plutôt que de choisir la carrière et les annexes de Güsen, l’optique du film se porte sur l’histoire de prisonniers, qui ont participé au sauvetage et à l’extraction des négatifs précieux, hors des murs prétendument infranchissables du camp. Décevant, car le film montre des aspects signifiants et pas toujours très connus du camp, mais le scénario laisse une impression d’un manque d’analyse du sujet (le rôle de la photographie dans le camp de concentration) et témoigne d’un manque d’ambition face à l’ampleur de la tâche, confirmée jusque dans les choix dans la réalisation.

Inspiré du livre de l’historien Benito Bermejo, Le photographe de Mauthausen. L’histoire de Francisco Boix et des photos dérobées aux SS, le film raconte le parcours de Francesc Boix, un républicain espagnol catalan, exilé en France en 1939, déporté à Mauthausen en 1941. En raison de sa connaissance de la photographie, il travailla au laboratoire de photographie du Erkennungsdienst, sous la relative protection de Paul Riken, qui avait repéré sa maîtrise technique et lui transmit quelques enseignements. A ses côtés, Boix développe, légende les photos, classe les négatifs et est même assistant de Riken dans ses prises de vue, au point que celui-ci en confiance, le laisse prendre ses propres photographies.

le photographe de Mauthausen Francesc Boix Campo

Ce drame historique espagnol réalisé par Mar Taragona a le mérite de montrer la réalité du camp de Mauthausen sous un angle original avec pour objectif de révéler comment de courageux détenus espagnols ont contribué au devoir de vérité et ont permis de livrer des photos des SS comme autant de preuves des atrocités commises au sein des camps, notamment lors du procès de Nuremberg.

Ici, on n’aborde pas le camp de Mauthausen Gusen, de catégorie 3, considéré comme le régime le plus sévère, sous l’angle de sa terrible carrière, trop bien connue, ni de la section d’extermination, des chambres à gaz, fours crématoires et autres symboles de la terreur nazie. On pénètre donc dans ces bureaux d’enregistrement et d’identification, où des prisonniers sont appelés à travailler sur des documents hautement compromettants pour les bourreaux du camp. On voit comment ces témoins passent du rôle d’observateur à celui d’exécutant des consignes données pour que les enregistrements des nouveaux entrants et des morts, les informations officielles, les communications éventuelles avec les familles restent opérationnelles, alors que la cadence des disparitions ne cesse de progresser.

Le photographe de Mauthausen dresse le portrait de la vie quotidienne du camp sous le commandement du SS Standartenführer Franz Ziereis. Sont révélés le travail d’enregistrement dans cette section autour du laboratoire de Ricken, les traitements auxquels étaient soumis les détenus, leurs occupations et la vie dans les zones et les baraquements où étaient réunis des Espagnols, – d’autres baraquement rassemblant les Polonais et Hongrois, des opposants politiques autrichiens ou allemands, des « asociaux », et des prisonniers de droit commun. On fait connaissance avec ces « combattants de l’Espagne rouge » affublés d’un triangle bleu, déchus de leur statut de prisonnier de guerre, envoyés vers les camps de concentration, mais dont la situation au sein du camp leur permet d’éviter l’élimination systématique comme pour les Juifs.

L’histoire des photographies des crimes nazis du camp de Mauthausen sauvées par des prisonniers espagnols

Mauthausen se distingue d’autres camps du fait du grand nombre de photographies et de leurs multiples approches, témoignant d’un souci particulier du détail. Elles rapportent, documentent et décryptent tout ce qui fut réellement commis dans le camp … On appréhende comment la photographie mit en lumière les rouages minutieux et ingénieux du système répressif et concentrationnaire tel que le concevaient les nazis. Il importait de faire comprendre que nul ne pourrait sortir d’un camp nazi, si ce n’est mort.

Cet « art » de la photographie joua un rôle essentiel aussi bien dans le travail d’identification et de révélation de la barbarie nazie que dans celui de la tentative de travestissement de ce qui se passait grâce à la reconstitution de scènes laissant penser que la vie dans le camp n’était guère différente de ce qu’on peut attendre d’un camp de prisonniers et que la vie y était même en un sens assez agréable pour les détenus auxquels on accordait le droit de jouer, se divertir et même s’adonner au théâtre ou à la chanson. L’attestation de la connaissance des camps à l’occasion de l’une de ces visites de dignitaires comme Himmler (dont il fallut éliminer toutes traces), en devient finalement secondaire.

