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Târgu Mures : des conflits interethniques roumano-hongrois à la coexistence pacifique

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Après avoir fait la une de l’actualité internationale, en décembre ’89, par sa révolution anticommuniste transmise en direct, en mars ’90 la Roumanie monopolisait à nouveau les premières pages des journaux et les premières minutes des infos à travers le monde. A Târgu Mures, dans l’Est de la Transylvanie, éclataient des conflits interethniques roumano-hongrois, qui allaient faire des morts et des blessés. Cette violence donnait la mesure de la haine que le communisme avait semé parmi les gens. Durant les deux décennies écoulées depuis, les blessures se sont fermées; Roumains et Magyars ont appris, peu à peu, que la coexistence pacifique était la seule solution viable.

L’histoire de la communauté magyare de Roumanie débute en l’an 890, lorsque la population guerrière des Hongrois migra vers l’espace roumain, qu’elle finit pas conquérir. Une branche distincte des Magyars, les Szeklers, organisés en détachements de gardes-frontières, ont été emmenés dans les Carpates Orientales, à la frontière Est de la Hongrie médiévale. En 1918, après le démembrement de l’Autriche-Hongrie, la minorité magyare s’est retrouvée au centre du nouvel Etat de la Grande Roumanie. A l’instar de toutes les administrations des Etats nationaux nouvellement constitués sur les ruines des anciens empires, l’administration roumaine n’a pas été très amicale envers les minorités – surtout celle hongroise.

Les agressions commises durant la Seconde guerre mondiale contre les Roumains du Nord de la Transylvanie, occupé par la Hongrie hortyste, ont nourri un souvenir du conflit et de la haine que les 45 années de communisme ont été loin d’éteindre. Au contraire, les projets économiques du régime communiste, vus comme des composantes d’une politique de roumanisation, ont touché l’habitat de la population magyare, qui les a perçu comme un atteinte à ses valeurs culturelles.

En 1990, après une manifestation à l’occasion du 15 mars – fête des Magyars du monde entier, les Roumains et les Magyars de la zone de Tîrgu Mures se sont engagés dans un conflit ouvert, soldé par 6 morts – 3 Roumains et 3 Hongrois. Ce fut une des pages les plus tristes de la jeune démocratie roumaine. Les manipulations ont été, elles aussi, à l’ordre du jour. Le Roumain Mihai Cofar, sauvagement battu par des Magyars dans la rue, a été présenté par les télévisions du monde comme étant un ethnique magyar.

Arrêtons-nous maintenant sur le contexte dans lequel a éclaté ce conflit. Nous le ferons avec le concours de l’historien et politologue Daniel Barbu de l’Université de Bucarest.
“Un état d’effervescence s’est installé au sein de la population magyarophone de Transylvanie, en réaction à une démarche politique des années 1980, qui, injustement ou non, la visait directement. C’était la restructuration des villages, notamment dans la zone habitée par les Szeklers, une population dont le mode de vie est extrêmement rural, étroitement lié à l’agriculture. Il suffit de rappeler la réputation nationale de la „palinca” (un alcool très fort, extrait de prunes) ou de la pomme-de-terre. C’était donc une vie très rurale et, dans le cadre plus large de la culture hongroise, la sous-culture szeklere s’identifie elle même à travers la tradition rustique. La restructuration de l’espace rural sous la forme de la systématisation des villages a été perçue comme une suppression des traditions locales. Cette population a donc éprouvé une sorte d’attente mais aussi un sentiment de liberté retrouvée, d’effervescence, qui ont nourri l’idée que cette identité en danger pouvait être guérie et restaurée.”

Ce conflit, aurait-il pu être évité? Notre interlocuteur, l’historien et politologue Daniel Barbu de l’Université de Bucarest, croit que non.
“Des deux émotions liées au sentiment de liberté retrouvée d’après 1989, les Magyars avaient eu le sentiment que la menace était passée et que le moment était venue pour se reconstruire l’identité; les Roumains se sentaient dans leur droit, un sentiment donné par l’existence de l’Etat national. Leur clash était donc probable et, malheureusement inévitable. Il est regrettable qu’il n’ait pas pris des formes discursives. La vie politique roumaine aurait beaucoup gagné en termes de qualité si la confrontation s’était produite au plan des idées, du dialogue. Le hasard a voulu qu’elle prenne la forme la plus directe, la plus brutale, celle des coups de matraque et de poings. Derrière cette toile de fond, le soupçon plane, et il n’a pas été convenablement ecarté dès le début, qu’une action provocatrice avait fait partie du paysage, dans la mesure où la conséquence politique et institutionnelle immédiate des événements de Tîrgu Mures a été la création du Service Roumain de Renseignement, autrement dit la reconstitution de la Securitate, la police politique communiste. Celle-ci avait été sauvée de la disparition, pendant trois mois elle avait été subordonnée à l’armée, avec un statut incertain. Les événements de Tîrgu Mures ont montré aux élites politiques de l’époque à quel point un service qui assume une partie des attributions de l’ancienne Securitate était nécessaire. Si la Securitate avait provoqué les événements pour justifier le besoin d’une existence réinventée dans un contexte démocratique, cela est, je le répète, un soupçon jamais écarté convenablement.”

Serait-il possible de voir se répéter aujourd’hui la situation de mars 1990? Non, ce n’est plus possible, croit savoir l’historien et politologue Daniel Barbu de l’Université de Bucarest.
“Nous ne sommes pas arrivés à un degré de maturité radicalement différent de celui de 1990, mais il est différent quand même. Je ne crois pas qu’un tel conflit puisse se répéter. Pour ce qui est du comportement social courant, je crois que les deux communautés, roumaine et magyare, ont appris pas tellement à vivre ensemble là où elles se rencontrent, mais tout simplement à vivre dos à dos, ce qui est déjà une très bonne chose. Elles ne se marchent pas sur les pieds, chacune s’occupe de ses affaires. Il n’existe plus ces espaces de conflit, explicables par l’ébullition sociale générale du pays ou bien par les actions d’un maire nationaliste de Cluj qui décidait, par exemple, que tout devait porter les trois couleurs du drapeau roumain.
Il n’y a pas non plus d’actions provocatrices, plus d’espaces où de telles conflits physiquement violents puissent naître. Mais il n’existe pas non plus de coopération. Ce que nous avons c’est une sorte d’indifférence mutuelle qui est très bonne pour la qualité de la vie. Mais du point de vue de la qualité de la démocratie, la situation n’est pas parfaite, une participation en commun à des projets divers n’arrive qu’à Bucarest, avec les hommes politiques magyars.”

Les événements de Tîrgu Mures d’il y a 20 ans sont un souvenir douloureux, mais ils doivent être connus pour que les individus et les communautés réfléchissent deux fois à l’avenir, avant d’abandonner le dialogue. (aut.: Steliu Lambru; trad.: Ileana Taroi, Dominique)

En partenariat avec RRI – http://www.rri.ro/

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