L’une des limites du film à mon sens tient au traitement limité du personnage de Ricken incarné de façon plutôt convaincante par Richard van Weyden. Cet ancien professeur d’éducation artistique et esthétique a pris ses fonction à Mauthausen en août 1939, jusqu’en février 1944 comme photographe et responsable du Erkennungsdienst. Si quelques scènes dans son laboratoire en compagnie de Boix révèlent l’intérêt que Ricken portait à la dimension artistique pure, celui-ci n’est que trop peu exploité, si ce n’est par ses exigences de mise en scène, auxquelles il fait contribuer Boix. Ricken ne ressemble pas aux SS qu’il côtoie et qui se délectent de leurs crimes. Ce qui le motive, c’est l’esthétisme et l’art et la façon dont il peut faire de scènes de camps de concentration des oeuvres visuellement efficaces si ce n’est parfaites.

Sans lui prêter une sensibilité inadéquate – Boix et ses comparses étant les premiers à reconnaître qu’ils ne l’ont jamais vu violenter de ses mains ou maltraiter un prisonnier, sans chercher à l’auréoler d’une quelconque vertu, on comprend que Ricken se distingue par son sens de la contemplation, qui justifie ses comportements à l’égard des sujets qu’il observe.

Il se pose en voyeur dont on saisit que le plaisir n’est pas dans l’action de maltraiter en personne mais de trouver la meilleure exposition ou représentation pour incarner une situation : il se meut en scrutateur avec ce regard acéré et perçant, se transforme en boulimique chasseur d’images, en quête de l’image parfaite, il se repaît de ses mises en scène de morts tantôt réelles tantôt artificielles, qui nourrissent son désir. A commencer par cette reconstitution d’une soi-disant évasion (avec un unijambiste de dos, battu dans la tête en premier plan). Son plaisir, il le tire davantage de la réorganisation et de la monstration des cadavres parsemés dans la forêt et censés prouver les tentatives d’évasion du camp de Gusen et de l’admiration que lui inspirent ses clichés, que d’une conviction idéologique et d’une mission d’élimination et de destruction.

le photographe de Mauthausen Paul Riken

Par son absence de manichéisme par rapport aux autres dirigeants et gardes du camp, Ricken est le personnage le plus intriguant et le plus passionnant, même si ce qu’il inspire comme sentiments au spectateur, met très mal à l’aise et sème le doute sur sa nature profonde et les motivations qui le guident dans son travail. Presque plus finalement que les habituels criminels qui par conviction ou par devoir exécutent machinalement ou pour satisfaire leur toute puissance. Sa toute puissance, Ricken la tire de la photographie et son son besoin de tout conserver des moindres gestes, personnes, corps, passés devant son objectif.

Le photographe de Mauthausen gagne à être vu si l’on veut se pencher sur le quotidien très banal d’un camp de concentration avec un point de vue et des expériences de témoins jouissant presque d’un contact privilégié avec les Nazis, au point d’assister à des scènes familiales. On cerne la quasi normalité de la vie d’un camp de concentration, tandis qu’en parallèle, on pénètre un peu dans un domaine moins courant dans les films du genre, celui des maisons des familles des officiers SS.

Boix transportant les dossiers des nouveaux enregistrés dans le camp de concentration de mauthausen, accompagné de valbuena, et de paul ricken

Un film qui laisse une impression mitigée malgré l’intérêt du sujet

Les amateurs de films au rythme soutenu, au moins par séquences, et de rebondissements regretteront sûrement la lenteur voire la mollesse. Le choix de l’immersion du spectateur avec lenteur et d’une relative inaction dans plusieurs phases du film se défend, car il permet de mieux appréhender la banalité de la vie des détenus et sa pesanteur, afin de mettre en relief les conditions mortifères. Hélas, le film Le photographe de Mauthausen pèche par des inexactitudes, des ellipses qui entraînent une certaine édulcoration de plusieurs événements ou actions et des choix nuisant en définitive à la crédibilité de certaines réalités rapportées.

Là où le livre de Bernejo pointe les zones d’ombre des souvenirs de Boix ou de certaines des photographies rapportées, ou signale certaines contradictions dans les témoignages des acteurs de cette histoire, le film préfère faire du personnage de Boix une sorte de héros lisse et presque transparent, jouissant d’une autonomie large de mouvement et même d’action. De même, il n’approfondit pas assez la nature des rapports entre les divers personnages amenés à devenir témoins capitaux. Qui sont-ils? Pourquoi ont-ils été choisis pour travailler sur des sujets si sensibles? Le film n’en dit rien ou presque.

Outre un problème de contextualisation récurrent sur l’histoire du camp, il est aussi regrettable qu’il y ait des erreurs chronologiques qui ne gêneront pas le public peu connaisseur de cette histoire mais qui restent à mon sens problématique. Le spectateur manque de repères temporels clairs pour comprendre le déroulé des faits et à quelle époque de la vie du camp on se trouve et ce qui change entre les différentes gestions des services. A moins de très bien connaître l’histoire de ce camp, on est un peu perdu.

Le film souffre aussi à plusieurs reprises d’un manque de cohérence narrative. Les séquences liées aux nombreux efforts pour sauver les négatifs sont finalement bâclées et le dernier tiers du film s’avère très brouillon, alors qu’il condense des épisodes essentiels de l’action de Boix et ses compagnons.

Au-delà de quelques acteurs pas toujours convaincants à commencer par Mario Casas, dans le rôle titre de Francesc Boix Campo que je trouve parfois caricatural, j’ai trouvé les dialogues assez faiblards et la présentation des divers personnages trop superficielle. En revanche, la lenteur du rythme favorise l’immersion dans une certaine banalité du mal comme celle qu’identifie parfaitement Hannah Arendt.

Toujours à travers le regard du photographe, se dévoilent quelques unes des 35 manières de mourir à Mauthausen (élimination directe par balles, faim, dureté du travail, intempéries et froid, suicide, tentatives d’évasions, pendaison, épuisement, travail dans la carrière et transport des pierres pour construire la forteresse et la cité-jardin (Siedlungsbau), des maisons avec jardins et piscines pour les officiers SS et leurs familles)… Cela me rappelle les enseignements élémentaires tirés des cassettes et livres que j’avais rapportés dans mes bagages à l’issue de la visite de ce camp de Mauthausen -, le premier camp nazi que j’ai visité pendant mon adolescence (avant de m’engager sur la route des camps de concentration de Pologne). Mais justement, ces supports pédagogiques n’avaient guère évoqué l’importance de la photographie pour la connaissance si méticuleuse de la vie au camp de Mauthausen. A peine étaient-elles évoquées, sans que je mesure le rôle des prisonniers communistes espagnols dans la préservation et transmission des photographies du camp, au moment où les Nazis durent rendre compte de leurs actes lors du procès de Nürnberg.

C’est là le principal mérite du film Le Photographe de Mauthausen. Non seulement il montre des atrocités dans toute leur banalité et décrit comment la photographie en retire leur trivialité par ce souci de la méticulosité et du détail, cette quête motivée par l’objectif esthétique de Ricken, cette recherche scrupuleuse et quasi obsessionnelle de la lumière censée renforcer la beauté des modèles vivants ou morts. Il invite aussi à réfléchir sur le sens de la vérité dans l’acte de photographie.

Comment les photos ont-elles été sauvées et dans quelles circonstances? Le Photographe de Mauthausen y répond sommairement et avec trop de facilités scénaristiques pour convaincre le spectateur. Même si l’oeuvre n’aborde jamais les aspects plus polémiques liés à la réalité de certains clichés après 1945 et à leur utilisation ou leur transformation pour les besoins du devoir de mémoire, il s’avère nécessaire de dépasser les souvenirs exprimés dans le film pour approfondir la complexité .

Cette approche à travers la passion artistique perverse du photographe nazi Paul Riken et les souvenirs de Boix, témoin et acteur important, qui fit connaître au monde les horreurs commises dans les camps par le sauvetage de milliers de négatifs, malgré les tentatives des Nazis pour éliminer les preuves, sont autant de motifs de découvrir Le Photographe de Mauthausen. Les minutes du procès de Nuremberg où Boix est interrogé sur ce qu’il a vu et vécu à Mauthausen et évoque Paul Riken peuvent être un complément instructif après avoir vu ce film.

Malgré les divers bémols qui m’ont déçue, j’ai été très intéressée par les informations que communique le film et qui donnent envie de mieux se documenter une fois que l’on arrive au terme des deux heures. Quel dommage que le réalisateur n’ait pas évoqué au moins en quelques minutes la vie après la libération du camp et l’intervention lors du Procès de Nuremberg, détaillées dans l’essai et la bande dessinée.

Acheter le livre de Benito Bermejo, Le photographe de Mauthausen. L’histoire de Francisco Boix et des photos dérobées aux SS

Si vous souhaitez faire découvrir l’histoire à des adolescents, il existe l’adaptation du Photographe de Mauthausen en bande dessinée scénarisée et dessinée par Salva Rubio et Pedro J. Colombo, publiée aux éditions Le Lombard. 168 pages. 19,99 € Achetez la version en BD

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Pour aller plus loin sur le camp :

Le site officiel du camp de concentration de Mauthausen

Brève histoire du camp KZL de Mauthausen Gusen en Haute Autriche

Sandrine Monllor (Fuchinran)

3 commentaires sur “Le photographe de Mauthausen ; film à l’angle original sur le camp de concentration nazi autrichien”

  1. Retour de ping : Le photographe de Maunthausen | Pearltrees

  2. Tout à fait d’accord avec votre critique … à voir malgré quelques défauts comme par exemple le personnage de Ricken insuffisamment « creusé «

  3. bonjour , j’ai regardé ce film hier soir mais j’ai trouver ça très mou et j’ai pas du tout accroché mais merci beaucoup pour toutes vos propositions, bonne journée à vous.

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